Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Le Cocu, battu et content

 

N’a pas longtemps de Romerevenait

Certain cadet qui n’y profita guère

Et volontiers en chemin séjournait

Quand par hasard le galant rencontrait

Bon vin, bon gîte, et belle chambrière.

Avint qu’un jour en un bourg arrêté

Il vit passer une dame jolie,

Leste, pimpante, et d’un page suivie,

En la voyant, il en fut enchanté.

La convoita ; comme bien savaitfaire.

Prou de pardons il avait rapporté ;

De vertu peu ; chose assez ordinaire.

La dame était de gracieux maintien,

De doux regard, jeune, fringante etbelle ;

Somme qu’enfin il ne lui manquait rien,

Fors que d’avoir un ami digne d’elle.

Tant se la mit le drôle en la cervelle,

Que dans sa peau peu ni point nedurait :

Et s’informant comment onl’appelait :

« C’est, lui dit-on, la dame duvillage.

Messire Bon l’a prise en mariage,

Quoiqu’il n’ait plus que quatre cheveuxgris :

Mais comme il est des premiers du pays,

Son bien supplée au défaut de sonâge. »

 

Notre cadet tout ce détailapprit,

Dont il conçut espérance certaine.

Voici comment le pèlerin s’y prit.

Il renvoya dans la ville prochaine

Tous ses valets ; puis s’en fut auchâteau ;

Dit qu’il était un jeune jouvenceau,

Qui cherchait maître, et qui savait toutfaire.

Messire Bon fort content de l’affaire

Pour fauconnier le loua bien et beau.

(Non toutefois sans l’avis de sa femme)

Le fauconnier plut très fort à ladame ;

Et n’étant homme en tel pourchas nouveau,

Guère ne mit à déclarer sa flamme.

Ce fut beaucoup ; car le vieillardétait

Fou de sa femme, et fort peu la quittait,

Sinon les jours qu’il allait à la chasse.

Son fauconnier, qui pour lors le suivait,

Eut demeuré volontiers en sa place.

La jeune dame en était bien d’accord,

Ils n’attendaient que le temps de mieuxfaire.

Quand je dirai qu’il leur en tardait fort,

Nul n’osera soutenir le contraire.

 

Amour enfin, qui prit à cœurl’affaire,

Leur inspira la ruse que voici.

La dame dit un soir à son mari :

« Qui croyez-vous le plus rempli dezèle

De tous vos gens ? » Ce proposentendu

Messire Bon lui dit : « J’aitoujours cru

Le fauconnier garçon sage et fidèle ;

Et c’est à lui que plus je me fierois.

– Vous auriez tort, repartit cettebelle ;

C’est un méchant : il me tint l’autrefois

Propos d’amour, dont je fus si surprise,

Que je pensai tomber tout de monhaut ;

Car qui croirait une telleentreprise ?

Dedans l’esprit il me vint aussitôt

De l’étrangler, de lui manger lavue :

Il tint à peu ; je n’en fus retenue,

Que pour n’oser un tel cas publier :

Même, à dessein qu’il ne le put nier,

Je fis semblant d’y vouloircondescendre ;

Et cette nuit sous un certain poirier

Dans le jardin je lui dis de m’attendre.

Mon mari, dis-je, est toujours avec moi,

Plus par amour que doutant de mafoi ;

Je ne me puis dépêtrer de cet homme,

Sinon la nuit pendant son premiersomme :

D’auprès de lui tâchant de me lever,

Dans le jardin je vous irai trouver.

Voilà l’état où j’ai laissél’affaire. »

 

Messire Bon se mit fort encolère.

Sa femme dit : » Mon mari, monépoux,

Jusqu’à tantôt cachez votrecourroux ;

Dans le jardin attrapez-le vous-même ;

Vous le pourrez trouver fortaisément ;

Le poirier est à main gauche en entrant.

Mais il vous faut user destratagème :

Prenez ma jupe, etcontrefaites-vous ;

Vous entendrez son insolenceextrême :

Lors d’un bâton donnez-lui tant de coups,

Que le galant demeure sur la place.

Je suis d’avis que le friponneau fasse

Tel compliment à des femmesd’honneur ! »

L’époux retint cette leçon par cœur.

Onc il ne fut une plus forte dupe

Que ce vieillard, bon homme au demeurant.

Le temps venu d’attraper le galant,

Messire Bon se couvrit d’une jupe,

S’encornêta, courut incontinent

Dans le jardin, ou ne trouvapersonne :

Garde n’avait : car, tandis qu’ilfrissonne,

Claque des dents, et meurt quasi de froid,

Le pèlerin, qui le tout observoit,

Va voir la dame ; avec elle se donne

Tout le bon temps qu’on a, comme je croi,

Lorsqu’Amour seul étant de la partie

Entre deux draps on tient femmejolie ;

Femme jolie, et qui n’est point à soi.

Quand le galant un assez bon espace

Avec la dame eut été dans ce lieu,

Force lui fut d’abandonner la place :

Ce ne fut pas sans le vin de l’adieu.

Dans le jardin il court en diligence.

Messire Bon rempli d’impatience

À tous moments sa paresse maudit.

Le pèlerin, d’aussi loin qu’il le vie,

Feignit de croire apercevoir la dame,

Et lui cria : « Quoi donc méchantefemme !

À ton mari tu brassais un tel tour !

Est-ce le fruit de son parfaitamour !

Dieu soit témoin que pour toi j’en aihonte :

Et de venir ne tenais quasi compte,

Ne te croyant le cœur si perverti,

Que de vouloir tromper un tel mari.

Or bien, je vois qu’il te faut unami ;

Trouvé ne l’as en moi, je t’en assure.

Si j’ai tiré ce rendez-vous de toi,

C’est seulement pour éprouver tafoi :

Et ne t’attends de m’induire àluxure :

Grand pécheur suis ; mais j’ai, la Dieumerci,

De ton honneur encor quelque souci.

À Monseigneur ferais-je un teloutrage ?

Pour toi, tu viens avec un front depage :

Mais, foi de Dieu, ce bras techâtiera ;

Et Monseigneur puis après le saura. »

 

Pendant ces mots épouxpleurait de joie,

Et tout ravi disait entre ses dents :

« Loué soit Dieu, dont la bontém’envoie

Femme et valet si chastes, siprudents. »

Ce ne fut tout ; car à grands coups degaule

Le pèlerin vous lui froisse uneépaule ;

De horions laidement l’accoutra ;

Jusqu’au logis ainsi le convoya.

Messire Bon eut voulu que le zèle

De son valet n’eut été jusque-là ;

Mais le voyant si sage et si fidèle,

Le bonhommeau des coups se consola.

Dedans le lit sa femme il retrouva ;

Lui conta tout, en luidisant : » M’amie,

Quand nous pourrions vivre cent ans encor,

Ni vous ni moi n’aurions de notre vie

Un tel valet ; c’est sans doute untrésor.

Dans notre bourg je veux qu’il prennefemme :

À l’avenir traitez-le ainsi que moi.

– Pas n’y faudrai, lui repartit ladame ;

Et de ceci je vous donne ma foi. »

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