Biribi – Discipline Militaire

Chapitre 13

 

Acajou avait dit vrai, à Sidi-Ahmed. Lecapitaine aime à laisser mûrir sa vengeance.

Il paraît que son premier soin, en arrivant àAïn-Halib, a été de faire réunir la compagnie à l’endroit où secroisent trois chemins dont deux disparaissent derrière lesmontagnes, à chaque bout de la vallée, et dont le troisième, espècede sentier raboteux, gravit une petite colline où poussent parmiles cailloux quelques figuiers de Barbarie.

– Vous voyez ces trois routes, a-t-ilcrié aux hommes qui le regardaient, intrigués. La première, àdroite, est la route de France ; la seconde, à gauche, estcelle de Bône, de Bougie, où sont les ateliers de Travaux-Publicset les Pénitenciers ; la troisième, en face de nous, est celledu cimetière. Vous choisirez.

 

– On ne saurait être plus explicite,hein ? me demande Queslier qui est venu me voir dans ma tenteet qui me donne ces détails. Tout est là, en effet. Vous voulezretourner en France ? Entassez lâchetés sur infamies,ignominies monstrueuses sur complaisances ignobles, et nousverrons. Vous ne voulez pas vous soumettre ? Nous vous feronspasser au conseil de guerre qui, pour un semblant de refusd’obéissance, une parole un peu vive, vous octroiera généreusementle maximum de la peine portée par le Code. Dans le cas où nous nepourrions relever contre vous aucun motif de conseil de guerre, lachose est très simple : deux ou trois tours de trop aux fers,un nœud de plus au bâillon, quelques gamelles oubliées, et voilàtout. On n’a plus qu’à creuser une fosse. Ce n’est pas bien long,allez !

– Mais c’est monstrueux !

– Oui, monstrueux ! Et il a tenuparole, va, l’homme qui prêche la religion, la famille et les bonssentiments. Si ceux qui sont déjà là-haut, sur la colline,pouvaient parler, ils te nommeraient celui qui les y aenvoyés ; tu peux aller te renseigner, aussi, auprès desmalheureux qu’il laisse croupir en prison, dans un ravin, etauxquels il fait endurer les plus horribles supplices. Va leurdemander quel est le régime qu’on leur impose, pourquoi on les faitmourir de soif et de faim, pourquoi on les met aux fers, à lacrapaudine, pourquoi, au moindre mot, on leur met un bâillon.

– Tu es sûr ? Tu les asvus ?

– Si je les ai vus ? Déjà vingtfois. Et tu les verras aussi, toi, la première fois que tu seras degarde. Ah ! tu ne sais pas ce que c’est que la prison, auxCompagnies de Discipline ? Eh bien ! tu verras s’il y ade quoi rire… Tiens, on est si malheureux, ici, qu’il y a deshommes qui font exprès de passer au conseil de guerre pour quitterla compagnie. La semaine dernière, les gendarmes en ont emmenésept. Il y en a encore quatre, maintenant, au ravin, qui attendentle prochain convoi pour partir. Ils font exprès, entends-tu ?exprès. Ils aiment mieux rallonger leur congé que de continuer àmener une existence pareille. Et nous, nous qui ne sommes paspunis, tu ne peux te figurer combien nous sommes misérables.J’aimerais mieux ramer sur une galère que d’aller au travail avecles chaouchs qui nous mènent comme on ne mènerait pas des chiens.Les forçats, au bagne, sont certainement plus heureux. Lanourriture ? Infecte. On crève littéralement de faim. Du painque les mulets ne veulent pas manger ; des gamelles à moitiépleines d’un bouillon répugnant… Ah ! vrai, il faut avoirenvie de s’en tirer, pour supporter tout ça sans rien dire…

 

Il n’a point exagéré ; je l’ai bien vu,le lendemain matin. Je n’aurais jamais imaginé qu’on pût traiterdes hommes comme nous ont traités, au travail, revolver au poing,des chaouchs qui ne parlaient que de nous brûler la cervelle chaquefois que nous levions la tête. J’ai été terrifié, d’abord. Puis,j’ai compris qu’ils étaient dans leur rôle, ces garde-chiourmes, ennous torturant sans pitié ; j’ai compris qu’il n’y avait nigrâce à attendre d’eux ni grâce à leur faire, et que c’était unelutte terrible, une lutte de sauvages qui s’engageait entre eux etnous. La colère m’est montée au cerveau et a chassé la fièvre. Jesuis fort, à présent, plus fort que je ne l’étais avant de tombermalade ; et gare au premier qui m’insultera, qui me chercheraune querelle d’Allemand, qui tentera de me marcher sur lespieds ! Je laisserai mûrir ma vengeance, moi aussi ; et,puisqu’on a le droit de m’injurier en plein soleil et de me menaceren plein jour, j’outragerai dans l’ombre et je menacerai la nuit –quitte à frapper, s’il le faut. Je n’oublierai rien. Et je nefaiblirai pas, car j’aurai toujours, pour me soutenir : larage.

 

Un chaouch m’aborde.

– Froissard, ce soir, aussitôt après letravail, vous vous mettrez en tenue, sans armes. Veste et pantalonde drap. Vous êtes commandé pour l’enterrement.

– L’enterrement de qui,sergent ?

– De Palet.

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