Biribi – Discipline Militaire

Chapitre 28

 

Je l’adore…

Ah ! si je pouvais les passer ici, commecela, les neuf mois qui me restent à faire !…

 

C’est pour rire… Le lieutenant Ponchard vientd’être appelé au commandement d’une compagnie d’un bataillond’Afrique, en Algérie, et c’est un sergent qui va le remplacercomme chef de détachement. Un Corse, ce sergent, et un Corse quim’en veut, un Corse qui m’a gardé rancune : Craponi.

Gare à moi !

 

Il n’y a pas une semaine qu’il est enfonctions que j’ai déjà pour plusieurs mois de bloc sur la planche.Je ne suis pas le seul, d’ailleurs, sur lequel se soit appesantiesa vengeance : nous sommes une douzaine en prison. Les gradés,que maintenait la bonhomie du lieutenant, ont repris courage et ontcomplètement changé d’allures, depuis l’arrivée de Craponi.

– Quel tas de vaches ! me ditAcajou, le soir, quand nous rentrons sous notre tombeau, aprèsavoir fait le peloton.

 

Il a raison, Acajou. Mais je n’ai plus queneuf mois à tirer, et je les défie bien de me faire faire un jourde plus.

– Ne défie personne, me souffle lefactionnaire qui nous garde et qui m’a entendu. Craponi parlait detoi tout à l’heure, avec Norvi ; tu sais, le pied-de-banc quivient de se rengager ?

J’insiste. Qu’ont-ils dit ?

– Presque rien. Norvi a touché sa primede rengagement et veut aller la manger – ou la boire – à Tunis.Pour arriver à ce beau résultat, il faut qu’il fasse passer unhomme au conseil de guerre.

– Et il a parlé de moi ?

– De toi et du Crocodile.

– Les canailles !

– Ils ne sont pas décidés. Ils vont jouervotre tête au piquet, en cent cinquante : Norvi joue pour leCrocodile et Craponi pour toi. J’ai entendu ça il y a cinq minutes,en passant devant leur baraque. Ils sont en train de jouer, àprésent.

– Promène-toi encore, sans avoir l’air derien, et tâche de savoir…

 

Un brusque éclat de voix me coupe laparole.

– Quinte et quatorze,quatre-vingt-quatorze ! j’ai gagné de trente !…

– C’est Craponi qui a gagné, me dit lefactionnaire, qui pâlit.

Je ne pâlis peut-être pas – je ne sais pas –mais j’ai un petit tremblement nerveux.

– Oui, c’est lui, mon vieux, tu asraison ! Seulement, tout n’est pas dit. À nous deux, labelle ! Ça va être drôle !…

 

Ça n’a pas été drôle du tout.

Pendant un mois, les chaouchs m’ontcherché de toutes les façons sans arriver à aucunrésultat, malgré leur méchanceté hypocrite. J’étais sûr de moi,certain d’aller jusqu’au bout, sans plier. Et je répétais la phraselamentable du soldat martyrisé par ses chefs : « Ilsauront la graisse, mais pas la peau. »

 

Un soir, mon pied a tourné sur un caillou. Lelendemain matin j’avais la cheville gonflée et je pouvais à peineme tenir debout. J’ai vu qu’il me serait impossible de faire lepeloton.

– Va montrer ton pied au sergent, m’a ditun camarade. Comme il n’y a pas de médecin ici, il sera forcé de tefaire remonter à Aïn-Halib et, pendant qu’on te soignera, tu serasmieux qu’ici, en prison.

Je monte clopin-clopant jusqu’à la baraque deschaouchs.

– Qu’est-ce que vous voulez ? vientme demander Craponi qui, étonné de me voir là, fait deux pasau-delà du seuil.

– Sergent, je me suis foulé le pied et jeviens vous demander…

– Attendez-moi là un moment.

Il est rentré dans la maison, et en est sortideux minutes après.

– Qu’est-ce que vous dites que vousavez ?

– J’ai le pied foulé, sergent, et jevoudrais monter à Aïn-Halib, pour me présenter devant le major,avec le convoi qui part aujourd’hui.

– Empoignez-moi cet homme-là,Cristo ! – Vous m’insultez ! vous m’insultez !

 

Trois gradés, deux sergents et un caporal, sesont précipités hors de la baraque. Ils m’ont saisi par les bras etpar le cou et m’ont traîné jusqu’à un gros arbre qui s’élève, seulet desséché, à une cinquantaine de pas de la route.

– Apportez-moi des cordes ! crieNorvi à un homme de garde.

– Mais qu’est-ce que j’ai fait,sergent ? Pourquoi m’attachez-vous ?

– Silence ! porco ! ou je vousmets le bâillon !

Ils m’ont attaché les pieds, les mains, etm’ont lié étroitement à l’arbre ; puis ils m’ont laisséseul.

 

Que penser ? que croire ? J’ai passéquatre heures à me les poser, ces deux questions, sans trouver deréponse, ou en trouvant trop ; ne sentant pas la morsure descordes qui m’entraient dans les chairs, mais avec la sensationd’une douleur sourde, causée par un coup de masse, sur la tête.

 

À neuf heures, le clairon sonne pour lalecture du rapport. Je tends l’oreille, mais il m’est impossible desurprendre autre chose qu’un bredouillement indécis.

– Rompez les rangs, marche !

Craponi se dirige vers moi, son cahier derapports à la main. Il s’arrête à trois pas, remuant deux secondesses lèvres blêmes.

– Froissard – huit jours de prison –lorsque le sergent chef de détachement lui faisait une observation,a répondu à ce dernier : « Tu me fais chier, bougred’idiot ! »

J’ai un hurlement.

– C’est faux ! Je ne vous ai pas ditça ! C’est faux !

– C’est vrai.

Le Corse me regarde en dessous, une placiditédouce dans ses deux yeux noirs d’hypocrite imperturbable. Il faitun demi-tour par principes et, en s’en allant :

– Insulte à un supérieur pendant ou àl’occasion du service, dix ans de travaux publics.

 

J’ai senti le froid d’une lame de couteaum’entrer entre les deux épaules.

Je suis perdu !

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