Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Clymène

 

Comédie

 

Il semblera d’abord au lecteur que lacomédie que j’ajoute ici n’est pas en son lieu, mais s’il la veutlire jusqu’à la fin, il y trouvera un récit, non tout à fait telque ceux de mes contes, et aussi qui ne s’en éloigne pas tout àfait. Il n’y a aucune distribution de scènes, la chose n’étant pasfaite pour être représentée. JDLF

 

Personnages :

 

APOLLON

LES NEUF MUSES

ACANTE

 

La scène est au Parnasse.

 

Apollon se plaignait aux neuf sœurs l’autrejour

De ne voir presque plus de bons vers surl’amour.

 

Le siècle, disait-il, a gâté cetteaffaire :

Lui nous parler d’amour ! il ne la saitpas faire,

Ce qu’on n’a point au cœur, l’a-t-on dans sesécrits ?

J’ai beau communiquer de l’ardeur auxesprits ;

Les belles n’ayant pas disposé la matière,

Amour, et vers, tout est fort à lacavalière.

Adieu donc à beautés ; je garde monemploi

Pour les surintendants sans plus, et pour leRoi.

Je viens pourtant de voir au bord del’Hippocrène

Acante fort touché de certaine Clymène.

J’en sais qui sous ce nom font valoir leursappas ;

Mais quant à celle-ci je ne la connaispas :

Sans doute qu’en province elle a passé savie.

 

ÉRATO

Sire, j’en puis parler ; c’est mameilleure amie.

La province, il est vrai, fut toujours sonséjour

Ainsi l’on n’en fait point de bruit en votrecour.

 

URANIE

Je la connais aussi.

 

APOLLON

Comment vous Uranie !

En ce cas Terpsichore, Euterpe, etPolymnie,

Qui n’ont pas des emplois du tout sirelevés,

N’en apprendront encor plus que vous n’ensavez.

 

POLYMNIE

Oui Sire, nous pouvons vous en parlerchacune.

 

APOLLON

Si ma prière n’est aux Muses importune,

Devant moi tour à tour chantez cettebeauté ;

Mais sur de nouveaux tons, car je suisdégoûté.

Que chacune pourtant suive son caractère.

 

EUTERPE

Sire, nous nous savons toutes neufcontrefaire :

Pour si peu laissez-nous libres sur cepoint-là.

 

APOLLON

Commencez donc Euterpe, ainsi qu’il vousplaira.

 

EUTERPE

Que ma compagne m’aide ; et puis endialogue

Nous vous ferons entendre une espèced’églogue.

 

APOLLON

Terpsichore aidez-la : mais surtoutévitez

Les traits que tant de fois l’églogue arépétés :

Il me faut du nouveau, n’en fût-il point aumonde.

 

TERPSICHORE

Je m’en vais commencer ; qu’Euterpe meréponde.

Quand le soleil a fait le tour del’univers,

Ce n’est point d’avoir vu cent chefs-d’œuvredivers,

Ni d’en avoir produit, qu’à Téthys il sevante ;

Il dit : « J’ai vu Clymène, et monâme est contente. »

 

EUTERPE

L’Aurore vous veut voir ; Clymènemontrez-vous :

Non, ne bougez du lit ; le repos est tropdoux :

Tantôt vous paraîtrez vous-même une autreAurore ;

Mais ne vous pressez point, dormez dormezencore.

 

TERPSICHORE

Au gré de tous les yeux Clymène a desappas :

Un peu de passion est ce qu’on luisouhaite :

Pour de l’amitié seule, elle n’en manquepas :

Cinq ou six grains d’amour, et Clymène estparfaite.

 

EUTERPE

L’amour, à ce qu’on dit, empêche de dormir

S’il a quelque plaisir il ne l’a pas sanspeine :

Voyez la tourterelle, entendez-la gémir,

Vous vous garderez bien de condamnerClymène.

 

TERPSICHORE

Vénus depuis longtemps est de mauvaisehumeur.

Clymène lui fait ombre ; et Vénus ayantpeur

D’être mise au-dessous d’une beautémortelle,

Disait hier à son fils : « Mais lacroit-on si belle ?

– Et oui, oui, dit l’Amour, je vous la veuxmontrer. »

 

APOLLON

Vous sortez de l’églogue.

 

EUTERPE

Il nous y faut rentrer.

Amour en quatre parts divise sonempire :

Acante en fait moitié, ses rivaux plus d’unquart :

Ainsi plus des trois quarts pour Clymènesoupire :

Les autres belles ont le reste pour leurpart.

 

TERPSICHORE

Tout ce que peut avoir un cœurd’indifférence

Clymène le témoigne : elle en adestiné

Les trois quarts pour Acante ; heureuxdans sa souffrance

S’il voir qu’a ses rivaux le reste soitdonné.

 

EUTERPE

Ne vous semble-t-il pas que nos boisreverdissent,

Depuis que nous chantons un si charmantobjet ?

 

TERPSICHORE

Oiseaux, hommes, et dieux, que tous chantreschoisissent

Désormais en leurs sons Clymène poursujet.

 

EUTERPE

Pour elle le Printemps s’est habillé deroses.

 

TERPSICHORE

Pour elle les Zéphyrs en parfument lesairs

 

EUTERPE

Et les oiseaux pour elle y joignent leursconcerts.

Régnez belle, régnez sur tant d’aimableschoses

 

TERPSICHORE

Aimez, Clymène. aimez ; rendez quelqu’unheureux

Votre règne en aura plus d’appas pourvous-même.

 

EUTERPE

En ce nombre d’amants qui voulez-vous qu’elleaime ?

 

TERPSICHORE

Acante.

 

EUTERPE

Et pourquoi lui ?

 

TERPSICHORE

C’est le plus amoureux.

Sire êtes-vous content ?

 

APOLLON

Assez. Que Melpomène

Sur un ton qui nous touche introduiseClymène

Vous Thalie, il vous faut contrefaire unamant,

Qui ne veut point borner son amoureuxtourment.

 

MELPOMÈNE

Mes sœurs je suis Clymène.

 

THALIE

Et moi je suis Acante.

 

APOLLON

Fort bien ; nous écoutons ;remplissez notre attente.

 

CLYMÈNE

Acante vous perdez votre temps et vossoins.

Voulez-vous qu’on vous aime, aimez-nous un peumoins

Ôtez ce mot d’amour ; c’est ce qu’on vousconseille.

 

ACANTE

Que je l’ôte ! est-il rien de si doux àl’oreille ?

Quoi de vous adorer Acantecesserait ?

Contre sa passion il vous obéirait ?

Ah laissez-lui du moins son tourment poursalaire.

Suis-je si dangereux ? hélas non ;si j’espère

Ce n’est plus d’être aimé : tant d’heurne m’est point dû.

Je l’avais jusqu’ici follement prétendu.

Mourir en vous aimant est toute mon envie.

Mon amour m’est plus cher mille fois que lavie.

Laissez-moi mon amour, Madame, au nom desdieux.

 

CLYMÈNE

Toujours ce mot ! toujours !

 

ACANTE

Vous est-il odieux ?

Que de belles voudraient n’en entendre pointd’autre !

Il charme également votre sexe et le nôtre

Seule vous le fuyez : mais ne s’est-ilpoint vu

Quelque temps ou peut-être il vous a moinsdéplu ?

 

CLYMÈNE

L’amour, je le confesse, a traversé mavie :

C’est ce qui malgré moi me rend sonennemie :

Après un tel aveu je ne vous dirai pas

Que votre passion est pour moi sansappas ;

Et que d’aucun plaisir je ne me senstouchée

Lorsqu’à tant de respect je la voisattachée.

Aussi peu vous dirai-je, Acante, écoutezbien,

Que par vos qualités vous ne méritez rien.

Je les sais, je les vois, j’y trouve de quoiplaire :

Que sert-il d’affecter le titre desévère ?

Je ne me vante pas d’être sage à ce point

Qu’un mérite amoureux ne m’embarrassepoint.

Vouloir bannir l’amour, le condamner, s’enplaindre,

Ce n’est pas le haïr, Acante, c’est lecraindre.

Des plus sauvages cœurs il flatte ledésir.

Vous ne l’ôterez point sans m’ôter duplaisir.

Nous y perdrons tous deux : quand je vousle conseille,

Je me fais violence, et prête encorl’oreille.

Ce mot renferme en soi je ne sais quoi dedoux,

Un son qui ne déplaît à pas une de nous.

Mais trop de mal le suit.

 

ACANTE

Je m’en charge, Madame :

Ce mal est pour moi seul ; j’en garantisvotre âme.

 

CLYMÈNE

Qui vous croirait, Acante, aurait un bongarant.

Mais non, je connais trop qu’Amour n’est qu’untyran

Un ennemi public, un démon pour mieuxdire.

 

ACANTE

Il ne l’est pas pour vous ; cela vousdoit suffire :

Jamais il ne vous peut avoir caused’ennui :

Vous en prenez un autre assurément pourlui.

S’il a quelques douceurs, elles sont pour lesbelles,

Et pour nous les soucis et les peinescruelles.

Vous n’éprouvez jamais ni dédain, nifroideur :

Quant à nous, c’est souvent le prix de notreardeur.

Trop de zèle nous nuit.

 

CLYMÈNE

Et pourquoi donc, Acante,

Ne modérez-vous pas cette ardeurviolente ?

Aimez-vous mieux souffrir contre mon propregré,

Que si m’obéissant vous étiez bientraité ?

Je vous rendrais heureux.

 

ACANTE

Selon votre manière ;

Du bonheur d’un ami, d’un parent ou d’unfrère ;

Que sais-je ? de chacun : car voussavez qu’on peut

Faire ainsi des heureux autant que l’on enveut.

 

CLYMÈNE

Non, non, j’aurais pour vous beaucoup plus detendresse

Vous verriez à quel point Clymènes’intéresse

Pour tout ce qui vous touche.

 

ACANTE

Et pour moi-même aussi.

 

CLYMÈNE

Quelle distinction mettez-vous enceci ?

 

ACANTE

Très grande : mais laissons à part ladifférence :

Aussi bien je craindrais de commettre uneoffense

Si j’avais entrepris de prouver contrevous

Qu’autre chose est d’aimer nos qualités ounous.

Je vous dirai pourtant que mon amourextrême

À pour premier objet votre personne même

Tout m’en semble charmant ; elle esttelle qu’il faut

Mais pour vos qualités, j’y trouve dudéfaut.

 

CLYMÈNE

Dites-nous quel il est afin qu’on s’encorrige.

 

ACANTE

Vous n’aimez point l’Amour ; vous lehaïssez dis-je,

Ce dieu près de votre âme a perdu toutcrédit.

 

CLYMÈNE

Je ne hais point l’Amour, je vous l’ai déjàdit :

Je le crains seulement ; et serais pluscontente

Si vous vouliez changer votre ardeurvéhémente ;

En faire une amitié ; quelque chose entredeux

Un peu plus que ce n’est quand un cœur estsans feux

Moins aussi que l’état ou le vôtre setreuve.

 

ACANTE

Tout de bon ; voulez-vous que j’en fassel’épreuve ?

Que demain j’aime moins, et moins le jourd’après ;

Diminuant toujours, encor que vos attraits

Augmentent en pouvoir ? le voulez-vousMadame ?

 

CLYMÈNE

Oui, puisque je l’ai dit.

 

ACANTE

L’avez-vous dit dans l’âme ?

 

CLYMÈNE

Il faut bien.

 

ACANTE

Songez-y ; voyez si votre esprit

Pourra voir ce déchet sans un secretdépit.

Peu de femmes feraient des vœux pareils auxvôtres.

 

CLYMÈNE

Acante, je suis femme aussi bien que lesautres :

Mais je connais l’Amour : c’estassez ; j ai raison

D’en combattre en mon cœur l’agréablepoison.

Voulez-vous procurer tant de mal àClymène ?

Vous l’aimez, dites-vous, et vous cherchez sapeine.

N’allez point m’alléguer que c’est plaisirpour nous.

Loin, bien loin tels plaisirs ; le reposest plus doux :

Mon cœur s’en défendra : je vous permetsde croire

Que je remporterai malgré moi la victoire.

 

APOLLON

Voilà du pathétique assez pour leprésent :

Sur le même sujet donnez-nous du plaisant

 

MELPOMÈNE

Qui ferons-nous parler ?

 

APOLLON

Acante et sa maîtresse.

 

MELPOMÈNE

Sire, il faudrait avoir pour cela plusd’adresse.

Rendre Acante plaisant ! c’est un tropgrand dessein.

 

APOLLON

Il est fou, c’est déjà la moitié duchemin.

 

THALIE

Mais il l’est dans l’excès.

 

APOLLON

Tant mieux ; j’en suis fortaise ;

Nous le demandons tel ; je ne vois rienqui plaise

En matière d’amour comme les gens outrés.

Mille exemples pourraient vous en êtremontrés.

 

MELPOMÈNE

Nous obéissons donc. Tu te souviens,Thalie,

D’un matin où Clymène en son lit endormie

Fut au bruit d’un soupir éveillée ensursaut,

Et se mit contre Acante en colèreaussitôt,

Sans le voir, croyant même avoir fermé laporte :

Mais qui pouvait que lui soupirer de lasorte ?

« Vraiment vous l’entendez avecque voshélas,

Dit la belle, apprenez à soupirer plusbas. »

Il eut beau s’excuser sur l’ardeur de sonzèle.

« Une forge ferait moins de bruit,reprit-elle,

Que votre cœur n’en fait : ce sont tousses plaisirs.

Si je tourne le pied, matière de soupirs,

Je ne vous vois jamais qu’en un chagrinextrême.

C’est bien pour m’obliger à vous aimer demême. »

 

ACANTE

Je ne le prétends pas.

 

CLYMÈNE

Seyez-vous sur ce lit.

 

ACANTE

Moi ?

 

CLYMÈNE

Vous ; sans répliquer.

 

ACANTE

Souffrez…

 

CLYMÈNE

C’est assez dit.

Là ; je vous veux voir là.

 

ACANTE

Madame.

 

CLYMÈNE

Là, vous dis-je

Voyez qu’il a de mal ; sa maîtressel’oblige

À s’asseoir sur un lit ; quelle peinepour lui ;

Savez-vous ce que c’est, je veux rireaujourd’hui.

Point de discours plaintifs : bannissez,je vous prie,

Ces soupirs à la voix du sommeil ennemie.

Témoignez, s’il se peut, votre amourautrement.

Mais que veut cette main qui s’en vientbrusquement

 

ACANTE

C’est pour vous obéir et témoigner monzèle.

 

CLYMÈNE

L’obéissance en est un peu tropponctuelle ;

Nous vous en dispensons ; Acante, soyezcoi.

Si bien donc que votre âme est tout en feupour moi ?

 

ACANTE

Tout en feu.

 

CLYMÈNE

Vous n’avez ni cesse ni relâche ?

 

ACANTE

Aucune.

 

CLYMÈNE

Toujours pleurs, soupirs comme à latâche ?

 

ACANTE

Toujours soupirs et pleurs.

 

CLYMÈNE

J’en veux avoir pitié.

Allez, je vous promets.

 

ACANTE

Et quoi ?

 

CLYMÈNE

De l’amitié.

 

ACANTE

Ah Madame, faut-il railler d’unmisérable !

 

CLYMÈNE

Vous reprenez toujours votre tonlamentable.

Oui, je vous veux aimer d’amitié malgrévous ;

Mais si sensiblement que je n’aie, entrenous,

De là jusqu’à l’amour rien qu’un seul pas àfaire.

 

ACANTE

Et quand le ferez-vous ce pas sinécessaire ?

 

CLYMÈNE

Jamais.

 

ACANTE

Reprenez donc l’offre de votre cœur.

 

CLYMÈNE

Vous en aurez regret ; il a de ladouceur.

Vous feriez beaucoup mieux d’éprouver seslargesses.

Je baise mes amis, je leur fais centcaresses.

À l’égard des amants, tout leur estrefusé.

 

ACANTE

Je ne veux point du tout, Madame, êtrebaisé.

Vous riez ?

 

CLYMÈNE

Le moyen de s’empêcher de rire ?

On veut baiser Acante ; Acante seretire.

 

ACANTE

Et le pourriez-vous voir traiter de sonamour

Pour un simple baiser, souvent froid, toujourscourt ?

 

CLYMÈNE

On redouble en ce cas.

 

ACANTE

Oui d’autres que Clymène.

 

CLYMÈNE

Éprouvez-le.

 

ACANTE

De quoi vous mettez-vous en peine ?

 

CLYMÈNE

Moi ? de rien

 

ACANTE

Cependant je vois qu’en votre esprit

Le refus de vos dons jette un secretdépit.

 

CLYMÈNE

Il est vrai, ce refus n’est pas fort à magloire.

Dédaigner mes baisers ! cela se peut-ilcroire ?

Acante, je le vois, n’est pas fin àdemi ;

Il devait aujourd’hui promettre d’êtreami ;

Demain il eût repris son premierpersonnage.

 

ACANTE

Et Clymène aurait pu souffrir cebadinage ?

Un baiser n’aurait pas irrité sesesprits ?

 

CLYMÈNE

Qu’importe ? L’on s’apaise ; etc’est autant de pris.

Vous en pourriez déjà compter une douzaine

 

ACANTE

Madame, c’en est trop : à quoi bon tantde peine ?

Pour douze d’amitié, donnez m’en und’amour.

 

CLYMÈNE

C’est perdre doublement ; je le rendraitrop court.

 

ACANTE

Mais Madame voyons.

 

CLYMÈNE

Mais Acante, vous dis-je,

L’amitié seulement à ces faveurs m’oblige.

 

ACANTE

Et bien je consens d’être ami pour unmoment.

 

CLYMÈNE

Sous la peau de l’ami je craindrais quel’amant

Ne demeurât caché pendant tout le mystère.

L’heure sonne, il est tard ; n’avez-vouspoint affaire ?

 

ACANTE

Non, et quand j’en aurais, ces moments sonttrop doux.

 

CLYMÈNE

Je me veux habiller ; adieu,retirez-vous.

 

APOLLON

Vous finissez bien tôt ?

 

MELPOMÈNE

Point trop pour des pucelles.

Ces discours leur siéent mal, et vous vousmoquez d’elles.

 

APOLLON

Moi me moquer ? pourquoi ? j’en ouïsl’autre jour

Deux de quinze ans parler plus savammentd’amour.

Ce que sur vos amants je trouverais àdire,

C’est qu’ils pleuraient tantôt, et vous lesfaites rire.

De l’air dont ils se sont tout à l’heureexpliqués,

Ce ne sauraient être eux s’ils ne se sontmasqués.

 

MELPOMÈNE

Vous vouliez du plaisant ; comment eût-onpu faire ?

 

APOLLON

J’en voulais, il est vrai ; mais dansleur caractère.

 

THALIE

Sire, Acante est un homme inégal à telpoint,

Que d’un moment à l’autre on ne le connaîtpoint ;

Inégal en amour, en plaisir, enaffaire ;

Tantôt gai, tantôt triste ; un jour ildésespère ;

Un autre jour il croit que la chose irabien.

Pour vous en parler franc, nous n’yconnaissons rien

Clymène aime à railler : toutefois quandAcante

S’abandonne aux soupirs, se plaint, et setourmente,

La pitié qu’elle en a lui donne un sérieux

Qui fait que l’amitié n’en va souvent quemieux.

 

APOLLON

Clio, divertissez un peu la compagnie.

 

CLIO

Sire me voilà prête.

 

APOLLON

Il me prend une envie

De goûter de ce genre où Marot excellait.

 

CLIO

Eh bien, Sire, il vous faut donner untriolet.

 

APOLLON

C’est trop ! vous nous deviez proposer undistique !

Au reste n’allez pas chercher ce styleantique

Dont à peine les mots s’entendentaujourd’hui.

Montez jusqu’à Marot, et point par-delàlui.

Même son tour suffit.

 

CLIO

J’entends : il reste, Sire,

Que Votre Majesté seulement daigne dire

Ce qu’il lui plaît, ballade, épigramme, ourondeau.

J’aime fort les dizains.

 

APOLLON

En un sujet si beau

Le dizain est trop court ; et vu votrematière

La ballade n’a point de trop amplecarrière.

 

CLIO

Je pris de loin Clymène l’autre fois

Pour une Grâce en ses charmes nouvelle

Grâce s’entend, la première destrois ;

J’eusse autrement fait tort à cettebelle ;

Puis approchant et frottant ma prunelle,

Je me repris ; et dissoudainement :

Voilà Vénus ; c’est elleassurément :

Non, je me trompe, et mon œil se mécompte,

Cyprine là ? je faillelourdement ;

Telle n’est point la reine d’Amathonte.

 

Voyons pourtant ; car chacun d’unevoix

En fait d’appas prend Vénus pour modèle.

Je me mis lors à compter par mes doigts

Tous les attraits de la gentepucelle ;

Afin de voir si ceux de l’immortelle

Y cadreraient, à peu prés seulement

Mais le moyen ? je n’y vinsnullement,

Trouvant ici beaucoup plus que lecompte :

Qu’est ceci, dis-je, et quelenchantement ?

Telle n’est point la reine d’Amathonte.

 

Acante vint tandis que je comptois :

Cette beauté le fit asseoir présd’elle ;

J’entendis tout ; les Zéphyrs étaientcois.

Plus de cent fois il l’appela cruelle,

Inexorable, a l’Amour trop rebelle ;

Et le surplus que dit un pauvre amant.

Clymène oyait cela négligemment.

 

Le mot d’amour lui donnait quelque honte.

Si de ce dieu la chronique ne ment,

Telle n’est point la reine d’Amathonte

Ne recours plus, Acante, au changement.

Loin de trouver en ce bas élément

Quelque autre objet qui ta dame surmonte,

Dans les palais qui sont au firmament

Telle n’est point la reine d’Amathonte.

 

APOLLON

Votre tour est venu, Calliope, essayez

Un de ces deux chemins qu’aux auteurs ontfrayés

Deux écrivains fameux ; je veux direMalherbe

Qui louait ses héros en un style superbe

Et puis maître Vincent qui même auraitloué

Proserpine et Pluton en un style enjoué.

 

CALLIOPE

Sire, vous nommez là deux trop grandspersonnages

Le moyen d’imiter sur-le-champ leursouvrages ?

 

APOLLON

Il faut que je me sois sans doute expliquémal ;

Car vouloir qu’on imite aucun original

N’est mon but, ni ne doit non plus être levôtre ;

Hors ce qu’on fait passer d’une langue en uneautre

C’est un bétail servile et sot à mon avis

Que les imitateurs ; on dirait desbrebis

Qui n’osent avancer qu’en suivant lapremière,

Et s’iraient sur ses pas jeter dans larivière.

Je veux donc seulement que vous nous fassiezvoir,

En ce style où Malherbe a montré sonsavoir,

Quelque essai des beautés qui sont propres àl’ode,

Ou si ce genre-là n’étant plus à la mode,

Et demandant d’ailleurs un peu trop deloisir,

L’autre vous semble plus selon votredésir,

Vous louiez galamment la maîtressed’Acante,

Comme maître Vincent dont la plumeélégante

Donnait à son encens un goût exquis et fin

Que n’avait pas celui qui partait d’autremain.

 

CALLIOPE

Je vais, puisqu’il vous plaît, hasarderquelque stance.

Si je débute mal, imposez-moi silence.

 

APOLLON

Calliope manquer ?

 

CALLIOPE

Pourquoi non ? très souvent

L’ode est chose pénible ; et surtout dansle grand.

Toi qui soumets les dieux aux passions deshommes,

Amour, souffriras-tu qu’en ce siècle où noussommes

Clymène montre un cœur insensible à tescoups ?

Cette belle devrait donner d’autresexemples :

Tu devrais l’obliger pour l’honneur de testemples

D’aimer ainsi que nous.

 

URANIE

Les Muses n’aiment pas.

 

CALLIOPE

Et qui les en soupçonne ?

Ce nous n’est pas pour nous ; je parle enla personne

Du sexe en général, des dévotes d’Amour.

 

APOLLON

Calliope a raison ; quelle achève à sontour.

 

CALLIOPE

J’en demeurerai la, si vous l’agréez,Sire.

On m’a fait oublier ce que je voulaisdire.

 

APOLLON

À vous donc Polymnie ; entrez en liceaussi.

 

POLYMNIE

Sur quel ton ?

 

APOLLON

Je vois bien que sur ce dernier-ci

L’on ne réussit pas toujours comme onsouhaite.

Calliope a bien fait d’user d’une défaite.

Cette interruption est venue à propos.

C’est pourquoi choisissez des tons un peumoins hauts.

Horace en a de tous, voyez ceux qui vousduisent.

J’aime fort les auteurs qui sur lui seconduisent

Voilà les gens qu’il faut à présentimiter.

 

POLYMNIE

C’est bien dit, si cela pouvaits’exécuter :

Mais avons-nous l’esprit qu’autrefois à cethomme

Nous savions inspirer sur le déclin deRome ?

Tout est trop fort déchu dans le sacrévallon.

 

APOLLON

J’en conviens, jusque même au métierd’Apollon

Il n’est rien qui n’empire, hommes,dieux ; mais que faire ?

Irons-nous pour cela nous cacher et noustaire ?

Je ne regarde pas ce que j’étais jadis,

Mais ce que je serai quelque jour si jevis

Nous vieillissons enfin, tout autant que noussommes

De dieux nés de la Fable, et forgés par leshommes.

Je prévois par mon art un temps, oùl’univers

Ne se souciera plus ni d’auteurs, ni devers.

Où vos divinités périront, et la mienne.

Jouons de notre reste avant que ce tempsvienne.

C’est à vous Polymnie à nous entretenir

 

POLYMNIE

Je songeais aux moyens qu’il me faudraittenir.

À peine en rencontré-je un seul qui mecontente.

Ceci vous plairait-il ? je fais parlerAcante.

 

Qu’une belle est heureuse ! et que dedoux moments,

Quand elle en sait user, accompagnent savie !

D’un côté le miroir, de l’autre lesamants,

Tout la loue ; est-il rien de si digned’envie ?

 

La louange est beaucoup ; l’amour estplus encore :

Quel plaisir de compter les cœurs dont ondispose !

L’un meurt, L’autre soupire. et l’autre en sontransport

Languit et se consume ; est-il plus doucechose !

 

Clymène, usez-en bien : vous n’aurez pastoujours

Ce qui vous rend si fière, et si fortredoutée :

Charon vous passera sans passer lesAmours :

Devant ce temps-là même ils vous aurontquittée.

 

Vous vivrez plus longtemps encore que vosattraits :

Je ne vous réponds pas alors d’êtrefidèle :

Mes désirs languiront aussi bien que vostraits

L’amant se sent déchoir aussi bien que labelle.

 

Quand voulez-vous aimer que dans votreprintemps ?

Gardez-vous bien surtout de remettre àl’automne

L’hiver vient aussitôt : rien n’arrête letemps :

Clymène hâtez-vous ; car il n’attendpersonne.

 

Sire je m’en tiens là : bien ou mal ilsuffit :

La morale d’Horace et non pas son esprit

Se peut voir en ces vers.

 

APOLLON

Érato que veut dire

Que vous qui d’ordinaire aimez si fort àrire

Demeurez taciturne, et laissez toutpasser ?

 

ÉRATO

Je rêvais, puisqu’il faut, Sire, leconfesser.

 

APOLLON

Sur quoi ?

 

ÉRATO

Sur le débat qui s’est ému naguère.

 

APOLLON

Savoir si vous aimez ?

 

ÉRATO

Autrefois j’étais fière

Quand on disait que non ; qu’on me vienneaujourd’hui

Demander : « Aimez-vous, » jerépondrai que oui.

 

APOLLON

Pourquoi ?

 

ÉRATO

Pour éviter le nom de Précieuse.

 

APOLLON

Si cette qualité vous paraît odieuse,

Du vœu de chasteté l’on vous dispensera.

Choisissez un galant.

 

ÉRATO

Non pas, Sire, cela :

Je veux un peu d’hymen pour colorerl’affaire.

 

APOLLON

Un peu d’hymen est bon.

 

ÉRATO

J’en veux, et n’en veux guère

 

APOLLON

Vous vous marierez donc ainsi qu’au tempsjadis

Oriane épousa Monseigneur Amadis ?

 

ÉRATO

Oui Sire.

 

APOLLON

La méthode en effet en est bonne.

Mais encore avec qui ? car je ne voispersonne

Qui veuille dans l’Olympe à l’hymens’arrêter :

Les Sylvains ne sont pas des gens pour voustenter.

 

ÉRATO

Je prendrais un auteur

 

APOLLON

Un auteur ? vous déesse ?

Aux auteurs Erato pourrait mettre lapresse ?

Ce n’est pas votre fait pour plus d’uneraison.

Rarement un auteur demeure à la maison.

 

ÉRATO

Justement cela qui m’en plaît davantage.

 

APOLLON

Nous nous entretiendrons de votre mariage

À fond une autre fois. Cependantchantez-nous

Non pas du sérieux, du tendre, ni du doux

Mais de ce qu’en français on nommebagatelle ;

Un jeu dont je voudrais Voiture pourmodèle.

Il excelle en cet art : Maître Clément etlui

S’y prenaient beaucoup mieux que nos gensd’aujourd’hui.

 

ÉRATO

Sire, j’en ai perdu peu s’en fautl’habitude ;

Et ce genre est pour moi maintenant uneétude.

Il y faut plus de temps que le monde necroit.

Agréez, en la place, un dizain.

 

APOLLON

Dizain, soit.

 

ÉRATO

Mais n’est-ce point assez célèbre notrebelle ?

Quand j’aurai dit les jeux, les ris, et laséquelle

Les grâces, les amours, voilà fait à peuprès.

 

APOLLON

Vous pourrez dire encor les charmes, lesattraits,

Les appas.

 

ÉRATO

Et puis quoi ?

 

APOLLON

Cent et cent mille choses.

Je ne vous ai compté ni les lis ni lesroses.

On n’a qu’a retourner seulement cesmots-là.

 

ÉRATO

La satire en fournit bien d’autres quecela.

Pour un trait de louange. il en est cent deblâme.

 

APOLLON

Et bien blâmez Clymène à qui d’aucuneflamme

On ne peut désormais inspirer le désir.

 

ÉRATO

Ce sujet est traité ; l’on vient de s’ensaisir ;

Il a servi de thèse a ma sœur Polymnie.

 

APOLLON

Cela ne vous fait rien ; la chose estinfinie ;

Toujours notre cabale y trouve àregratter,

 

ÉRATO

Sire puisqu’il vous plaît je m’en vais letenter.

Ma sœur m’excusera si j’enchéris sur elle.

 

POLYMNIE

Voilà bien des façons pour une bagatelle.

 

ÉRATO

C’est qu’elle est de commande.

 

APOLLON

Et que coûte un dizain ?

 

ÉRATO

Tout coûte : il faut pourtant que je memette en train.

 

Clymène a tort : je suis d’avis qu’elleaime

Notre vassal dès demain au plus tard,

Dès aujourd’hui, dès ce moment-cimême :

Le temps d’aimer n’a si petite part

Qui ne soit chère ; et surtout quand ontreuve

Un bon amant, un amant a l’épreuve.

Je sais qu’il est des amants àfoison ;

Tout en fourmille ; on n’en saurait quefaire ;

Mais cent méchants n’en valent pas unbon ;

Et ce bon-là ne se rencontre guère.

 

APOLLON

Il ne nous reste plus qu’Uranie, et c’estfait.

Mais quand j’y pense bien, je trouve qu’eneffet

Tant de louange ennuie ; et surtout quandon loue

Toujours le même objet : enfin je vousavoue

Que pour peu que durât l’éloge encor detemps

Vous me verriez bailler. Comment peuvent lesgens

Entendre sans dormir une oraisonfunèbre ?

Il n’est panégyriste au monde si célèbre

Qui ne soit un Morphée à tous sesauditeurs.

Uranie, il vous faut reployer vosdouceurs :

Aussi bien qui pourrait mieux parler deClymène

Que l’amoureux Acante ? allons versl’Hippocrène ;

Nous l’y rencontrerons encore assurément.

Ce nous sera sans doute un divertissement.

La solitude est grande autour de cesombrages.

Que vous semble ? on croirait au nombredes ouvrages

Et des compositeurs (car chacun fait desvers)

Qu’il nous faudrait chercher un mont dansl’univers,

Non pas double mais triple, et de plusd’étendue

Que l’Atlas, cependant ma cour estmorfondue ;

Je ne rencontre ici que deux ou troismortels,

Encor très peu dévots à nos sacrés autels.

Cherchez-en la raison dans les Cieux,Uranie.

 

URANIE

Sire, il n’est pas besoin ; et sansl’astrologie

Je vous dirai d’où vient ce peud’adorateurs.

II est vrai que jamais on n’a vu tantd’auteurs ;

Chacun forge des vers ; mais pour lapoésie,

Cette princesse est morte, aucun ne s’ensoucie.

Avec un peu de rime on va vous fabriquer

Cent versificateurs en un jour sansmanquer.

Ce langage divin, ces charmantes figures,

Qui touchaient autrefois les âmes les plusdures,

Et par qui les rochers et les bois attirés

Tressaillaient à des traits de l’Olympeadmirés,

Cela, dis-je n’est plus maintenant enusage.

On vous méprisé, et nous, et ce divinlangage.

« Qu’est-ce, dit-on ? – Desvers. » Suffit ; le peuple y court.

Pourquoi venir chercher ces traits en notrecour ?

Sans cela l’on parvient à l’estime deshommes.

 

APOLLON

Vous en parlez très bien. Maisqu’entends-je ? nous sommes

Auprès de l’Hippocrène : Acanteassurément

S’entretient avec elle : écoutons unmoment :

C’est lui, j’entends sa voix.

 

ACANTE

Zéphyrs de qui l’haleine

Portait à ces Échos mes soupirs et mapeine

Je viens de vous conter son succèsglorieux.

Portez en quelque chose aux oreilles desdieux.

Et toi mon bienfaiteur, Amour, par quelleoffrande

Pourrai-je reconnaître une faveur sigrande ?

Je te dois des plaisirs compagnons desautels,

Des plaisirs trop exquis pour de simplesmortels.

Ô vous qui visitez quelquefois cet ombrage

Nourrissons des neuf Sœurs…

 

APOLLON

Sans doute il n’est pas sage :

Sachons ce qu’il veut dire. Acante.

 

ACANTE, parlantseul.

Adorez-moi

Car si je ne suis dieu, tout au moins je suisroi.

 

ÉRATO

Acante !

 

CLIO

D’aujourd’hui pensez-vous qu’ilréponde ?

Quand une rêverie agréable et profonde

Occupe son esprit, on a beau lui parler.

 

ÉRATO

Quand je m’enrhumerais à force d’appeler

Si faut-il qu’il entende :Acante !

 

ACANTE

Qui m’appelle ?

 

ÉRATO

C’est votre bonne amie Érato.

 

ACANTE

Que veut-elle ?

 

ÉRATO

Vous le saurez ; venez.

 

ACANTE

Dieux ! je vois Apollon.

Sire, pardonnez-moi ; dans le sacrévallon

Je ne vous croyais pas.

 

APOLLON

Levez-vous ; et nous dites

Quelles sont ces faveurs soit grandes oupetites

Dont le fils de Vénus a payé vostourments.

 

ACANTE

Sire, pour obéir à vos commandements,

Hier au soir je trouvai l’Amour près duParnasse :

Je pense qu’il suivait quelque Nymphe à latrace.

D’aussi loin qu’il me vit : Acante,approchez-vous,

Cria-t-il : j’obéis. Il me dit d’un tondoux :

Vos vers ont fait valoir mon nom et mapuissance :

Vous ne chantez que moi : je veux pourrécompense

Dès demain sans manquer obtenir du destin

Qu’il vous fasse trouver Clymène le matin

Dans son lit endormie, ayant la gorge nue,

Et certaine beauté que depuis peu j’aivue.

Sans dire quelle elle est. il suffit quel’endroit

M’a fort plu ; vous verrez si c’est àjuste droit.

Vous êtes connaisseur. Au reste en habilehomme

Usez de la faveur que vous fera le somme.

C’est à vous de baiser ou la bouche, ou lesein,

Ou cette autre beauté : même j’ai faitdessein

D’en parler à Morphée, afin qu’il vousprocure

Assez de temps pour mettre à profitl’aventure

Vous ne pourrez baiser qu’un des troisseulement ;

Ou le sein, ou la bouche, ou cet endroitcharmant.

 

ÉRATO

Ne nous le nommez pas, afin que je devine.

 

ACANTE

Je vous le donne en deux.

 

ÉRATO

C’est… c’est je m’imagine…

 

ACANTE

Quoi ?

 

ÉRATO

Le bras entier.

 

ACANTE

Non,.

 

ÉRATO

Le pied.

 

ACANTE

Vous l’avez dit.

Je l’ai vu, dit l’Amour ; il est sanscontredit

Plus blanc de la moitié que le plus blancivoire.

Clymène s’éveillant, comme vous pouvezcroire,

Voudra vous témoigner d’abord quelquecourroux :

Mais je serai présent et rabattrai lescoups :

Le sort et moi rendrons mouton votretigresse.

Amour n’a pas manqué de tenir sa promesse.

Ce matin j’ai trouvé Clymène dans le lit.

Sire, jusqu’à demain je n’aurais pasdécrit

Ses diverses beautés. Une couleur de roses

Par le somme appliquée avait entre autreschoses

Rehaussé de son teint la naïve blancheur.

Ses lis ne laissaient pas d’avoir de lafraîcheur.

Elle avait le sein nu : je n’ai point deparole

Quoique dès ma jeunesse instruit dans cetteécole

Pour vous bien exprimer ce double montd’attraits.

Quand j’aurais là-dessus épuisé tous lestraits,

Et fait pour cette gorge une blancheurnouvelle

Encor n’auriez-vous pas ce qui la rend sibelle

La descente, le tour, et le reste deslieux

Qui pour lors m’ont fait roi (j’entends roipar les yeux

Car mes mains n’ont point eu de part à cettejoie).

Le sort à mes regards a mis encore enproie

Les merveilles d’un pied sans mentir fait autour.

Figurez-vous le pied de la mère d’Amour,

Lorsqu’allant des Tritons attirer lesœillades

Il dispute du prix avec ceux des Naïades.

Vous pouvez l’avoir vu ; Mars peut vousl’avoir dit :

Quant à moi, j’ai vu, Sire, au pied dont ils’agit

Du marbre, de l’albâtre, une plantevermeille :

Thétis l’a, que je pense, ou doit l’avoirpareille.

Quoi qu’il en soit ce pied hors des drapséchappé

M’a tenu fort longtemps à le voir occupé.

Pour en venir au point ou j’ai poussél’affaire :

« Quel des trois, ai-je dit, faut-il queje préfère ?

J’ai, si je m’en souviens, un baiser àcueillir,

Et par bonheur pour moi je ne sauroisfaillir.

Cette bouche m’appelle à son haleined’ambre. »

Cupidon là-dessus est entré dans lachambre :

Je ne sais pas comment ; car j’avaisfermé tout.

J’ai parcouru le sein de l’un à l’autrebout.

« Ceci me tente encore, ai-je dit enmoi-même :

Et quand je serais prince, et prince àdiadème,

Une telle faveur me rendraitfortuné. »

Par caprice à la fin m’étant déterminé,

J’ai réservé ces deux pour la première vue

Le pied par sa beauté qui m’était inconnue

M’a fait aller à lui. peut-être ce baiser

M’a paru moins commun, partant plus àpriser.

Peut-être par respect j ai rendu cethommage.

Peut-être aussi j’ai cru que le mêmeavantage

Ne reviendrait jamais, et qu’on ne baisepas

Un beau pied quand on veut, trop bien d’autresappas.

La rencontre après tout me semblait fortheureuse.

Même à mon sens la chose était plusamoureuse :

De dire plus friponne et d’allerjusque-là,

Je n’ai gardé, c’est trop, j’ai, Sire, pourcela

Trop de respect pour vous ainsi que pourClymène.

Elle s’est éveillée avec assez depeine ;

Et m’ayant entrevu, la belle et ses appas

Se sont au même instant cachés au fond desdraps.

La honte l’a rendue un peu de tempsmuette.

Enfin sans se tourner ni quitter sacachette,

D’un ton fort sérieux et marquant sondépit :

« Je vous croyais plus sage, Acante,a-t-elle dit.

Cela ne me plaît point ; sortez, et touta l’heure.

– Amour, ai-je repris, me dit que jedemeure ;

Le voilà ; qui croirai-je ?accordez-vous tous deux.

– Qui l’Amour ? pensez-vous avec vos Ris,vos Jeux,

Vos Amours, m’amuser ? a repartiClymène.

– Tout doux, » a dit l’Amour. Aussitôtl’inhumaine,

Oyant la voix du dieu, s’est tournée, etchangeant

De note, prenant même un air toutengageant :

« Clymène, a-t-elle dit, tu n’es pas laplus forte.

C’est a toi de fermer une autre fois laporte.

Les voilà deux ; encore un dieu s’enmêle-t-il.

Afin qu’Acante sorte, et bien que luifaut-il ?

Qu’il dise les faveurs donc il se jugedigne. »

J’ai regardé l’Amour ; du doigt il m’afait signe

Je n’ai pas entendu d’abord ce qu’ilvoulait.

Mais me montrant les traits qu’une boucheétalait,

Il m’a fait à la fin juger par ce langage

Qu’un baiser me viendrait si j’avais ducourage.

Or je n’en eus jamais en qualité d’amant.

Amour m’a dit tout bas : « Baisez-lahardiment ;

Je lui tiendrai les mains ; vous n’aurezpoint d’obstacle. »

Je me suis avancé. Le reste est unmiracle.

Amour en fait ainsi ; ce sont coups de samain.

 

APOLLON

Comment ?

 

ACANTE

Clymène a fait la moitié du chemin.

 

POLYMNIE

Que vous autres mortels êtes fous dans vosflammes !

Les dieux obtiennent bien d’autres dons deleurs dames

Sans triompher ainsi.

 

ACANTE

Polymnie, ils sont dieux.

 

APOLLON

Je l’étais, et Daphné ne m’en traita pasmieux

Perdons ce souvenir. Vous, triomphez,Acante.

Nous vous laissons, adieu ; notre troupeest contente.

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