Miss Waters

3.

– Elle désire vous parler, – dit Mme Bunting.

Et Melville, non sans quelque appréhension, gagna le vastepalier du premier étage, garni de meubles et de sièges, pourépargner à Adeline la peine de descendre. Elle parut, vêtue d’unerobe d’intérieur noire et violette, avec une profusion dedentelles. Ses cheveux noirs étaient arrangés avec la simplicitéapprêtée qui convenait. Elle était pâle, et ses yeux laissaientvoir des traces de larmes. Son attitude avait une certaine dignitéqui différait de son habituelle froideur. Elle lui tendit une mainmolle et parla d’une voix éteinte.

– Vous savez tout ? – demanda-t-elle.

– Les traits principaux, au moins.

– Pourquoi agit-il ainsi envers moi ?

Melville prit un air attristé pour témoigner de sa ferventesympathie.

– Je suis sûre pourtant qu’il n’a pas des instinctsgrossiers.

– Assurément non ! – garantit Melville.

– C’est quelque mystère de l’imagination que je ne puispénétrer, – continua Adeline. – J’aurais cru… que le souci de sacarrière, tout au moins… l’aurait empêché…

Elle hocha la tête et contempla fixement une jardinière pleinede fougères.

– Il vous a écrit ? – questionna Melville.

– Trois fois, – répondit-elle en levant la tête.

Melville hésita à s’enquérir du contenu de cette correspondance,mais elle lui épargna cet ennui.

– C’est moi qui ai exigé une lettre, – dit-elle. – Il m’avaittout caché et j’ai dû lui arracher de force des aveux.

– Quels aveux ?

– L’aveu de ses sentiments envers elle et à mon égard.

– Mais, est-ce qu’il… ?

– Il m’a renseignée clairement. Mais, maintenant… non, je necomprends pas !

Elle se tourna lentement vers Melville et, sans le quitter desyeux, elle « déchargea son cœur ».

– Voyez-vous, monsieur Melville, c’est un coup terrible pourmoi ! Je crois que jamais je ne l’ai réellement bien connu. Jecrois que je… l’idéalisais. Je m’imaginais qu’il s’intéressait à…notre tâche, tout au moins… Il s’y est intéressé, c’est indéniable.Il y croyait, assurément il y croyait !

– Il y croit encore, – dit Melville.

– Et puis… Mais comment peut-il… ?

– Il est… il est doué d’une imagination assez vive.

– Et d’une volonté faible.

– Relativement, oui.

– C’est si étrange ! – soupira-t-elle. – C’est siinconséquent !… Comme un enfant qui trouve un jouet nouveau.Savez-vous bien, monsieur Melville – elle hésita – que… que toutcela m’a vieillie beaucoup. Je me sens beaucoup plus âgée, beaucoupplus sage que lui. Ce n’est pas ma faute. Je crains bien que ce nesoit le lot de toutes les femmes… d’éprouver ce sentiment-làparfois.

Elle s’abîma dans de profondes réflexions.

– Le lot de toutes les femmes, – répéta-t-elle, lentement. –L’homme-enfant, je comprends ce que Sarah Grand a voulu dire.

Elle eut un sourire éploré.

– Il me semble que j’ai affaire à un petit garçon indiscipliné…Et… et j’avais un culte pour lui, monsieur Melville ! –ajouta-t-elle d’une voix défaillante.

Mon cousin toussa et tourna vers la fenêtre des regardsembarrassés. Il se rendait compte qu’il était, bien plus qu’il nel’avait redouté, au-dessous de la situation.

– Si j’étais sûre qu’elle le rendît heureux ! – dit-ellebientôt, sur le ton de l’héroïsme qui se sacrifie.

– Le cas est… compliqué, – bredouilla Melville.

La voix d’Adeline persista à se faire entendre, claire, un peuhaute, résignée, impénétrablement assurée.

– Mais elle ne peut pas ! Tout ce qu’il a de bon en lui, desérieux, elle ne le voit pas, elle le gâcherait…

– Est-ce que… ? – commença Melville, en se repentantaussitôt de sa témérité. – Est-ce qu’il veut reprendre saliberté ?

– Non… Il veut revenir à moi.

– Et vous ?

– Il ne revient pas !

– Mais vous, voulez-vous le reprendre ?

– Comment pourrais-je le dire, monsieur Melville ? Il neformule même pas d’une façon précise qu’il veut revenir.

Mon cousin prit un air perplexe. Il vivait d’habitude à lasurface des émotions, et ces complexités, en des matières qu’ilavait toujours considérées comme simples, le déconcertaient.

– Il est des moments, – reprit-elle – où il me semble que monamour pour lui est absolument mort… Songez à ma désillusion… aucoup que j’ai ressenti en découvrant une pareille faiblesse…

Mon cousin haussa les sourcils et hocha la tête en guised’assentiment.

– … en découvrant que mon idole avait des piedsd’argile !

Elle se tut un moment après cette noble phrase.

– Il me semble que je ne l’ai jamais aimé ! Puis… puis jesonge à tout ce qu’il pourrait encore devenir !

À la soudaine altération de sa voix, Melville leva la tête, etil la vit, la bouche contractée, avec des larmes coulant au long deses joues.

Mon cousin m’a confié qu’il eut l’idée, alors, de lui prendre lamain pour la réconforter de sa sympathie, mais il se ravisaaussitôt. Les derniers mots de la jeune fille s’attardèrent uneseconde dans sa pensée et il murmura :

– Il peut encore devenir tout cela.

– Je crois qu’il le peut, – dit-elle lentement et d’une voixmorne.

La crise de larmes était passée. Elle changea brusquement deton.

– Qui est-elle donc ? Qui est cette créature quise place entre lui et les réalités de l’existence ?Qu’a-t-elle en elle qui… ? Et pourquoi aurais-je à rivaliseravec elle, parce qu’il ne sait pas ce qu’il veut ?

– Quand un homme, – dit Melville, – est parvenu à savoir cequ’il veut, il a tari une des principales sources d’intérêt de lavie. Après cela, avec cette connaissance en plus, il n’est qu’unvolcan éteint… On en tirerait un apologue, la Source et leVolcan.

Il réfléchit sur lui-même, égoïstement, pendant quelquessecondes ; puis, avec un tressaillement secret, il en revint àpenser à elle.

– Qu’est-ce donc ? – reprit Adeline, avec ce féroce besoinde clarté qui était une de ses qualités antipathiques pourMelville, – qu’est-ce donc qu’elle a, qu’elle offre et queje… ?

Melville, se regimbant intérieurement contre cette provocationdirecte à des comparaisons, appela à son aide toutes les ressourcesfélines de son âme. Il hésita, tâtonna, et finalement éluda laquestion.

– Ah ! ma chère miss Glendower ! – dit-il en essayantde donner à ces mots l’air d’une réponse suffisante.

– Quelle différence y a-t-il entre elle et moi ? – insistaAdeline.

– Ce sont des choses impalpables, – bredouilla Melville, – deschoses qui dépassent notre raison et que l’on ne sauraitdécrire.

– Mais vous, – précisa-t-elle, – vous adoptez une attitude, vousdevez avoir une opinion. Pourquoi ne voulez-vous pas me… ? Necomprenez-vous pas, monsieur Melville, que ceci est pour moi – savoix broncha – d’une importance vitale ? Ce n’est pasbien à vous, si vous avez une opinion, de ne pas me… Je suis trèsfâchée, monsieur Melville, et pardonnez-moi si je me laisseentraîner à être indiscrète, mais je… je veux savoir !

Melville eut un instant l’idée que peut-être la pauvre filleavait en elle quelque chose de plus que ce qu’il lui avait attribuéjusqu’ici dans ses jugements.

– Je dois convenir que j’ai une opinion, – admit-il.

– Vous êtes un homme, vous le connaissez, vous connaissez toutessortes de façons de voir les choses, et que j’ignore. Si vouspouviez aller… jusqu’à vous permettre de me parler sansréticences ?…

– Eh bien !… – commença Melville, qui n’osa aller plusloin.

Par toute son attitude anxieuse, Adeline était pour ainsi diresuspendue à ses lèvres.

– Il y a, certes, une différence entre elle et vous, –avoua-t-il, sans qu’elle articulât un seul mot de commentaire. –Comment vous exprimerai-je cela ?… Je crois que, sous diversrapports, vous formez avec elle un contraste qui lui donne, à elle,un certain avantage. Il a… Je sais qu’on se sert de cet argument àtout propos, mais il ne l’invoque pas pour sa défense… Il a, lui,un tempérament sur lequel elle produit plus d’effet que vous…

– Oui, je m’en doute, mais comment ?

– Heu, heu…

– Parlez !

– Vous êtes austère, vous êtes raisonnable, et la vie, pour unhomme tel que Chatteris, est une école, un apprentissage perpétuel.Il a reçu ce don… ce don précieux et qu’un plus grand nombred’entre nous devraient posséder… ce don qui… à mon avis… lui rendla vie plus difficile qu’elle ne l’est pour la généralité deshommes. La vie se présente à lui avec des limitations, des règles,il connaît suffisamment son devoir, et vous… Il ne faut pas vousfâcher de ce que je vais dire, miss Glendower, il se peut que je metrompe…

– Continuez, – fit-elle, – continuez.

– Vous êtes par trop l’agent général de son devoir.

– Mais assurément ! Que pourrais-je être ?…

– J’ai eu une conversation à ce propos avec lui, à Londres, etje me disais alors qu’il avait parfaitement tort. Depuis, j’airéfléchi à toutes sortes de choses, j’ai songé même que c’est vousqui pouviez avoir tort… sur des points secondaires.

– Ne ménagez pas ma vanité, maintenant, –s’écria-t-elle. – Parlez !

– Vous avez, voyez-vous, défini les choses tropclairement ; vous lui avez nettement expliqué ce que vousespérez qu’il sera et ce qu’il fera. C’est comme si vous lui aviezbâti la maison dans laquelle il doit vivre. Aussi, pour lui, allervers l’autre, c’est comme s’il sortait d’une maison, et d’unemaison fort belle et fort honorable, j’en conviens, pour sepromener dans une contrée spacieuse, dans un pays sans limites oùl’attendent des aventures imprévues. Elle est… elle a l’air d’êtrenaturelle. Elle n’a pas plus de règle ni de frein qu’un coucher desoleil, elle est aussi libre et exubérante que le vent. Elle ne sepréoccupe pas de l’aimer et de le respecter quand il est ceci et dele désapprouver hautement quand il est cela, elle l’accepte telqu’elle le trouve. Elle est de la même nature que le ciel ouvert,que les forêts profondes et touffues, que le vol des oiseaux, quel’immensité de l’océan. Voilà ce qu’elle est pour lui : le GrandDehors !… l’Inconnu ! Et vous, vous êtes…

Il hésita.

– Continuez, continuez, – fit-elle avec insistance. – Allonsjusqu’au bout de l’idée.

– Vous êtes comme un édifice administratif… Je ne l’approuvecertes pas, – se hâta d’ajouter Melville. – Pour moi, je suis unchat apprivoisé et je gratterais et miaulerais à la porte, dès quej’aurais mis le nez dehors… je ne veux pas sortir, cette penséem’épouvante ; mais lui, il est différent.

– Oui, – répéta-t-elle, – il est différent.

Il parut un instant que l’interprétation de Melville l’avaitconvaincue, et elle demeura toute pensive. Pendant ce répit, moncousin apercevait lentement les choses sous d’autres aspects.

– C’est vrai, – acquiesça-t-elle rêveuse. – Oui, oui, c’estl’impression que j’en ai, c’est son caractère vrai. Mais dans laréalité… Il y a au monde autre chose que des effets et desimpressions. Après tout, ce n’est là qu’une… analogie. C’estcharmant de sortir des habitations et des logis, et de se promeneren plein air, mais la plupart d’entre nous, tout le monde, pourbien dire, vit dans des maisons.

– C’est indéniable, – concéda Melville.

– Il ne peut pas… Que peut-il faire avec elle ? Commentvivrait-il avec elle ? Quel genre d’existence communeauraient-ils ?

– C’est un phénomène d’attraction, – expliqua Melville, – et nonde combinaison.

– D’ailleurs, – dit-elle, – il faudra bien qu’il revienne… si jele lui permets ! Qu’il gâche tout maintenant, qu’ilcompromette le succès de son élection, qu’il s’expose à débuter denouveau dans des conditions moins favorables, qu’il mette son cœuren pièces…

Elle s’arrêta sur un sanglot.

– Miss Glendower, – fit Melville assez brusquement, – je necrois pas que vous saisissiez bien…

– Que je saisisse quoi ?

– Vous pensez qu’il lui est impossible d’épouser cette… cettecréature qui est venue parmi nous ?

– Comment l’épouserait-il ?

– Non, il ne le pourrait pas. Vous vous figurez que sonimagination s’éloigne de vous pour vagabonder versl’inaccessible ; qu’à tout prendre, et sans préméditation, ils’est stupidement mis à l’écart, s’est conduit comme un sot, etqu’il s’agit simplement, à présent, de remettre tout enordre ?

Il se tut, et Adeline, sans desserrer les dents, conservait sapose attentive.

– Ce que vous ne comprenez pas, – insista Melville, – ce quepersonne ne veut comprendre, c’est qu’elle nous vient…

– … du fond de la mer.

– … d’un autre monde. Elle vient nous chuchoter que cette vieque nous menons est une vie fantôme, une vie irréelle, fugitive,limitée, et elle jette sur toute chose des mots magiques dedésillusion…

– De sorte qu’il est sous un charme ?

– Oui, et en outre elle murmure qu’il y a des rêvesmeilleurs.

Adeline dévisagea Melville avec une curiosité perplexe.

– Elle fait de vagues allusions à de meilleurs rêves, elle parleà mi-voix d’une autre façon de vivre.

– Quelle façon ?

– Je l’ignore. Mais c’est quelque chose qui ébranle toutl’édifice de notre existence quotidienne.

– Que voulez-vous dire ?

– C’est une sirène, une créature de rêves et de désirs, unmurmure, une séduction. Elle le leurrera, l’attirera avec ses…

Il se tut.

– Où l’attirera-t-elle ? – questionna Adeline, la voixéteinte.

– Dans l’abîme.

– Dans l’abîme !

Un long silence pesa sur eux. Melville, avec une applicationinfinie, cherchait, sans en trouver, des phrases vagues. Enfin illâcha tout de go :

– Il n’y a qu’une façon de sortir de ce cauchemar dans lequelnous vivons tous.

– Et cette façon ?

– Cette façon… – répondit Melville, mais il appréhenda d’allerplus loin.

– Vous voulez dire, – précisa Adeline toute pâle et entrevoyantla vérité, – vous voulez dire que cette façon c’est…

Melville évita de proférer le mot exact qu’elle n’osaitprononcer. Il la regarda en face et hocha la têteapprobativement.

– Mais comment ? – demanda-t-elle.

– En tout cas, – fit-il hâtivement et cherchant des termespalliatifs, – en tout cas, si elle le prend, c’en est fini de cetteexistence que vous prépariez… il n’y a aucun espoir de retour pourlui.

– Aucun espoir de retour…

– Aucun !

– Mais en êtes-vous sûr ?

– Absolument.

– Sûr que vous ne vous trompez pas ?

– Sûr que le désir est le désir, et que l’abîme est l’abîme,oui.

– Je n’avais jamais pensé… – commença-t-elle, mais elle seravisa et reprit : – Monsieur Melville, vous savez que bien deschoses m’échappent dans cette affaire. Je croyais… je ne saisvraiment pas ce que je croyais. Je me figurais qu’il était absurdeet frivole, quand il laissait vagabonder ses pensées. J’ai comprisvotre raisonnement, j’admets votre opinion sur la différenced’effet qu’elle et moi nous lui produisons. Mais ce… cette idéequ’elle serait pour lui quelque chose de décisif et de final… Aprèstout, elle est…

– Elle n’est rien, – interrompit Melville, – sinon la main quile saisit, un être qui représente les forces invisibles ?

– Quelles forces invisibles ?

Mon cousin haussa les épaules.

– Elle représente ce que nous ne trouvons jamais dans la vie, ceque nous cherchons sans cesse.

– Mais quoi ?

Melville ne répondit pas. Adeline scruta un instant le visage demon cousin, puis porta ses regards sur les arbres baignés desoleil.

– Désirez-vous qu’il vous revienne ? – demanda-t-il.

– Je ne sais pas.

– Désirez-vous qu’il vous revienne ? – répéta Melville.

– Il me semble que je n’ai jamais auparavant désiré qu’ilvînt.

– Et à présent ?

– Oui, mais puisqu’il ne reviendra pas !

– Ce n’est pas l’attrait de l’œuvre projetée qui vous leramènera, – dit Melville.

– Je le sais.

– Ni amour-propre ni aucun motif de ce genre ne le ferontrevenir.

– Non.

– Ce ne sont là, voyez-vous, que des rêves plus fugitifs encore.Tout ce palais que vous lui avez édifié est un rêve, mais…

– Eh bien ?

– Il reviendrait cependant soudain… – allégua Melville, quiregarda Adeline et se tut.

Il m’a raconté plus tard qu’il éprouva à ce moment-là le désirde la remuer, de la secouer, d’éveiller en elle, même par ladouleur, une preuve de sensibilité, un élan de passion qui pourraitreconquérir Chatteris ; mais au même instant il se renditcompte de l’absurdité d’un tel espoir. Elle restait là, debout,impénétrablement elle-même, limitée, intelligente, bourrée debonnes intentions, imitatrice et impuissante. Son attitude, sonvisage ne suggéraient autre chose que l’idée d’une objection claireet raisonnable à tout ce qui lui arrivait, d’un antagonismelogique, d’une opposition résolue.

Mais subitement elle changea. Elle leva la tête, tendit ses deuxmains, et, dans ses yeux, Melville aperçut une flamme qu’il n’yavait jamais vue encore. Machinalement, il prit les deux mainstendues et, pendant deux ou trois secondes, il discerna, derrièrele masque illusoire de l’héroïne, une douleur sincère etprofonde.

– Dites-lui, – articula-t-elle avec une ahurissante perfectionde simplicité, – dites-lui de revenir à moi. Il ne peut rien yavoir d’autre que ce que je suis. Dites-lui de revenir àmoi !

– Et puis ?

– Dites-lui cela.

– Que vous pardonnez ?

– Non ! dites-lui que c’est lui que je veux ! S’il neconsent pas à revenir pour cette raison, il ne reviendra pas… S’ilne veut pas revenir pour cela… – elle resta court un moment, –qu’il ne revienne pas à moi, qu’il s’en aille, s’il lui plaît.

Il lui pressa les mains qu’il tenait toujours, et les lâcha.

– Vous êtes bien bon de venir à notre aide, – balbutia-t-elle,comme il faisait mine de partir.

Il se retourna.

– Vous êtes bien bon de venir à notre aide, – répéta-t-elle.Puis, elle ajouta : – Dites-lui ce que vous voudrez, à la conditionqu’il désire revenir… Non ! notifiez-lui ce que je vous aidit.

Il vit qu’elle avait encore quelque déclaration à énoncer et ilattendit.

– Savez-vous, monsieur Melville, que tout cela est pour moicomme un livre nouveau que je viens d’ouvrir. Êtes-vous sûrde… ?

– Sûr de… ?

– Sûr de ce que vous dites, sûr de ce qu’elle est pour lui, sûrque, s’il continue, il finira par…

Elle s’interrompit, et Melville hocha la têteaffirmativement.

– Cela signifie… – insista-t-elle, et elle s’interrompitencore.

– Pas d’aventures, pas d’incidents, mais l’abandon de tout ceque cette existence peut offrir.

– C’est-à-dire, – précisa-t-elle obstinément, –c’est-à-dire ?

La mort, – répondit Melville sans ambages.

Pendant un instant elle demeura alarmée et muette. Une grimacedouloureuse lui contracta les traits, et, sans quitter du regardles yeux de Melville, elle parla de nouveau :

– Monsieur Melville, dites-lui qu’il me revienne.

– Et puis ?

– Dites-lui qu’il me revienne, ou bien… – une note de passionrésonna soudain dans sa voix… – si je n’ai plus aucune prise surlui, qu’il aille son chemin.

– Mais… – objecta Melville.

– Je sais, – se récria-t-elle, – je sais ! Mais s’il est àmoi, il me reviendra… sinon… qu’il rêve son rêve !

Sa main fermée se crispa pendant qu’elle prononçait ces derniersmots. Il comprit qu’elle n’avait plus rien à dire et qu’ellevoulait instamment en rester là. Sur un dernier coup d’œil, il setourna vers l’escalier, et descendit.

À mi-chemin, il leva la tête et aperçut Adeline toujours debout,rigide, en pleine lumière. Une vague émotion le poussa à assurer lajeune fille de tout son dévouement, mais il ne sut trouver rien demieux que :

– Vous pouvez compter que je ferai tout ce que je pourrai.

Après un arrêt embarrassé, il s’éloigna d’une allure quelque peutrébuchante.

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