Contes et Nouvelles en vers – Livre I

L’Ermite

 

 

Nouvelle tirée de Boccace

 

Dame Vénus et dameHypocrisie

Font quelquefois ensemble de bonscoups ;

Tout homme est homme, et les moines surtous :

Ce que j’en dis, ce n’est point par envie,

Avez-vous sœur, fille, ou femme jolie,

Gardez le froc ! c’est un maîtreGonin ;

Vous en tenez, s’il tombe sous sa main

Belle qui soit quelque peu simple etneuve,

Pour vous montrer que je ne parle en vain,

Lisez ceci, je ne veux autre preuve.

 

Un jeune ermite était tenupour saint :

On lui gardait place dans la Légende.

L’homme de Dieu d’une corde était ceint

Pleine de nœuds ; mais sous sahouppelande

Logeait le cœur d’un dangereux paillard.

Un chapelet pendait à sa ceinture,

Long d’une brasse, et gros outremesure ;

Une clochette était de l’autre part.

Au demeurant, il faisait le cafard,

Se renfermait, voyant une femelle,

Dedans sa coque, et baissait laprunelle :

Vous n’auriez dit qu’il eût mangé le lard.

 

Un bourg était dedans sonvoisinage,

Et dans ce bourg une veuve fort sage,

Qui demeurait tout à l’extrémité.

Elle n’avait pour tout bien qu’une fille

Jeune, ingénue, agréable, etgentille ;

Pucelle encor, mais, à la vérité

Moins par vertu que par simplicité ;

Peu d’entregent, beaucoupd’honnêteté ;

D’autre dot point, d’amants pas davantage.

Du temps d’Adam, qu’on naissait tout vêtu,

Je pense bien que la belle en eût eu,

Car avec rien on montait un ménage ;

Il ne fallait matelas ni linceul ;

Même le lit n’était pas nécessaire.

Ce temps n’est plus. Hymen, qui marchaitseul,

Mène à présent à sa suite un notaire.

 

L’Anachorète, en quêtant parle bourg,

Vit cette fille, et dit sous soncapuce :

« Voici de quoi ; si tu sais quelquetour,

Il te le faut employer, frère Luce. »

Pas n’y manqua : voici comme il s’yprit.

Elle logeait, comme j’ai déjà dit,

Tout près des champs, dans unemaisonnette,

Dont la cloison par notre anachorète

Étant percée aisément et sans bruit,

Le compagnon, par une belle nuit

(Belle, non pas, le vent et la tempête

Favorisaient le dessein du galant),

Une nuit donc, dans le pertuis mettant

Un long cornet, tout du haut de la tête

Il leur cria : « Femmes,écoutez-moi. »

À cette voix, toutes pleines d’effroi,

Se blottissant, l’une et l’autre est entranse.

Il continue, et corne à touteoutrance :

« Réveillez-vous, créatures de Dieu,

Toi, femme veuve, et toi, fillepucelle ;

Allez trouver mon serviteur fidèle

L’Ermite Luce ; et partez de ce lieu

Demain matin, sans le dire àpersonne ;

Car c’est ainsi que le Ciel vousl’ordonne.

Ne craignez point, je conduirai vospas ;

Luce est bénin. Toi, veuve, tu feras

Que de ta fille il ait la compagnie ;

Car d’eux doit naître un pape, dont la vie

Réformera tout le peuple chrétien. »

 

La chose fut tellementprononcée,

Que dans le lit l’une et l’autre enfoncée

Ne laissa pas de l’entendre fort bien.

La peur les tint un quart d’heure ensilence.

La fille enfin met le nez hors des draps,

Et puis, tirant sa mère par le bras,

Lui dit d’un ton tout remplid’innocence :

« Mon Dieu ! maman, y faudra-t-ilaller ?

Ma compagnie ? hélas ! qu’en veut-ilfaire ?

Je ne sais pas comment il fautparler ;

Ma cousine Anne est bien mieux sonaffaire,

Et retiendrait bien mieux tous sessermons.

– Sotte, tais-toi, lui repartit la mère,

C’est bien cela ! va, va, pour cesleçons

Il n’est besoin de tout l’esprit dumonde :

Dès la première, ou bien dès la seconde,

Ta cousine Anne en saura moins que toi.

– Oui ? dit la fille, eh ! monDieu ! menez-moi :

Partons, bientôt nous reviendrons au gîte.

– Tout doux, reprit la mère en souriant,

Il ne faut pas que nous allions sivite ;

Car que sait-on ? le diable est bienméchant

Et bien trompeur. Si c’était lui, mafille,

Qui fût venu pour nous tendre deslacs ?

As-tu pris garde ? Il parlait d’un toncas,

Comme je crois que parle la famille

De Lucifer. Le fait mérite bien

Que, sans courir, ni précipiter rien,

Nous nous gardions de nous laissersurprendre.

Si la frayeur t’avait fait mal entendre…

Pour moi, j’avais l’esprit tout éperdu.

– Non, non, maman, j’ai fort bien entendu,

Dit la fillette. – Or bien, reprit lamère,

Puisque ainsi va, mettons-nous enprière. »

 

Le lendemain, tout le jour sepassa

À raisonner, et par-ci, et par là,

Sur cette voix, et sur cette rencontre.

La nuit venue, arrive le corneur ;

Il leur cria d’un ton à faire peur :

« Femme incrédule, et qui vas àl’encontre

Des volontés de Dieu ton créateur,

Ne tarde plus, va-t’en trouver L’Ermite,

Ou tu mourras. » La fillettereprit :

« Hé bien, maman ! l’avais-je pasbien dit ?

Mon Dieu ! partons ; allons rendrevisite

À l’homme saint ; je crains tant votremort

Que j’y courrais, et tout de mon plusfort,

S’il le fallait. – Allons donc », dit lamère.

La belle mit son corset des bons jours

Son demi-ceint, ses pendants de velours

Sans se douter de ce qu’elle allait faire.

Jeune fillette a toujours soin de plaire.

Notre cagot s’était mis aux aguets,

Et par un trou qu’il avait fait exprès

À sa cellule, il voulait que ces femmes

Le pussent voir, comme un brave soldat,

Le fouet en main, toujours en un état

De pénitence, et de tirer des flammes

Quelque défunt puni pour sesméfaits ;

Faisant si bien, en frappant tout auprès,

Qu’on crut ouïr cinquante disciplines.

Il n’ouvrit pas à nos deux pèlerines

Du premier coup ; et pendant unmoment

Chacune peut l’entrevoir s’escrimant

Du saint outil. Enfin, la porte s’ouvre

Mais ce ne fut d’un bon Miserere.

Le papelard contrefait l’étonné.

Tout en tremblant, la veuve lui découvre

Non sans rougir, le cas comme il était.

À six pas d’eux la fillette attendait

Le résultat, qui fut que notre ermite

Les renvoya, fit le bon hypocrite.

« Je crains, dit-il, les ruses dumalin ;

Dispensez-moi : le sexe féminin

Ne doit avoir en ma cellule entrée.

Jamais de moi saint-père ne naîtra. »

La veuve dit, toute déconfortée :

« Jamais de vous ! et pourquoi nefera ? »

Elle ne put en tirer autre chose.

En s’en allant, la fillette disait :

« Hélas ! maman, nos péchés en sontcause. »

 

La nuit revient, et l’une etl’autre était

Au premier somme, alors que l’hypocrite

Et son cornet font bruire la maison.

Il leur cria, toujours du même ton :

« Retournez voir Luce le saintermite ;

Je l’ai changé ; retournez dèsdemain. »

Les voilà donc derechef en chemin.

Pour ne tirer plus en long cette histoire,

Il les reçut. La mère s’en alla,

Seule, s’entend ; la fille demeura.

Tout doucement il vous l’apprivoisa ;

Lui prit d’abord son joli brasd’ivoire :

Puis s’approcha, puis en vint au baiser,

Puis aux beautés que l’on cache à la vue,

Puis le galant vous la mit toute nue,

Comme s’il eût voulu la baptiser.

Ô papelards, qu’on se trompe à vosmines !

Tant lui donna du retour de matines,

Que maux de cœur vinrent premièrement,

Et maux de cœur chassés Dieu sait comment.

En fin finale, une certaine enflure

La contraignit d’allonger sa ceinture,

Mais en cachette, et sans en avertir

Le forge-pape, encore moins la mère ;

Elle craignait qu’on ne la fîtpartir :

Le jeu d’amour commençait à lui plaire.

Vous me direz : « D’où lui vint tantd’esprit ? »

D’où ? de ce jeu : c’est l’arbre descience.

Sept mois entiers la galandeattendit ;

Elle allégua son peu d’expérience.

Dès que la mère eut indice certain

De sa grossesse, elle lui fit soudain

Trousser bagage, et remercia l’hôte.

Lui de sa part rendit grâce au Seigneur,

Qui soulageait son pauvre serviteur.

Puis, au départ, il leur dit que sansfaute,

Moyennant Dieu, l’enfant viendrait à bien.

« Gardez pourtant, dame, de fairerien

Qui puisse nuire à votre géniture.

Ayez grand soin de cette créature ;

Car tout bonheur vous en arrivera :

Vous régnerez, serez la signora,

Ferez monter aux grandeurs tous lesvôtres,

Princes les uns et grands seigneurs lesautres,

Vos cousins ducs, cardinaux vosneveux ;

Places, châteaux, tant pour vous que poureux,

Ne manqueront en aucune manière,

Non plus que l’eau qui coule en larivière. »

Leur ayant fait cette prédiction,

Il leur donna sa bénédiction.

La signora, de retour chez sa mère,

S’entretenait jour et nuit du saint-père,

Préparait tout, lui faisait desbéguins ;

Au demeurant prenait tous les matins

La couple d’œufs ; attendait enliesse

Ce qui viendrait d’une telle grossesse.

Mais ce qui vint détruisit les châteaux,

Fit avorter les mitres, les chapeaux

Et les grandeurs de toute lafamille :

La signora mit au monde une fille.

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