Biribi – Discipline Militaire

Chapitre 18

 

Lâche ! Pourquoi ? Est-ce que ceChaumiette qui vient de tirer sur moi n’a pas risqué sa vie, il y adéjà quelques mois, pour retirer Lucas du puits où il étaittombé ? C’est un lâche, cet homme qui, pouvant se déroberaussi bien que les autres, presque convaincu qu’il ne remonteraitdu gouffre qu’un cadavre, n’a pas même voulu attendre, pour ydescendre, qu’on eût préparé une corde solide ? Un lâche, luiqui courait chance, en se laissant entraîner par sa générosité, dese briser le crâne, comme l’autre, contre la pointe d’unrocher ? Un lâche, ce garçon hardi, aux sentiments mâles, quele danger n’effraye pas et que le péril ne fait pas blêmir ?Allons donc !…

Non, ce n’est pas un lâche. C’est un peureux.Un peureux qui se jettera dans le feu, aujourd’hui, pour sauver uncamarade, et qui lui cassera la tête, demain, au moindre mot d’unchaouch. Son cœur n’est point bas ; il est timide. Son couragedisparaît devant une consigne ; sa hardiesse tombe devant unmot d’ordre. Il est trop brave pour reculer ; il est troppoltron pour oser. Il a l’appréhension du châtiment, la crainte durèglement, la peur du galonné…

 

La peur, oui, c’est bien la principale colonnedu temple soldatesque. L’armée : une boutique dans laquelle onpasse les consciences à la lessive et où les caractères, torduscomme des linges mouillés, sont placés sous le battoir ignoble dela discipline abrutissante.

Ce n’est que par la peur que le systèmemilitaire a pu s’établir. Ce n’est que par la peur qu’il semaintient. Il doit peser sur les imaginations par la terreur, commeil doit remplir d’obscurité l’âme des peuples pour les empêcher devoir au delà de l’horizon stupide des frontières. Il doits’entourer d’un appareil mystérieux, d’une sorte de pompereligieuse où l’horreur s’allie à la magnificence, où les fanfaresretentissent au milieu des hurlements du carnage, où l’on distingueconfusément, jetés pêle-mêle sur le manteau sanglant de la gloire,les panaches des généraux et les menottes des gendarmes, le bâtonde maréchal et les douze balles du peloton d’exécution, les palmesdu triomphe et les ossements des victimes.

Il lui faut cela pour que la foule s’étonne etle redoute, comme elle reste bouche bée devant un charlatan dont leclinquant et le panache l’attirent, mais dont elle se recule,craintive, aussitôt qu’elle a vu briller une pince dans la main del’opérateur. Il faut cela pour que le peuple, toujours en extasedevant le merveilleux qu’il ne cherche pas à approfondir, soitsaisi, à son aspect, d’une frayeur vague qui confine parfois àl’admiration. Sauvage qui se prosterne, plein de terreur et derespect, devant l’arme à feu qu’il ne s’explique pas et qui doit lefoudroyer.

Nous sommes ici trois cents hommes, l’écume del’armée, le vomissement de tous les régiments, mélange confus detous les caractères, scories de toutes les classes de la société.On peut trouver de tout, parmi nous, depuis le fils de famillejusqu’au rôdeur de barrières, depuis le lettré jusqu’à l’ignorant,depuis l’ouvrier jusqu’au mendigo tireur de pieds de biche, depuisle travailleur qui ne cane pas devant le turbin jusqu’au trimardeurqui va faire la chasse aux croûtes de pain avec un fusil de toile.Eh bien ! sur ces trois cents hommes, je suis sûr qu’il n’y ena pas vingt qui soient conscients, qui sachent pourquoi ils se sontirrités contre les prescriptions bêtes et les règlements atroces,pourquoi ils se sont soulevés contre la discipline, qui ne soientpas, au fond, des insurgés pour rire, des révoltés à la manque…

La peur les mène encore par l’oreille, cesréfractaires ; la peur, qui soutient tant d’abus et depréjugés pourris qu’on ficherait par terre en soufflant dessus, –s’ils n’étaient pas étayés par les dos terrifiés d’imbéciles qui neraisonnent point.

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