Biribi – Discipline Militaire

Chapitre 24

 

C’est le lieutenant Ponchard, cet officier quej’avais vu pour la première fois à Aïn-Alib, le 14 juillet, qui aremplacé à El-Ksob le capitaine Mafeugnat. Tout nouvellement arrivéde France, n’étant jamais sorti du Dépôt où il n’avait pas exercéde commandement direct, il n’a pas eu le temps d’acquérir la duretéet la sécheresse de cœur dont ses collègues se font gloire. On afait descendre d’Aïn-Alib, avec lui, des gradés dont la sévérité etla violence n’ont rien d’exagéré. La fleur des pois deschaouchs.

Par le fait, eu égard surtout au triste étatdans lequel nous nous trouvions il y a quelques jours à peine, nousne sommes pas trop malheureux. En dehors des heures de travail, onnous laisse à peu près tranquilles. Nous jouissons d’une certaineliberté – la liberté au bout d’une chaîne.

Nous continuons à déclarer ballon, parexemple. Ah ! oui, nous claquons du bec sérieusement.

– Maintenant, si l’on pouvait manger àpeu près à sa faim, disait l’autre jour Rabasse, on n’aurait pastrop à se plaindre… Mais comment faire pour arriver à un pareilrésultat ?

 

À force de se creuser la tête et de retournerla question sous toutes ses faces, il est arrivé à découvrir unmoyen : il s’est abouché en secret avec l’un des sapeurs dugénie qui surveillent les travaux du bordj, et le sapeur, alléchépar la promesse d’une forte prime, a consenti à se laisser adresserune certaine somme dont il remettra, en nature, le montant audisciplinaire.

– Oui, mon cher, m’a dit Rabasse qui m’afait part de sa combinaison, j’ai été obligé de lui promettrevingt-cinq pour cent. Et encore, il s’est fait tirer l’oreille,l’animal. Crois-tu que c’est assez salaud, des individuspareils ? Dame ! c’est un bon soldat, celui-là ; ilest inscrit sur le tableau d’avancement ! Il verrait crever desoif un Camisard qu’il ne lui donnerait pas un verre d’eau, maispour dix francs, il lui passera un litre d’absinthe. C’est joli, lasolidarité dans l’armée.

– À ta place, ai-je répondu, je ledénoncerais, quitte à perdre mon argent. Il ne l’aurait pasvolé.

– Bah ! qu’est-ce que tu veux ?Mieux vaut encore passer par là et ne pas crever de faim. Jecommence à en avoir assez, vois-tu, d’entendre hurler mesboyaux.

Moi aussi. Je pourrais, un jour sur deux,mettre mon estomac en location ou laisser mon tube digestif auvestiaire. Ce que j’ai souffert de la faim, dans ce satanépays !…

 

– Tu devrais faire comme moi, a concluRabasse, et te faire envoyer de l’argent.

Pourquoi pas ? Seulement, voilà : jene sais pas par qui m’en faire envoyer. Mes parents ? Je lesai saqués d’une sale façon, il y a déjà longtemps ;d’ailleurs, pour rien au monde, je ne voudrais leur demander unsou… Alors, quoi ?… Paf ! voilà que mes souvenirs qui sesont mis à danser une sarabande dans mon cerveau d’affamés’abattent sur la figure d’un cousin éloigné ; un bravegarçon, que je n’ai pas vu depuis longtemps, mais qui m’a toujoursporté un certain intérêt. Est-ce une raison pour croire qu’il vas’empresser de déposer son offrande sur l’autel de mafringale ? Puis-je espérer que la victime viendra elle-mêmetendre au couteau, qui ne demande qu’à l’ouvrir, non pas sa gorge,mais sa bourse ?

Essayons. Je joue du cousin. Je lui écris unelettre insidieuse et apitoyante. Je le prends par tous lesbouts ; je le tâte de tous les côtés. J’ai l’air d’un rétiairequi cherche à envelopper l’ennemi de son filet pour le percer deson trident.

Quatre pages ! c’est assez. Je ne lui dispas, dans ces quatre pages, que je suis aux Compagnies deDiscipline. Je ne veux pas effaroucher sa pudeur, mettre en dérouteses instincts honnêtes de bon bourgeois, le forcer à coller lesmains sur ses yeux. – J’aime bien mieux qu’il les mette à sa poche.– Je lui raconte une petite histoire : J’ai été envoyé dans leSud, tout dans le Sud, pour escorter une mission scientifiquechargée d’étudier les inscriptions romaines gravées sur les sablesdu désert. Il n’y a pas de bureaux de poste, dans ce pays-là.« Il y en aura peut-être un jour ; espérons-le du moins,cher cousin. » En attendant, je serais très heureux si monexcellent parent consentait à m’envoyer une certaine somme au nomdu sapeur Bompané qui me la fera parvenir sans faute. J’esquissemême un léger portrait du sapeur : la crème des honnêtes gens,un cœur d’or ; tout est sacré pour lui, etc. Je n’écris pas àmon père, ni à mon oncle, parce que je ne voudrais pas qu’ils sefissent du mauvais sang en me sachant si loin ; je ne sais pasau juste quand se terminera notre voyage. J’ai tout lieu de croire,cependant, que nous ne pousserons pas jusqu’aux sources du Nil.

Relisons un peu, pour voir. C’est ça, c’estça… tout y est : la chaleur, les gazelles, les palmiers, leschameaux. « Tous les jours, nous mangeons un bifteck dechameau… Quelquefois, nous sommes pressés par la soif. Quefaisons-nous ? Nous ouvrons la bosse d’un chameau, ceréservoir dont la Providence a gratifié le vaisseau du désert, etnous nous désaltérons en remerciant Dieu… Les chameaux restentquarante jours sans manger. C’est très curieux. » Je parleaussi des lions ; je consacre deux lignes à la hyène et unephrase entière au boa constrictor. Allons, ça n’a pas l’air d’allermal… Ah ! sacré nom d’une pipe ! j’ai oubliél’autruche ! Ça fait pourtant rudement bien, l’autruche !Vite : « À l’approche du chasseur, l’autruche enfouit satête dans le sable. » Maintenant, ça peut marcher. Voila unelettre, au moins, qui prouve que les pays que je visite fontquelque impression sur moi. J’éprouve des sensations. Je ressensquelque chose là, là, au spectacle des tableaux grandioses de lanature. Je ne vais pas le nez en l’air, comme un imbécile, sansrien voir, sans penser à rien. Ah ! mais non. Je sens, jevois, je vois même très bien ; et la preuve, c’est que je voisabsolument comme tous ceux qui ont vu avant moi. En relisantBuffon, mon cousin pourra constater que je ne le trompe pas.

Je porte ma lettre au vaguemestre etj’attends. Je sais que je ne pourrai pas avoir de réponse avant unedizaine de jours.

 

Nous travaillons toujours à la construction dubordj, un quadrilatère garni de casemates couvertes de voûtes enpierres et défendu par des bastions, aux deux angles opposés. Letravail est moins dur, maintenant que nous n’avons plus sur le dosla bande des étrangleurs ; seulement, il est plus compliqué.Le lieutenant du génie, qui est un roublard, a embauché quelquesItaliens pour la maçonnerie et nous a chargés, nous, d’extraire lapierre des carrières et de fabriquer la chaux et le plâtrenécessaires. Nous avons établi des fours et, pendant que les unsles remplissent, les autres s’en vont faire dans la montagne laprovision de bois indispensable. On ne nous escorte pas dans nospérégrinations et, pourvu que nous revenions avec un fagot à peuprès raisonnable, personne ne nous chicane. Nous n’abusons pasoutre mesure de la liberté qui nous est laissée ; nous enabusons un peu, naturellement, car l’homme n’est pas parfait etl’affamé moins que tout autre ; mais nous nous bornons àdévaliser par-ci par-là un Arabe dont les bourricots sont chargésde dattes, ou à enlever un agneau que nous faisons rôtir dans unravin. Il y a aussi, derrière les montagnes, des jardins plantés defiguiers où nous allons pousser des reconnaissances assez souvent.Les Arabes se sont aperçus que leurs fruits disparaissaient commepar enchantement et se sont mis à monter la garde. Au lieu de lesdétrousser en cachette, nous les avons détroussés en leur présenceet, comme ils ont fait mine de se rebiffer, nous leur avons flanquéune volée. Là-dessus, ils ont été se plaindre au camp, où lefactionnaire, naturellement, les a reçus à coups de crosse. Lesindigènes l’ont trouvée mauvaise ; ils ont pris le parti dedéposer une plainte au bureau arabe, à Aïn-Halib. Et, lorsque noussommes retournés dans les jardins pour faire notre petiteprovision, nous avons trouvé un vieil Arabe qui nous a fait voir deloin un bout de papier sortant à demi d’un étui de cuir qu’ilportait sur la poitrine. Le vieillard nous a fait comprendre que cepapier lui donnait le droit de nous faire mettre en prison, si nouspersistions à pénétrer sur ses terrains sans son autorisation.

– Tiens, c’est drôle, me dit leCrocodile. Qu’est-ce que ça peut être que ce papier-là ?

– Je ne sais pas, mais c’est bien facileà voir.

Et je m’approche du vieux, qui recule enfaisant de grands gestes. Il déclare qu’il a payé son papier centsous au bureau arabe et qu’il ne le laissera pas prendre. Je luiexplique que je ne tiens pas du tout à le lui prendre, mais que jevoudrais bien le voir, même d’un peu loin. L’Arabe se retire àl’écart, sort son papier de l’étui, le déplie soigneusement et mele montre, à trois pas.

J’en reste bleu. C’est une page de la Damede Montsoreau !

– Et tu as payé ça cent sous ?

L’Arabe me fait un signe affirmatif.

– Douro, douro.

Le Crocodile me frappe sur l’épaule.

– Épatant, hein ? Et dire qu’on faitpasser des hommes au conseil de guerre pour avoir perdu une brosseou volé des pommes de terre.

 

Un beau jour, on nous remplace dans nosfonctions de bûcherons et de chaufourniers par des indigènes quirapportent du bois sur des bourricots et qui font de la chaux à lagrâce de Dieu. Pour nous, nous sommes employés simplement à servirles maçons. Qu’est-ce que ce changement peut signifier ?

Un sapeur, sur les chantiers, nous donne laclef de l’énigme. Le lieutenant du génie attend un généralinspecteur des travaux. Or, comme il marque régulièrement etquotidiennement sur ses livres de comptes trente journéesd’indigènes porteurs de bois et trente journées d’indigèneschaufourniers, il ne se soucie guère d’être pris en flagrant délitde contradiction avec lui-même. Il tient à établir, pour un ou deuxjours, dans la pratique, l’équilibre qu’il a établi théoriquemententre les recettes et les dépenses.

 

Le général est passé, a examiné, a félicité ets’est retiré on ne peut plus satisfait, promettant au lieutenant lacroix qu’il a si bien méritée.

Le soir même, les Arabes ont été congédiés etn’ont plus figuré, à l’état d’auxiliaires, que sur les livres oùdes états de solde sont dressés périodiquement. Quel roublard, cetofficier du génie !

 

– Il la connaît dans les coins, ditBras-Court en hochant la tête, le soir, quand nous sommes réunisdans un coin du camp pour causer ou écouter des contes.

– Tout ça, voyez-vous, dit Acajou d’unton sentencieux, c’est voleur et compagnie. Seulement, il vautmieux ne pas dire tout haut ce qu’on en pense… Ah ! à qui letour de raser ? À toi, l’Amiral !

L’Amiral secoue la tête. Ce n’est pas à sontour. Queslier qui est assis sur une pierre, dans un coin, pensif,a l’air de se réveiller en sursaut.

– À qui le tour ?… C’est unehistoire que vous voulez ? Eh bien ! je vais vous enraconter une. Elle est drôle ; vous allez voir. Et puis, c’estune histoire de voleurs, ça fera votre affaire. Écoutez :

« Il y avait une fois un juif arabe quis’appelait Choumka. Il était de Karmouan, une grande ville dontvous devez avoir entendu parler, si vous ne la connaissez pas.C’était un de ces industriels comme vous avez pu en voir partout,surtout au commencement de l’expédition ; suivant lescolonnes, se promenant dans les villes de garnison porteur d’unméchant éventaire, criant : « Grand bazar ! À la bonmarché ! À la concurrence ! Kif-kif madame laFrance ! » vendant du papier à cigarettes, l’article deParis, la goutte et l’épicerie ; – la graine des mercantis,enfin, pelotant les soldats, les sous-officiers et les officiers, àmesure qu’ils avancent dans le commerce et devenant parfoisfournisseurs des denrées d’ordinaire en même temps que procureurspour les états-majors.

« En 1883, les fonctionnaires compétentsde la subdivision de Jouffe et le général E… qui la commandait,devaient adjuger à un ou plusieurs particuliers la fourniture dessubsistances et des moyens de transport pour tous les postes situésentre Jouffe et Karmouan, sur un parcours d’environ 150 kilomètres.Il y avait là des millions à extorquer à l’État. Les gros bonnetsle comprirent bien et se demandèrent pourquoi ils ne s’adjugeraientpas à eux-mêmes cette entreprise à laquelle on pouvait ajouter,d’ailleurs, celle de toutes les fournitures militaires :viande, alfa, orge et fourrages. Il n’y avait qu’unedifficulté : l’adjudication était publique et il étaitdifficile d’être en même temps adjudicateur et adjudicataire.L’état-major de Karmouan eut une idée splendide : il désigna àcelui de Jouffe un individu qui pourrait servir d’homme de paille.Cet individu était Choumka. L’idée fut fort goûtée et Choumka futaccepté avec enthousiasme, entre la poire et le fromage d’une orgiedont il avait sans doute procuré l’élément féminin.

« Tout le monde était émerveillé. Ce quec’était que le commerce ! Choumka, le mercanti, celui quiavait vendu la goutte aux soldats derrière la Kasbah, était devenufournisseur de toutes les subsistances militaires et des moyens detransport ! Il avait un parc d’arabas à Jouffe, un autre àKarmouan ! Que n’avait-il pas ? Il avait tout !

« Ça alla bien assez longtemps. Lesbailleurs de fonds et le titulaire de l’adjudication s’entendaientcomme larrons en foire. Ce dernier se contentait de la part que lelion voulait bien lui laisser, sans préjudice de la vente – combiende fois répétée – des mêmes bottes d’alfa ou de foin et des mêmessacs d’orge, qui ne sortaient de ses magasins que pour y revenir,le soir même, sur des prolonges escortées d’un maréchal des logisou autre adjudant. Choumka était aussi fournisseur des matériauxpour le génie, pierres, chaux, plâtre, etc. Il sut obtenir lesbonnes grâces du commandant supérieur du cercle et se fit donnerdes hommes de corvée qui travaillèrent à lui construire une maisonsur une des places de la ville. Un bataillon d’infanteriefournissait les hommes ; le génie, les plans et devis, lesoutils et les matériaux ; la maison avançait rapidement ;c’était une sorte de villa que devait habiter plus tardl’état-major…

« Quelle mouche les piqua tous, tout d’uncoup ? Quelle est la moukère que Choumka ne put ou ne voulutprocurer pour une petite soirée à la Poste ? – C’était làqu’avaient lieu les orgies et tous les hommes de mon bataillon quiont pris la faction au Trésor ont vu défiler les bacchanales. –Toujours est-il qu’on se fâcha. On enleva les outils du génie quise trouvaient dans la bâtisse, on supprima les hommes de corvée.Choumka, qui était évidemment devenu quelqu’un et qui s’étaitenrichi à nombre de tripotages, eut l’air de se moquer carrément deces messieurs. Il prit des ouvriers italiens et arabes et continuatranquillement sa maison.

« L’état-major fut piqué au vif. Ilrésolut de se venger et de jouer quelque bon tour à l’insolent quile narguait. Une occasion magnifique se présentait ; unsergent-major du génie venait justement de déserter avec une fortesomme d’argent, et s’était embarqué à Jouffe dans un tonneau. Onfit un inventaire au génie ; il manquait des outils. On fitdes perquisitions et l’on trouva chez Choumka quelques pelles ouquelques pioches qui y avaient été oubliées – ou rapportéesintentionnellement. – On mit Choumka en prison. Il se rebiffa,menaça de vendre la mèche. Alors, on voulut le faire sortir. Mais,tout d’un coup, il refusa. Il déclara que, puisqu’on l’avait mis enprison pour vol, il voulait qu’il y eût jugement ; et, malgrétoutes les démarches tentées pour le dissuader, il ne voulut pas endémordre. Il intenta enfin un procès au général E. et à sesacolytes et fit venir à Jouffe un grand avocat de Paris. On sefigurait que Choumka n’avait ni livres ni comptabilité ; toutau contraire, il produisit des registres d’entrée, de sortie, dedoit et d’avoir on ne peut plus en règle. On avait devant soi unvéritable négociant. L’affaire vint devant le conseil de guerreséant à Jouffe qui, quoi qu’il en eût, fut forcé d’accorder àChoumka des dommages-intérêts très considérables payables par legénéral E. et consorts, qui ne tardèrent pas à se voir rappelés enFrance.

« Choumka, lui, est toujoursadjudicataire de toutes les fournitures ; mais, maintenant,c’est parce que, grâce à sa fortune, il n’a plus de concurrents àredouter ; il détient tous les moyens de transport. Il va parKarmouan en burnous de soie, avec montre, chaîne et breloques en ormassif au gousset. Sa maison est superbement finie et les officiersde la garnison y sont ses très humbles locataires. –Voilà ».

 

Acajou, riant d’un rire sardonique, donne lamoralité :

– C’est un adroit filou qui en a rouléd’autres comme des chapeaux d’Auvergnats.

– Ah ! parbleu ! s’écrieRabasse, on l’a dit et c’est rudement vrai : les arméespermanentes sont une cause permanente de démoralisation. Tantqu’elles existeront…

– Oui, dit Queslier. Et elles existeronttant que la Révolution sociale ne les aura pas flanquées par terre.Ah ! ça ne serait pas malin, pourtant, vois-tu ; il y ena tant, de malheureux, qui ne demandent qu’à laisser là le pantalonrouge pour retourner chez eux ! Je suis sûr qu’avec un simpledécret…

J’interviens.

– Laisse-moi faire une supposition,Queslier. Je suppose que la Révolution soit faite. On a décrétél’abolition des armées permanentes. Le décret est porté à laconnaissance d’un colonel commandant un régiment dans une villequelconque. Aussitôt, il fait réunir ses deux mille hommes et leurlit la décision en question. Les deux mille hommes sont disposés àpartir, n’est-ce pas, Queslier ? et joyeusement,encore ?

– Naturellement.

– Oui. Mais le colonel fait suivre salecture de ces quelques mots : « Que ceux qui veulentabandonner le drapeau, délaisser les intérêts supérieurs de lapatrie, que ceux-là s’en aillent. Mais qu’ils restent, ceux qui neveulent pas déserter le champ d’honneur, qui veulent rester fidèlesau devoir militaire et bien mériter de leur pays ! »Alors, sur ces deux mille, sais-tu combien sortiront desrangs ? Cinquante, à peine ! Et si le colonel crie auxautres : « Fusillez-moi ces cinquantehommes ! » ce sera à qui, parmi les dix-neuf centcinquante, se précipitera pour les coller au mur !

Queslier réfléchit un instant.

– Oui. C’est vrai. À moins que, sur lescinquante hommes, il ne s’en trouve un qui lève son fusil et envoieune balle dans la peau du colonel. Alors, tout le régimentpartirait. Oui, il faudrait ça… c’est malheureux,pourtant !…

 

Peut-être. Mais à qui la faute si, aux yeux dela foule, le Droit lui-même doit chercher sa sanction dans la force– la force inutile souvent, et bête quelquefois ? – À qui lafaute si le peuple ne comprend pas encore qu’on puisse imprimer lesceau de l’éternité, autrement qu’avec du sang, sur la face desrévolutions ?

C’est l’aveuglement des peuples – ces pariashébétés par la misère et l’ignorance, ces souffrants dont lespassions ont toujours, au fond, quelque chose de religieux – quiréclame de la foi révolutionnaire des sacrifices sanglants et desscapulaires rouges.

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