Contes et Nouvelles en vers – Livre I

À femme avare galant escroc

 

Qu’un homme soit plumé pardes coquettes,

Ce n’est pour faire au miracle crier.

Gratis est mort : plus d’amour sanspayer :

En beaux louis se content les fleurettes.

Ce que je dis, des coquettes s’entend.

Pour notre honneur si me faut-il pourtant

Montrer qu’on peut nonobstant leur adresse

En attraper au moins une entre cent ;

Et lui jouer quelque tour de souplesse.

 

Je choisirai pour exempleGulphar.

Le drôle fit un trait de franc soudard,

Car aux faveurs d’une belle il eut part

Sans débourser, escroquant la chrétienne.

Notez ceci, et qu’il vous en souvienne

Galants d’épée ; encor bien que cetour

Pour vous styler soit fort peunécessaire ;

Je trouverais maintenant à la cour

Plus d’un Gulphar si j’en avais affaire.

 

Celui-ci donc chez sireGasparin

Tant fréquenta, qu’il devint à la fin

De son épouse amoureux sans mesure.

Elle était jeune, et belle créature,

Plaisait beaucoup, fors un point quigâtait

Toute l’affaire, et qui seul rebutait

Les plus ardents ; c’est qu’elle étaitavare.

Ce n’est pas chose en ce siècle fort rare.

Je l’ai jà dit, rien n’y font les soupirs.

Celui-là parle une langue barbare

Qui l’or en main n’explique ses désirs.

Le jeu, la jupe, et l’amour des plaisirs,

Sont les ressorts que Cupidonemploie :

De leur boutique il sort chez les François

Plus de cocus que du cheval de Troie

Il ne sortit de héros autrefois.

Pour revenir à l’humeur de la belle,

Le compagnon ne put rien tirer d’elle

Qu’il ne parlât. Chacun sait ce que c’est

Que de parler le lecteur s’il lui plaît,

Me permettra de dire ainsi la chose.

Gulphar donc parle, et si bien qu’ilpropose

Deux cents écus. La belle l’écouta :

Et Gasparin à Gulphar les prêta

(Ce fut le bon), puis aux champs s’enalla,

Ne soupçonnant aucunement sa femme.

Gulphar les donne en présence de gens.

« Voilà, dit-il, deux cents écuscomptants,

Qu’à votre époux vous donnerez,Madame. »

La belle crut qu’il avait dit cela

Par politique, et pour jouer son rôle.

Le lendemain elle le régala

Tout de son mieux, en femme de parole.

Le drôle en prit ce jour et les suivants

Pour son argent, et même avec usure :

À bon payeur on fait bonne mesure.

 

Quand Gasparin fut de retourdes champs,

Gulphar lui dit, son épouseprésente :

« J’ai votre argent à Madame rendu,

N’en ayant eu pour une affaire urgente

Aucun besoin, comme je l’avais cru :

Déchargez-en votre livre de grâce. »

À ce propos aussi froide que glace,

Notre galande avoua le reçu.

Qu’eut-elle fait ? on eut prouvé lachose.

Son regret fut d’avoir enflé la dose

De ses faveurs ; c’est ce qui lafâchait :

Voyez un peu la perte que c’était !

 

En la quittant, Gulphar allatout droit

Conter ce cas, le corner par la ville

Le publier, le prêcher sur les toits

De l’en blâmer il serait inutile :

Ainsi vit-on chez nous autres François.

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