Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Le Gascon puni

 

Un Gascon, pour s’êtrevanté

De posséder certaine belle

Fut puni de sa vanité

D’une façon assez nouvelle.

Il se vantait à faux et ne possédait rien.

Mais quoi ! tout médisant est prophète ence monde

On croit le mal d’abord, mais à l’égard dubien

Il faut qu’un public en réponde.

La dame cependant du Gascon semoquait :

Même au logis pour lui rarement elleétait :

Et bien souvent qu’il la traitait

D’incomparable et de divine,

La belle aussitôt s’enfuyait,

S’allant sauver chez sa voisine.

 

Elle avait nom Philis, sonvoisin Eurilas,

La voisine Cloris, le Gascon Dorilas,

Un sien ami, Damon : c’est tout, si j’aimémoire.

Ce Damon, de Cloris, à ce que ditl’histoire,

Était amant aimé, galant, comme on voudra,

Quelque chose de plus encor que tout cela.

Pour Philis, son humeur libre, gaie, etsincère

Montrait qu’elle était sans affaire,

Sans secret, et sans passion.

On ignorait le prix de sapossession :

Seulement à l’user chacun la croyaitbonne.

Elle approchait vingt ans ; et venaitd’enterrer

Un mari (de ceux-là que l’on perd sanspleurer,

Vieux barbon qui laissait d’écus plein unetonne.)

En mille endroits de sa personne

La belle avait de quoi mettre un Gascon auxcieux,

Des attraits par-dessus les yeux,

Je ne sais quel air de pucelle,

Mais le cœur tant soit peu rebelle ;

Rebelle toutefois de la bonne façon.

Voilà Philis. Quant au Gascon,

Il était Gascon, c’est tout dire.

 

Je laisse à penser si lesire

Importuna la veuve, et s’il fit desserments

Ceux des Gascons et des Normands

Passent peu pour mots d’Évangile.

C’était pourtant chose facile

De croire Dorilas de Philisamoureux ;

Mais il voulait aussi que l’on le crutheureux.

Philis dissimulant, dit un jour à cethomme :

« Je veux un service de vous :

Ce n’est pas d’aller jusqu’à Rome ;

C’est que vous nous aidiez à tromper unjaloux.

La chose est sans péril, et même fortaisée.

Nous voulons que cette nuit-ci

Vous couchiez avec le mari

De Cloris, qui m’en a priée.

Avec Damon s’étant brouillée,

Il leur faut une nuit entière, etpar-delà,

Pour démêler entre eux tout cedifférend-là.

Notre but est qu’Eurilas pense,

Vous sentant près de lui, que ce soit samoitié.

Il ne lui touche point, vit dedansl’abstinence,

Et, soit par jalousie, ou bien parimpuissance,

A retranché d’hymen certains droitsd’amitié ;

Ronfle toujours, fait la nuit d’unetraite :

C’est assez qu’en son lit il trouve unecornette.

Nous vous ajusterons : enfin, ne craignezrien :

Je vous récompenserai bien. »

 

Pour se rendre Philis un peuplus favorable,

Le Gascon eut couché, dit-il, avec lediable.

La nuit vient, on le coiffe, on le met augrand lit,

On éteint les flambeaux, Eurilas prend saplace ;

Du Gascon la peur se saisit ;

Il devient aussi froid que glace ;

N’oserait tousser ni cracher,

Beaucoup moins encor s’approcher :

Se fait petit, se serre, au bord se vanicher,

Et ne tient que moitié de la riveoccupée :

Je crois qu’on l’aurait mis dans un fourreaud’épée.

Son coucheur cette nuit se retourna centfois ;

Et jusque sur le nez lui porta certainsdoigts

Que la peur lui fit trouver rudes.

Le pis de ses inquiétudes,

C’est qu’il craignait qu’enfin un capriceamoureux

Ne prit à ce mari : tels cas sontdangereux,

Lorsque l’un des conjoints se sent privé dusomme.

Toujours nouveaux sujets alarmaient le pauvrehomme.

L’on étendait un pied ; l’on approchaitun bras :

Il crut même sentir la barbe d’Eurilas.

Mais voici quelque chose à mon sens deterrible.

Une sonnette était près du chevet dulit :

Eurilas de sonner, et faire un bruithorrible.

Le Gascon se pâme à ce bruit ;

Cette fois-là se croit détruit,

Fait un vœu, renonce à sa dame ;

Et songe au salut de son âme.

Personne ne venant, Eurilas s’endormit.

 

Avant qu’il fut jour onouvrit

Philis l’avait promis ; quand voici deplus belle

Un flambeau comble de tous maux.

Le Gascon après ces travaux

Se fût bien levé sans chandelle.

Sa perte était alors un point tout assuré.

On approche du lit. Le pauvre hommeéclaire

Prie Eurilas qu’il lui pardonne.

« Je le veux », dit une personne

D’un ton de voix rempli d’appas.

C’était Philis, qui d’Eurilas

Avait tenu la place, et qui sans tropattendre

Tout en chemise s’alla rendre

Dans les bras de Cloris qu’accompagnaitDamon.

C’était, dis-je, Philis, qui conta duGascon

La peine et la frayeur extrême

Et qui pour l’obliger à se tuer soi-même,

En lui montrant ce qu’il avait perdu,

Laissait son sein à demi-nu.

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