Contes et Nouvelles en vers – Livre I

La Servante justifiée

 

Boccace n’est le seul qui mefournit.

Je vas parfois en une autre boutique.

Il est bien vrai que ce divin esprit

Plus que pas un me donne de pratique.

Mais comme il faut manger de plus d’unpain,

Je puise encore en un vieux magasin ;

Vieux, des plus vieux, ou nouvellesnouvelles

Sont jusqu’à cent, bien déduites et belles

Pour la plupart, et de très bonne main.

Pour cette fois la reine de Navarre,

D’un c’était moi naïf autant que rare,

Entretiendra dans ces vers le lecteur.

Voici le fait, quiconque en soit l’auteur.

J’y mets du mien selon lesoccurrences :

C’est ma coutume ; et sans telleslicences

Je quitterais la charge de conteur.

 

Un homme donc avait belleservante.

Il la rendit au jeu d’amour savante.

Elle était fille à bien armer un lit,

Pleine de suc, et donnant appétit ;

Ce qu’on appelle en français bonne robe.

Par un beau jour cet homme se dérobe

D’avec sa femme ; et d’un très grandmatin

S’en va trouver sa servante au jardin.

Elle faisait un bouquet pour madame :

C’était sa fête. Voyant donc de la femme

Le bouquet fait, il commence à louer

L’assortiment ; tâche às’insinuer :

S’insinuer en fait de chambrière,

C’est proprement couler sa main ausein :

Ce qui fut fait. La servante soudain

Se défendit : mais de quellemanière ?

Sans rien gâter : c’était une façon

Sur le marché ; bien savait sa leçon.

La belle prend les fleurs qu’elle avaitmises

En un monceau, les jette au compagnon.

Il la baisa pour en avoir raison :

Tant et si bien qu’ils en vinrent auxprises.

En cet étrif la servante tomba.

Lui d’en tirer aussitôt avantage.

Le malheur fut que tout ce beau ménage

Fut découvert d’un logis près de là.

Nos gens n’avaient pris garde à cetteaffaire.

Une voisine aperçut le mystère.

L’époux la vit, je ne sais pas comment.

« Nous voilà pris, dit-il à saservante.

Notre voisine est languarde et méchante.

Mais ne soyez en crainteaucunement. »

Il va trouver sa femme en ce moment :

Puis fait si bien que s’étant éveillée

Elle se lève ; et sur l’heurehabillée,

Il continue à jouer son rolet :

Tant qu’a dessein d’aller faire unbouquet,

La pauvre épouse au jardin est menée.

Là fut par lui procédé de nouveau.

Même débat, même jeu se commence.

Fleurs de voler ; tétons d’entrer endanse.

Elle y prit goût ; le jeu lui semblabeau.

Somme, que l’herbe en fut encor froissée.

 

La pauvre dame allal’après-dînée

Voir sa voisine, à qui ce secret-là

Chargeait le cœur : elle se soulagea

Tout dès l’abord : « Je ne puis, macommère,

Dit cette femme avec un front sévère,

Laisser passer sans vous en avertir

Ce que j’ai vu. Voulez-vous vous servir

Encor longtemps d’une fille perdue ?

À coups de pied, si j’étais que de vous,

Je l’envoyrais ainsi qu’elle est venue.

Comment ! elle est aussi brave quenous.

Or bien, je sais celui de qui procède

Cette piaffe : apportez-y remède

Tout au plus tôt : car je vousavertis

Que ce matin étant à la fenêtre,

(Ne sais pourquoi) j’ai vu de mon logis

Dans son jardin votre mari paraître,

Puis la galande ; et tous deux se sontmis

À se jeter quelques fleurs à latête. »

Sur ce propos l’autre l’arrêta coi.

« Je vous entends, dit-elle ;c’était moi.

 

LA VOISINE

 

Voire ! écoutez le reste de lafête :

Vous ne savez où je veux en venir.

Les bonnes gens se sont pris à cueillir

Certaines fleurs que baisers on appelle.

 

LA FEMME

 

C’est encor moi que vous preniez pourelle.

 

LA VOISINE

 

Du jeu des fleurs à celui des tétons

Ils sont passés : après quelquesfaçons

À pleine main l’on les a laissé prendre.

 

LA FEMME

 

Et pourquoi non ? c’était moi :votre époux

N’a-t-il donc pas les mêmes droits survous ?

 

LA VOISINE

 

Cette personne enfin sur l’herbe tendre

Est trébuchée, et, comme je le croi,

Sans se blesser ; vous riez ?

 

LA FEMME

 

C’était moi.

 

LA VOISINE

 

Un cotillon a paré la verdure.

 

LA FEMME

 

C’était le mien.

 

LA VOISINE

 

Sans vous mettre en courroux :

Qui le portait de la fille ou devous ?

C’est là le point : car monsieur votreépoux

Jusques au bout a poussé l’aventure.

 

LA FEMME

 

Qui ? c’était moi : votre tête estbien dure.

 

LA VOISINE

 

Ah ; c’est assez. Je ne m’informeplus :

J’ai pourtant l’œil assez bon ce mesemble :

J’aurais juré que je les avais vus

En ce lieu-là se divertir ensemble.

Mais excusez ; et ne la chassez pas.

 

LA FEMME

 

Pourquoi chasser ? j’en suis très bienservie.

 

LA VOISINE

 

Tant pis pour vous : c’est justement lecas.

Vous en tenez, ma commère m’amie.

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