Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Le Petit Chien qui secoue de l’argent etdes pierreries

 

La clef du coffre-fort et descœurs c’est la même :

Que si ce n’est celle des cœurs,

C’est du moins celle des faveurs :

Amour doit à ce stratagème

La plus grand’part de ses exploits :

A-t-il épuisé son carquois,

Il met tout son salut en ce charmesuprême.

Je tiens qu’il a raison ; car qui haitles présents ?

Tous les humains en sont friands,

Princes, rois, magistrats : ainsi quandune belle

En croira l’usage permis,

Quand Vénus ne fera que ce que faitThémis,

Je ne m’écrierai pas contre elle.

On a bien plus d’une querelle

À lui faire sans celle-là.

 

Un juge mantouan belle femmeépousa.

Il s’appelait Anselme ; on la nommaitArgie ;

Lui déjà vieux barbon ; elle jeune etjolie,

Et de tous charmes assortie.

L’époux non content de cela,

Fit si bien par sa jalousie

Qu’il rehaussa de prix celle-là quid’ailleurs

Méritait de se voir servie

Par les plus beaux et les meilleurs

Elle le fut aussi : d’en dire lamanière

Et comment s’y prit chaque amant,

Il serait long : suffit que cet objetcharmant

Les laissa soupirer, et ne s’en émutguère.

 

Amour établissait chez lejuge ses lois ;

Quand l’état mantouan, pour chose de grandpoids

Résolut d’envoyer ambassade au saint-père.

Comme Anselme était juge, et de plusmagistrat,

Vivait avec assez d’éclat,

Et ne manquait pas de prudence,

On le députe en diligence

Ce ne fut pas sans résister

Qu’au choix qu’on fit de lui consentit le bonhomme :

L’affaire était longue à traiter ;

Il devait demeurer dans Rome

Six mois, et plus encor ; que savait-ilcombien ?

Tant d’honneur pouvait nuire au conjugallien :

Longue ambassade et long voyage

Aboutissent à cocuage.

Dans cette crainte notre époux

Fit cette harangue à la belle :

« On nous sépare, Argie ; adieu,soyez fidèle

À celui qui n’aime que vous.

Jurez-le-moi : car entre nous

J’ai sujet d’être un peu jaloux.

Que fait autour de notre porte

Cette soupirante cohorte ?

Vous me direz que jusqu’ici

La cohorte a mal réussi :

Je le crois ; cependant pour plus grandeassurance

Je vous conseille en mon absence

De prendre pour séjour notre maison deschamps :

Fuyez la ville, et les amants,

Et leurs présents ;

L’invention en est damnable ;

Des machines d’Amour c’est la plusredoutable :

De tout temps le monde a vu Don

Être le père d’abandon :

Déclarez-lui la guerre ; et soyez sourde,Argie,

À sa sœur la cajolerie.

Dès que vous sentirez approcher lesblondins,

Fermez vite vos yeux, vos oreilles, vosmains.

Rien ne vous manquera ; je vous fais lamaîtresse

De tout ce que le ciel m’a donné derichesse :

Tenez, voilà les clefs de l’argent, despapiers ;

Faites-vous payer des fermiers ;

Je ne vous demande aucun compte :

Suffit que je puisse sans honte

Apprendre vos plaisirs ; je vous lespermets tous,

Hors ceux d’amour, qu’à votre époux

Vous garderez entiers pour son retour deRome. »

C’en était trop pour le bon homme ;

Hélas il permettrait tous plaisirs hors unpoint

Sans lequel seul il n’en est point.

Son épouse lui fit promesse solennelle

D’être sourde, aveugle, et cruelle ;

Et de ne prendre aucun présent :

Il la retrouverait au retour toute telle,

Qu’il la laissait en s’en allant

Sans nul vestige de galant.

 

Anselme étant parti, toutaussitôt Argie

S’en alla demeurer aux champs ;

Et tout aussitôt les amants

De l’aller voir firent partie.

Elle les renvoya ; ces gensl’embarrassaient,

L’attiédissaient, l’affadissaient,

L’endormaient en contant leurflamme ;

Ils déplaisaient tous à la dame,

Hormis certain jeune blondin,

Bien fait, et beau par excellence ;

Mais qui ne put par sa souffrance

Amener à son but cet objet inhumain.

Son nom c’était Atis, son métierpaladin :

Il ne plaignit en son dessein

Ni les soupirs ni la dépense.

Tout moyen par lui fut tenté :

Encor si des soupirs il se futcontenté !

La source en est inépuisable ;

Mais de la dépense c’est trop.

Le bien de notre amant s’en va le grandgalop ;

Voilà notre homme misérable.

Que fait-il ? il s’éclipse, il part, ilva chercher

Quelque désert pour se cacher.

En chemin il rencontre un homme,

Un manant, qui fouillant avecque sonbâton,

Voulait faire sortir un serpent d’unbuisson ;

Atis s’enquit de la raison.

« C’est, reprit le manant, afin que jel’assomme.

Quand j’en rencontre sur mes pas,

Je leur fais de pareilles fêtes.

– Ami, reprit Atis, laisse-le ; n’est-ilpas

Créature de Dieu comme les autresbêtes ? »

Il est à remarquer que notre paladin

N’avait pas cette horreur commune au genrehumain

Contre la gent reptile, en toute sonespèce ;

Dans ses armes il en portait ;

Et de Cadmus il descendait,

Celui-là qui devint serpent sur savieillesse.

Force fut au manant de quitter sondessein.

Le serpent se sauva ; notre amant à lafin

S’établit dans un bois écarté,solitaire :

Le silence y faisait sa demeure ordinaire,

Hors quelque oiseau qu’on entendait,

Et quelque Écho qui répondait.

Là le bonheur et la misère

Ne se distinguaient point, égaux endignité

Chez les loups qu’hébergeait ce lieu peufréquenté.

Atis n’y rencontra nulle tranquillité.

Son amour l’y suivit ; et cettesolitude

Bien loin d’être un remède à soninquiétude

En devint même l’aliment

Par le loisir qu’il eut d’y plaindre sontourment.

Il s’ennuya bientôt de ne plus voir sabelle.

« Retournons, ce dit-il, puisque c’estnotre sort :

Atis il t’est plus doux encor

De la voir ingrate et cruelle,

Que d’être privé de ses traits,

Adieu ruisseaux, ombrages frais,

Chants amoureux de Philomèle ;

Mon inhumaine seule attire à soi messens ;

Éloigne de ses yeux je ne vois nin’entends.

L’esclave fugitif se va remettre encore

En ses fers quoique durs, mais hélas tropchéris. »

 

Il approchait des murs qu’unefée a bâtis,

Quand sur les bords du Mince, à l’heure quel’Aurore

Commence à s’éloigner du séjour de Téthys,

Une nymphe en habit de reine,

Belle, majestueuse, et d’un regardcharmant

Vint s’offrir tout d’un coup aux yeux dupauvre amant

Qui rêvait alors à sa peine.

« Je veux, dit-elle, Aris que vous soyezheureux :

Je le veux, je le puis, étant Manto la fée

Votre amie et votre obligée ;

Vous connaissez ce nom fameux

Mantoue en tient le sien : jadis en cetteterre

J’ai posé la première pierre

De ces murs, en durée égaux aux bâtiments

Dont Memphis voit le Nil laver lesfondements.

La Parque est inconnue à toutes mespareilles :

Nous opérons mille merveilles

Malheureuses pourtant de ne pouvoirmourir ;

Car nous sommes d’ailleurs capables desouffrir.

Toute l’infirmité de la naturehumaine :

Nous devenons serpents un jour de lasemaine.

Vous souvient-il qu’en ce lieu-ci

Vous en tirâtes un de peine ?

C’était moi qu’un manant s’en allaitassommer

Vous me donnâtes assistance :

Atis je veux pour récompense

Vous procurer la jouissance

De celle qui vous fait aimer.

Allons-nous-en la voir je vous donneassurance

Qu’avant qu’il soit deux jours de temps

Vous gagnerez par vos présents

Argie et tous ses surveillants.

Dépensez, dissipez, donnez à tout lemonde,

À pleines mains répandez l’or,

Vous n’en manquerez point, c’est pour vous letrésor

Que Lucifer me garde en sa grotteprofonde.

Votre belle saura quel est notre pouvoir.

Même pour m’approcher de cette inexorable,

Et vous la rendre favorable,

En petit chien vous m’allez voir

Faisant mille tours sur l’herbette ;

Et vous en pèlerin jouant de la musette

Me pourrez à ce son mener chez la beauté

Qui tient votre cœur enchanté. »

Aussitôt fait que dit ; notre amant et lafée

Changent de forme en un instant :

Le voilà pèlerin chantant comme un Orphée,

Et Manto petit chien faisant tours etsautant.

Ils vont au château de la belle,

Valets et gens du lieu s’assemblent autourd’eux :

Le petit chien fait rage ; aussi faitl’amoureux ;

Chacun danse, et Guillot fait sauterPerronnelle

Madame entend ce bruit, et sa nourrice ycourt.

On lui dit qu’elle vienne admirer à sontour

Le roi des épagneux, charmante créature,

Et vrai miracle de nature.

Il entend tout, il parle, il danse, il faitcent tours :

Madame en fera ses amours ;

Car veuille ou non son maître, il faut qu’ille lui vende

S’il n’aime mieux le lui donner.

La nourrice en fait la demande.

Le pèlerin sans tant tourner

Lui dit tout bas le prix qu’il veut mettre àla chose ;

Et voici ce qu’il lui propose :

« Mon chien n’est point à vendre, àdonner encor moins,

Il fournit à tous mes besoins :

Je n’ai qu’à dire trois paroles,

Sa patte entre mes mains fait tomber àl’instant

Au lieu de puces des pistoles,

Des perles, des rubis, avec maint diamant.

C’est un prodige enfin : Madamecependant

En a comme on dit la monnoie

Pourvu que j’aye cette joie

De coucher avec elle une nuit seulement

Favori sera sien dès le mêmemoment. »

 

La proposition surprit fortla nourrice.

« Quoi Madame l’ambassadrice !

Un simple pèlerin ! Madame à sonchevet

Pourrait voir un bourdon ! et si l’on lesavait

Si cette même nuit quelque hôpital avait

Hébergé le chien et son maître !

Mais ce maître est bien fait, et beau comme lejour ;

Cela fait passer en amour

Quelque bourdon que ce puisse être.

Atis avait changé de visage et de traits.

On ne le connut pas, c’étaient d’autresattraits.

La nourrice ajoutait : « À gens decette mine

Comment peut-on refuser rien ?

Puis celui-ci possède un chien

Que le royaume de la Chine

Ne paierait pas de tout son or :

Une nuit de Madame aussi c’est untrésor. »

J’avais oublié de vous dire

Que le drôle à son chien feignit de parlerbas.

Il tombe aussitôt dix ducats,

Qu’a la nourrice offre le sire :

Il tombe encore un diamant.

Atis en riant le ramasse.

« C’est, dit-il, pour Madame ;obligez-moi de grâce

De le lui présenter avec mon compliment.

Vous direz à Son Excellence

Que je lui suis acquis. » La nourrice àces mots

Court annoncer en diligence

Le petit chien et sa science,

Le pèlerin et son propos.

Il ne s’en fallut rien qu’Argie

Ne battît sa nourrice. « Avoirl’effronterie

De lui mettre en l’esprit une telleinfamie !

Avec qui ? si c’était encor le pauvreAtis !

Hélas, mes cruautés sont cause de saperte.

Il ne me proposa jamais de tels partis.

Je n’aurais pas d’un roi cette chosesoufferte,

Quelque don que l’on pût m’offrir,

Et d’un porte bourdon je la pourraissouffrir,

Moi qui suis une ambassadrice !

– Madame, reprit la nourrice,

Quand vous seriez impératrice,

Je vous dis que ce pèlerin

A de quoi marchander, non pas unemortelle,

Mais la déesse la plus belle.

Atis votre beau paladin

Ne vaut pas seulement un doigt dupersonnage.

– Mais mon mari m’a fait jurer !

Eh quoi ? de lui garder la foi demariage.

Bon jurer ? ce serment vous lie-t-ildavantage

Que le premier n’a fait ? qui l’iradéclarer ?

Qui le saura ? j’en vois marcher têtelevée,

Qui n’iraient pas ainsi, j’ose vousl’assurer,

Si sur le bout du nez tache pouvaitmontrer

Que telle chose est arrivée :

Cela nous fait-il empirer,

D’une ongle ou d’un cheveu ? non Madameil faut être

Bien habile pour reconnaître

Bouche ayant employé son temps et sesappas

D’avec bouche qui s’est tenue à ne rienfaire ;

Donnez-vous, ne vous donnez pas,

Ce sera toujours même affaire ;

Pour qui ménagez-vous les trésors del’Amour ?

Pour celui qui je crois ne s’en serviraguère ;

Vous n’aurez pas grand-peine à fêter sonretour. »

La fausse vieille sut tant dire,

Que tout se réduisit seulement à douter

Des merveilles du chien, et des charmes dusire :

Pour cela l’on les fit monter :

La belle était au lit encore.

L’univers n’eut jamais d’aurore

Plus paresseuse à se lever.

Notre feint pèlerin traverse la ruelle,

Comme un homme ayant vu d’autres gens que dessaints.

Son compliment parut galant et des plusfins :

II surprit et charma la belle.

« Vous n’avez pas, ce lui dit-elle,

La mine de vous en aller

À Saint Jacques de Compostelle. »

Cependant pour la régaler,

Le chien à son tour entre en lice.

On eût vu sauter Favori

Pour la dame et pour la nourrice,

Mais point du tout pour le mari.

Ce n’est pas tout ; il sesecoue :

Aussitôt perles de tomber,

Nourrice de les ramasser,

Soubrettes de les enfiler,

Pèlerin de les attacher,

À de certains bras dont il loue

La blancheur et le reste ; Enfin il faitsi bien

Qu’avant que partir de la place

On traite avec lui de son chien

On lui donne un baiser pour arrhes de lagrâce

Qu’il demandait ; et la nuitvint ;

Aussitôt que le drôle tint

Entre ses bras madame Argie,

Il redevint Atis ; la dame en futravie ;

C’était avec bien plus d’honneur

Traiter Monsieur l’ambassadeur.

Cette nuit eut des sœurs, et même en très bonnombre

Chacun s’en aperçut ; car d’enfermer sousl’ombre

Une telle aise, le moyen ?

Jeunes gens font-ils jamais rien

Que le plus aveugle ne voie ?

À quelques mois de là le saint-pèrerenvoie

Anselme avec force pardons,

Et beaucoup d’autres menus dons.

Les biens et les honneurs pleuvaient sur sapersonne.

De son vice gérant il apprend tous lessoins :

Bons certificats des voisins :

Pour les valets, nul ne lui donne

D’éclaircissement sur cela.

Monsieur le juge interrogea

La nourrice avec les soubrettes

Sages personnes et discrètes.

Il n’en put tirer ce secret :

Mais comme parmi les femelles

Volontiers le diable se met,

Il survint de telles querelles,

La dame et la nourrice eurent de telsdébats

Que celle-ci ne manqua pas

À se venger de l’autre, et déclarerl’affaire.

Dût-elle aussi se perdre, il fallut toutconter.

D’exprimer jusqu’où la colère

Ou plutôt la fureur de l’époux put monter

Je ne tiens pas qu’il soit possible ;

Ainsi je m’en tairai : on peut par leseffets

Juger combien Anselme était hommesensible.

Il choisit un de ses valets,

Le charge d’un billet, et mande que Madame

Vienne voir son mari malade en lacité :

La belle n’avait point son villagequitté :

L’époux allait venait, et laissait là safemme.

« Il te faut en chemin écarter tous sesgens,

Dit Anselme au porteur de ces ordrespressants :

La perfide a couvert mon frontd’ignominie.

Pour satisfaction je veux avoir sa vie.

Poignarde-la ; mais prends tontemps :

Tâche de te sauver : voilà pour taretraite,

Prends cet or : si tu fais ce qu’Anselmesouhaite,

Et punis cette offense-là,

Quelque part que tu sois, rien ne temanquera. »

 

Le valet va trouverArgie,

Qui par son chien est avertie.

Si vous me demandez comme un chienavertit,

Je crois que par la jupe il tire,

Il se plaint, il jappe, il soupire,

Il en veut à chacun ; pour peu qu’on aitd’esprit,

On entend bien ce qu’il veut dire.

Favori fit bien plus ; et tout bas ilapprit

Un tel péril à sa maîtresse.

« Partez pourtant, dit-il, on ne vousfera rien :

Reposez-vous sur moi ; j’en empêcheraibien

Ce valet à l’âme traîtresse. »

 

Ils étaient en chemin, prèsd’un bois qui servait

Souvent aux voleurs de refuge :

Le ministre cruel des vengeances du juge

Envoie un peu devant le train qui lessuivait ;

Puis il dit l’ordre qu’il avait.

La dame disparaît aux yeux du personnage

Manto la cache en un nuage.

 

Le valet étonné retourne versl’époux,

Lui conte le miracle ; et son maître encourroux

Va lui-même à l’endroit. Ô prodige ! ômerveille !

Il y trouve un palais de beauté sanspareille :

Une heure auparavant c’était un champ toutnu.

Anselme à son tour éperdu,

Admire ce palais bâti, non pour deshommes,

Mais apparemment pour des dieux :

Appartements dorés, meubles très précieux

Jardins et bois délicieux ;

On aurait peine à voir en ce siècle ou noussommes

Chose si magnifique et si riante aux yeux.

Toutes les portes sont ouvertes ;

Les chambres sans hôte, et désertes ;

Pas une âme en ce Louvre ; excepté qu’àla fin

Un More très lippu, très hideux, trèsvilain,

S’offre aux regards du juge, et semble lacopie

D’un Ésope d’Éthiopie.

Notre magistrat l’ayant pris

Pour le balayeur du logis,

Et croyant l’honorer lui donnant cetoffice

« Cher ami, lui dit-il, apprends-nous àquel dieu

Appartient un tel édifice ?

Car de dire un roi, c’est trop peu.

Il est à moi, » reprit le More.

Notre juge à ces mots se prosterne,l’adore,

Lui demande pardon de sa témérité.

« Seigneur, ajouta-t-il, que VotreDéité

Excuse un peu mon ignorance.

Certes tout l’univers ne vaut pas lachevance

Que je rencontre ici. » Le More luirépond :

« Veux-tu que je t’en fasse undon ?

De ces lieux enchantés je te rendrai lemaître,

À certaine condition.

Je ne ris point ; tu pourras être

De ces lieux absolu seigneur,

Si tu me veux servir deux jours d’enfantd’honneur…

… Entends-tu ce langage,

Et sais-tu quel est cet usage ?

Il te le faut expliquer mieux.

Tu connais l’échanson du monarque desdieux ?

 

ANSELME

 

Ganymède ?

 

LE MORE

 

Celui-là même.

Prends que je sois Jupin le monarquesuprême ;

Et que tu sois le jouvenceau :

Tu n’es pas tout à fait si jeune ni sibeau.

 

ANSELME

 

Ah Seigneur, vous raillez, c’est chose partrop sûre :

Regardez la vieillesse, et lamagistrature.

 

LE MORE

 

Moi railler ? point du tout.

 

ANSELME

 

Seigneur.

 

LE MORE

 

Ne veux-tu point ?

 

ANSELME

 

Seigneur… »

Anselme ayant examiné ce point,

Consent à la fin au mystère.

Maudite amour des dons que ne fais-tu pasfaire !

En page incontinent son habit estchangé :

Toque au lieu de chapeau, haut-de-chaussestroussé :

La barbe seulement demeure au personnage.

 

L’enfant d’honneur Anselmeavec cet équipage

Suit le More partout. Argie avait ouï

Le dialogue entier, en certain coincachée.

Pour le More lippu, c’était Manto la fée,

Par son art métamorphosée,

Et par son art ayant bâti

Ce Louvre en un moment, par son art fait unpage

Sexagénaire et grave. À la fin au passage

D’une chambre en une autre, Argie à sonmari

Se montre tout d’un coup : « Est-ceAnselme, dit-elle

Que je vois ainsi déguisé ?

Anselme ? il ne se peut ; mon œils’est abusé.

Le vertueux Anselme à la sage cervelle

Me voudrait-il donner une telleleçon ?

C’est lui pourtant. Oh oh, Monsieur notrebarbon

Notre législateur, notre hommed’ambassade,

Vous êtes à cet âge homme demascarade ?

Homme de … ? la pudeur me défendd’achever.

Quoi ! vous jugez les gens à mort pourmon affaire,

Vous qu’Argie a pensé trouver

En un fort plaisant adultère !

Du moins n’ai-je pas pris un More pourgalant :

Tout me rend excusable, Atis, et sonmérite,

Et la qualité du présent.

Vous verrez tout incontinent

Si femme qu’un tel don à l’amour sollicité

Peut résister un seul moment.

More devenez chien. » Tout aussitôt leMore

Redevient petit chien encore.

« Favori, que l’on danse. » À cesmots, Favori

Danse, et tend la patte au mari.

« Qu’on fasse tomber despistoles ! »

Pistoles tombent à foison.

« Eh bien qu’en dites-vous ? sont-cechoses frivoles ?

C’est de ce chien qu’on m’a fait don.

Il a bâti cette maison.

Puis faites-moi trouver au monde uneExcellence,

Une Altesse, une Majesté,

Qui refuse sa jouissance

À dons de cette qualité ;

Surtout quand le donneur est bien fait, etqu’il aime,

Et qu’il mérite d’être aimé.

En échange du chien l’on me voulaitmoi-même ;

Ce que vous possédez de trop je l’aidonné ;

Bien entendu Monsieur ; suis-je chose sichère ?

Vraiment vous me croiriez bien pauvreménagère

Si je laissais aller tel chien à ceprix-là.

Savez-vous qu’il a fait le Louvre quevoilà ?

Le Louvre pour lequel… mais oublionscela ;

Et n’ordonnez plus qu’on me tue,

Moi qu’Atis seulement en ses lacs a faitchoir ;

Je le donne à Lucrèce, et voudrais bien lavoir

Des mêmes armes combattue.

Touchez là, mon mari ; la paix ; caraussi bien

Je vous défie ayant ce chien :

Le fer ni le poison pour moi ne sont àcraindre :

Il m’avertit de tout ; il confond lesjaloux ;

Ne le soyez donc point ; plus on veutnous contraindre,

Moins on doit s’assurer de nous. »

Anselme accorda tout : qu’eut fait lepauvre sire ?

On lui promit de ne pas dire

Qu’il avait été page. Un tel cas étant tu,

Cocuage, s’il eût voulu,

Aurait eu ses franches coudées.

Argie en rendit grâce ; etcompensations

D’une et d’autre part accordées,

On quitta la campagne à ces conditions.

 

« Que devint lepalais ? » dira quelque critique.

Le palais ? que m’importe ? ildevint ce qu’il put.

À moi ces questions ! suis-je homme quise pique

D’être si régulier ? le palaisdisparut.

« Et le chien ? » Le chien fitce que l’amant voulut.

« Mais que voulut l’amant ? »censeur, tu m’importunes :

Il voulut par ce chien tenter d’autresfortunes.

D’une seule conquête est-on jamaiscontent ?

Favori se perdait souvent ;

Mais chez sa première maîtresse

Il revenait toujours. Pour elle, satendresse

Devint bonne amitié. Sur ce pied, notreamant

L’allait voir fort assidûment.

Et même en l’accommodement

Argie à son époux fit un serment sincère

De n’avoir plus aucune affaire.

L’époux jura de son côté

Qu’il n’aurait plus aucun ombrage

Et qu’il voulait être fouetté

Si jamais on le voyait page.

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