Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Les Amours de Mars et de Vénus

 

Gélaste montre à Acante une tapisserie, ousont représentées les Amours de Mars et de Vénus, et lui parleainsi.

 

« Vous devez avoir luqu’autrefois le dieu Mars,

Blessé par Cupidon d’une flèche dorée,

Après avoir dompté les plus fermesremparts,

Mit le camp devant Cythèrée.

Le siège ne fut pas de fort longuedurée :

À peine Mars se présenta,

Que la belle parlementa.

 

Dans les formes pourtant ilentreprit l’affaire :

Par tous moyens tâcha de plaire :

De son ajustement prit d’abord un grandsoin.

Considérez-le en ce coin,

Qui quitte sa mine fière.

Il se fait attacher son plus richeharnois.

Quand ce serait pour des jours detournois,

On ne le verrait pas vêtu d’autre manière.

L’éclat de ses habits fait honte à l’œil dujour.

Sans cela, fit-on mordre aux Géants lapoussière,

Il est bien malaisé de rien faire enamour.

En peu de temps Mars emporta la dame.

Il la gagna peut-être, en lui contant saflamme :

Peut-être conta-t-il ses sièges, sescombats ;

Parla de contrescarpe, et cent autresmerveilles

Que les femmes n’entendent pas,

Et dont pourtant les mots sont doux à leursoreilles.

Voyez combien Vénus en ces lieux écartés

Aux yeux de ce guerrier étale debeautés :

Quels longs baisers ! la gloire a biendes charmes ;

Mais Mars en la servant ignore cesdouceurs.

Son harnois est sur l’herbe : Amour pourtoutes armes

Veut des soupirs et des larmes :

C’est ce qui triomphe des cœurs.

 

Phébus pour la déesse avaitmême dessein ;

Et charme de l’espoir d’une telle conquête

Couvait plus de feux dans son sein,

Qu’on n’en voyait à l’entour de sa tête.

C’était un dieu pourvu de cent charmesdivers.

Il était beau mais il faisait desvers ;

Avait un peu trop de doctrine ;

Et qui pis est, savait la médecine.

Or soyez sûr qu’en amours,

Entre l’homme d’épée et l’homme descience,

Les dames au premier inclineronttoujours ;

Et toujours le plumet aura la préférence.

Ce fut donc le guerrier qu’on aima mieuxchoisir.

Phébus outré de déplaisir

Apprit à Vulcan ce mystère ;

Et dans le fond d’un bois voisin de sonséjour,

Lui fit voir avec Mars la reine deCythère,

Qui n’avaient en ces lieux pour témoins quel’amour.

 

La peine de Vulcan se voitreprésentée :

Et l’on ne dirait pas que les traits en sontfeints.

II demeure immobile, et son âme agitée

Roule mille pensers qu’en ses yeux on voitpeints.

Son marteau lui tombe des mains.

Il a martel en tète, et ne sait querésoudre,

Frappé comme d’un coup de foudre.

Le voici dans cet autre endroit

Qui querelle et qui bat sa femme.

Voyez-vous ce galant qui les montre dudoigt ?

Au palais de Vénus il s’en allait toutdroit,

Espérant y trouver le sujet quil’enflamme.

La dame d’un logis, quand elle faitl’amour

Met le tapis chez elle à toutes lescoquettes

Dieu sait si les galants lui font aussi lacour.

Ce ne sont que jeux et fleurettes,

Plaisants devis et chansonnettes :

Mille bons mots, sans compter les bonstours,

Font que sans s’ennuyer chacun passe lesjours.

Celle que vous voyez apportait une lyre,

Ne songeant qu’à se réjouir.

Mais Vénus pour le coup ne la sauraitouïr :

Elle est trop empêchée, et chacun seretire.

Le vacarme que fait Vulcan,

A mis l’alarme au camp.

 

Mais avec tout ce bruit quegagne le pauvre homme ?

Quand les cœurs ont goûté les délicesd’Amour,

Ils iraient plutôt jusqu’à Rome,

Que de s’en passer un seul jour.

Sur un lit de repos voyez Mars et sa dame

Quand l’Hymen les joindrait de son nœud leplus fort,

Que l’un fut le mari, que l’autre fut lafemme,

On ne pourrait entre eux voir un plus belaccord.

Considérez plus bas les trois Grâcespleurantes :

La maîtresse a failli, l’on punit lessuivantes.

Vulcan veut tout chasser. Mais quels dragonsveillants

Pourraient contre tant d’assaillants,

Garder une toison si chère ?

Il accuse sur tous l’enfant qui faitaimer :

Et se prenant au fils des pêchés de lamère

Menace Cupidon de le faire enfermer.

 

Ce n’est pas tout :plein d’un dépit extrême

Le voilà qui se plaint au monarque desdieux ;

Et de ce qu’il devrait se cacher àsoi-même,

Importune sans cesse et la terre et lescieux.

L’adultère Jupin, d’un ris malicieux,

Lui dit que ce malheur est pure fantaisie,

Et que de s’en troubler les esprits sont bienfous.

Plaise au ciel que jamais je n’entre enjalousie ;

Car c’est le plus grand mal, et le moinsplaint de tous.

 

Que fait Vulcan ? carpour se voir vengé,

Encor faut-il qu’il fasse quelque chose.

Un rets d’acier par ses mains estforgé :

Ce fut Momus qui je pense en fut cause.

Avec ce rets le galant lui propose

D’envelopper nos amants bien et beau.

L’enclume sonne ; et maint coup demarteau,

Dont maint chaînon l’un à l’autres’assemble,

Prépare aux dieux un spectacle nouveau

De deux Amants qui reposent ensemble.

 

Les noires Sœurs apprêtèrentle lit :

Et nos amants trouvant l’heure opportune,

Sous le réseau pris en flagrant délit,

De s’échapper n’eurent puissance aucune.

Vulcan fait lors éclater sa rancune :

Tout en clopant le vieillard éclopé

Semond les dieux, jusqu’au plus occupé,

Grands et petits, et toute la séquelle.

Demandez-moi qui fut bien attrapé ;

Ce fut, je crois, le galant et la belle.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer