Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Le Berceau

 

 

Non loin de Rome un hôtelierétait

Sur le chemin qui conduit àFlorence :

Homme sans bruit, et qui ne se piquait

De recevoir gens de grosse dépense

Même chez lui rarement on gîtait

Sa femme était encor de bonne affaire,

Et ne passait de beaucoup les trente ans.

Quant au surplus, ils avaient deuxenfants ;

Garçon d’un an, fille en âge d’en faire.

 

Comme il arrive, en allant etvenant,

Pinucio jeune homme de famille,

Jeta si bien les yeux sur cette fille,

Tant la trouva gracieuse et gentille,

D’esprit si doux, et d’air tant attrayant,

Qu’il s’en piqua : très bien le lui sutdire ;

Muet n’était, elle sourde non plus :

Dont il avint qu’il sauta par-dessus

Ces longs soupirs, et tout ce vainmartyre.

Se sentir pris, parler, être écouté,

Ce fut tout un, car la difficulté

Ne gisait pas à plaire à cettebelle :

Pinuce était gentilhomme bien fait ;

Et jusque-là la fille n’avait fait

Grand cas des gens de même étoffe qu’elle.

Non qu’elle crut pouvoir changerd’état ;

Mais elle avait, nonobstant son jeune âge,

Le cœur trop haut, le goût trop délicat,

Pour s’en tenir aux amours de village.

Colette donc (ainsi l’on l’appelait)

En mariage à l’envi demandée,

Rejetait l’un, de l’autre nevoulait ;

Et n’avait rien que Pinuce en l’idée.

Longs pourparlers avecque son amant

N’étaient permis ; tout leur faisaitobstacle.

Les rendez-vous et le soulagement

Ne se pouvaient à moins que d’un miracle.

Cela ne fit qu’irriter leurs esprits.

Ne gênez point, je vous en donne avis,

Tant vos enfants, Ô vous pères etmères ;

Tant vos moitiés, vous époux etmaris ;

C’est où l’amour fait le mieux sesaffaires.

Pinucio, certain soir qu’il faisait

Un temps fort brun, s’en vient, encompagnie

D’un sien ami dans cette hôtellerie

Demander gîte. On lui dit qu’il venait

Un peu trop tard. » Monsieur, ajoutal’hôte,

Vous savez bien comme on est à l’étroit

Dans ce logis ; tout est plein jusqu’autoit :

Mieux vous vaudrait passer outre, sansfaute :

Ce gîte n’est pour gens de votre état.

– N’avez-vous point encor quelque grabat,

Reprit l’amant, quelque coin deréserve ?

L’hôte repart : il ne nous reste plus

Que notre chambre, où deux lits sonttendus ;

Et de ces lits il n’en est qu’un qui serve

Aux survenants ; l’autre nousl’occupons.

Si vous voulez coucher de compagnie

Vous et Monsieur, nous voushébergerons. »

Pinuce dit : « Volontiers ; jevous prie

Que l’on nous serve à manger au plustôt. »

Leur repas fait, on les conduit en haut.

Pinucio, sur l’avis de Colette,

Marque de l’œil comme la chambre estfaite.

Chacun couche, pour la belle on mettait

Un lit de camp : celui de l’hôteétait

Contre le mur, à tenant de la porte ;

Et l’on avait placé de même sorte,

Tout vis-à-vis celui du survenant :

Entre les deux un berceau pourl’enfant ;

Et toutefois plus près du lit de l’hôte.

Cela fit faire une plaisante faute

À cet ami qu’avait notre galant.

Sur le minuit que l’hôte apparemment

Devait dormir, l’hôtesse en faire autant,

Pinucio qui n’attendait que l’heure,

Et qui comptait les moments de la nuit,

Son temps venu ne fait longue demeure,

Au lit de camp s’en va droit et sansbruit.

Pas ne trouva la pucelle endormie ;

J’en jurerais. Colette apprit un jeu

Qui comme on sait lasse plus qu’iln’ennuie

Trêve se fit ; mais elle durapeu :

Larcins d’amour ne veulent longue pause.

Tout à merveille allait au lit decamp ;

Quand cet ami qu’avait notre galant,

Pressé d’aller mettre ordre à quelquechose

Qu’honnêtement exprimer je ne puis,

Voulut sortir, et ne put ouvrir l’huis,

Sans enlever le berceau de sa place,

L’enfant avec, qu’il mit près de leurlit ;

Le détourner aurait fait trop de bruit.

Lui revenu, près de l’enfant il passe,

Sans qu’il daignât le remettre en sonlieu ;

Puis se recouche, et quand il plut à Dieu

Se rendormit. Après un peu d’espace

Dans le logis je ne sais quoi tomba :

Le bruit fut grand ; l’hôtesses’éveilla ;

Puis alla voir ce que ce pouvait être.

À son retour le berceau la trompa.

Ne le trouvant joignant le lit dumaître :

« Saint Jean, dit-elle en soi-mêmeaussitôt,

J’ai pensé faire une étrange bévue :

Près de ces gens je me suis, peu s’enfaut,

Remise au lit en chemise ainsi nue :

C’était pour faire un bon charivari.

Dieu soit loué que ce berceau me montre

Que c’est ici qu’est couché monmari. »

Disant ces mots, auprès de cet ami

Elle se met. Fol ne fut, n’étourdi,

Le compagnon dedans un telrencontre :

La mit en œuvre, et sans témoigner rien

Il fit époux ; mais il le fit tropbien.

Trop bien ! je faux ; et c’est toutle contraire.

Il le fit mal ; car qui le veut bienfaire

Doit en besogne aller plus doucement.

Aussi l’hôtesse eut quelqueétonnement :

« Qu’à mon mari, dit-elle, et quellejoie

Le fait agir en homme de vingt ans ?

Prenons ceci, puisque Dieu nousl’envoie ;

Nous n’aurons pas toujours telpasse-temps. »

Elle n’eut dit ces mots entre ses dents,

Que le galant recommence la fête.

La dame était de bonne empletteencor :

J’en ai, je crois, dit un mot dansl’abord :

Chemin faisant c’était fortune honnête.

Pendant cela Colette appréhendant

Être surprise avecque son amant,

Le renvoya le jour venant à poindre.

Pinucio voulant aller rejoindre

Son compagnon, tomba tout de nouveau

Dans cette erreur que causait leberceau ;

Et pour son lit il prit le lit de l’hôte.

Il n’y fut pas, qu’en abaissant sa voix,

(Gens trop heureux font toujours quelquefaute)

« Ami, dit-il, pour beaucoup jevoudrois

Te pouvoir dire à quel point va ma joie.

Je te plains fort que le Ciel ne t’envoie

Tout maintenant même bonheur qu’à moi.

Ma foi Colette est un morceau de roi.

Si tu savais ce que vaut cettefille !

J’en ai bien vu ; mais de telle, entrenous,

Il n’en est point. C’est bien le cuir plusdoux,

Le corps mieux fait, la taille plusgentille ;

Et des tétons ! je ne te dis pastout.

Quoi qu’il en soit, avant que être au bout

Gaillardement six postes se sontfaites ;

Six de bon compte, et ce ne sontsornettes. »

 

D’un tel propos l’hôte toutétourdi,

D’un ton confus gronda quelques paroles.

L’hôtesse dit tout bas à cet ami,

Qu’elle prenait toujours pour sonmari :

Ne reçois plus chez toi ces têtes folles.

N’entends-tu point comme ils sont endébat ?

En son séant l’hôte sur son grabat

S’étant levé, commence à faireéclat :

« Comment, dit-il, d’un ton plein decolère,

Vous veniez donc ici pour cetteaffaire ?

Vous l’entendez ! et je vous sais bongré

De vous moquer encor comme vous faites.

Prétendez, beau Monsieur que vous êtes,

En demeurer quitte à si bon marché ?

Quoi ! ne tient-il qu’à honnir desfamilles ?

Pour vos ébats nous nourrirons nos filles,

J’en suis d’avis. Sortez de mamaison :

Je jure Dieu que j’en aurai raison.

Et toi, coquine, il faut que je tetue. »

À ce discours proféré brusquement,

Pinucio plus froid qu’une statue,

Resta sans pouls, sans voix, sansmouvement.

Chacun se tut l’espace d’un moment.

Colette entra dans des peurs nonpareilles.

L’hôtesse ayant reconnu son erreur,

Tint quelque temps le loup par lesoreilles.

Le seul ami se souvint par bonheur

De ce berceau principe de la chose.

Adressant donc à Pinuce sa voix :

« T’en tiendras-tu, dit-il, une autrefois ?

T’ai-je averti que le vin serait cause

De ton malheur ? tu sais que quand tubois

Toute la nuit tu cours, tu te démènes,

Et vas contant mille chimères vaines,

Que tu te mets dans l’esprit en dormant

Reviens au lit. » Pinuce au mêmeinstant

Fait le dormeur, poursuit le stratagème,

Que le mari prit pour argent comptant

Il ne fut pas jusqu’à l’hôtesse même

Qui n’y voulut aussi contribuer.

Près de sa fille elle alla se placer,

Et dans ce poste elle se sentit forte.

« Par quel moyen, comment, de quellesorte,

S’écria-t-elle, aurait-il pu coucher

Avec Colette, et la déshonorer ?

Je n’ai bougé toute nuit auprès d’elle

Elle n’a fait ni pis ni mieux que moi.

Pinucio nous l’allait donner belle. »

L’hôte reprit : » C’estassez ; je vous crois. »

On se leva, ce ne fut pas sans rire ;

Car chacun d’eux en avait sa raison.

Tout fut secret : et quiconque eut dubon

Par devers soi le garda sans rien dire.

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