Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Nicaise

 

 

Un apprenti marchandétait,

Qu’avec droit Nicaise on nommait ;

Garçon très neuf, hors sa boutique,

Et quelque peu d’arithmétique ;

Garçon novice dans les tours

Qui se pratiquent en amours.

Bons bourgeois du temps de nos pères

S’avisaient tard d’être bons frères.

Ils n’apprenaient cette leçon

Qu’ayant de la barbe au menton.

Ceux d’aujourd’hui, sans qu’on les flatte,

Ont soin de s’y rendre savants

Aussitôt que les autres gens.

Le jouvenceau de vieille date,

Possible un peu moins avancé

Par les degrés n’avait passé.

Quoi qu’il en soit le pauvre sire

En très beau chemin demeura,

Se trouvant court par celui-là

C’est par l’esprit que je veux dire.

 

Une belle pourtantl’aima :

C’était la fille de son maître

Fille aimable autant qu’on peut l’être,

Et ne tournant autour du pot

Soit par humeur franche et sincère ;

Soit qu’il fût force d’ainsi faire,

Étant tombée aux mains d’un sot.

Quelqu’un de trop de hardiesse

Ira la taxer, et moi non :

Tels procédés ont leur raison.

Lorsque l’on aime une déesse,

Elle fait ces avances-là :

Notre belle savait cela.

Son esprit, ses traits, sa richesse,

Engageaient beaucoup de jeunesse

À sa recherche : heureux serait

Celui d’entre eux qui cueillerait

En nom d’hymen certaine chose,

Qu’a meilleur titre elle promit

Au Jouvenceau ci-dessus dit.

Certain dieu parfois en dispose,

Amour nomme communément.

Il plût à la belle d’élire

Pour ce point l’apprenti marchand.

Bien est vrai (car il faut tout dire)

Qu’il était très bien fait de corps

Beau, jeune, et frais ; ce sonttrésors

Que ne méprise aucune dame

Tant soit son esprit précieux.

Pour une qu’Amour prend par l’âme

Il en prend mille par les yeux.

 

Celle-ci donc des plusgalantes,

Par mille choses engageantes

Tâchait d’encourager le gars,

N’était chiche de ses regards

Le pinçait, lui venait sourire,

Sur les yeux lui mettait la main

Sur le pied lui marchait enfin.

À ce langage il ne sut dire

Autre chose que des soupirs,

Interprètes de ses désirs.

Tant fut, à ce que dit l’histoire,

De part et d’autre soupiré,

Que leur feu dûment déclaré,

Les jeunes gens, comme on peut croire,

Ne s’épargnèrent ni serments,

Ni d’autres points bien pluscharmants ;

Comme baisers à grosse usure ;

Le tout sans compte et sans mesure.

Calculateur que fut l’amant,

Brouiller fallait incessamment :

La chose était tant infinie

Qu’il y faisait toujours abus :

Somme toute, il n’y manquait plus

Qu’une seule cérémonie.

Bon fait aux filles l’épargner.

Ce ne fut pas sans témoigner

Bien du regret, bien de l’envie

« Par vous, disait la belle amie,

Je me la veux faire enseigner,

Où ne la savoir de ma vie.

Je la saurai, je vous promets ;

Tenez-vous certain désormais

De m’avoir pour votre apprentie.

Je ne puis pour vous que ce point.

Je suis franche ; n’attendez point

Que par un langage ordinaire

Je vous promette de me faire

Religieuse, à moins qu’un jour

L’hymen ne suive notre amour.

Cet hymen serait bien mon compte

N’en doutez point ; mais lemoyen ?

Vous m’aimez trop pour vouloir rien

Qui me pût causer de la honte

Tels et tels m’ont fait demander.

Mon père est prêt de m’accorder.

Moi je vous permets d’espérer

Qu’à qui que ce soit qu’on m’engage,

Soit conseiller, soit président,

Soit veille où jour de mariage

Je serai vôtre auparavant,

Et vous aurez mon pucelage. »

 

Le garçon la remercia

Comme il put. À huit jours de là

Il s’offre un parti d’importance.

La belle dit à son ami :

« Tenons-nous-en à celui-ci ;

Car il est homme, que je pense,

À passer la chose au gros sas ».

La belle en étant sur ce cas,

On la promet, on la commence

Le jour des noces se tient prêt.

Entendez ceci, s’il vous plaît.

Je pense voir votre pensée

Sur ce mot-là de commencée.

C’était alors sans point d’abus

Fille promise et rien de plus.

 

Huit jours donnés à lafiancée,

Comme elle appréhendait encor

Quelque rupture en cet accord,

Elle diffère le négoce

Jusqu’au propre jour de la noce ;

De peur de certain accident

Qui les fillettes va perdant.

On mène au moutier cependant

Notre galande encor pucelle.

Le oui fut dit à la chandelle.

L’époux voulut avec la belle

S’en aller coucher au retour.

Elle demande encor ce jour,

Et ne l’obtient qu’avecque peine.

Il fallut pourtant y passer.

 

Comme l’aurore étaitprochaine,

L’épouse au lieu de se coucher

S’habille. On eût dit une reine,

Rien ne manquait aux vêtements,

Perles, joyaux, et diamants ;

Son épousé la faisait dame.

Son ami pour la faire femme

Prend heure avec elle au matin.

Ils devaient aller au jardin,

Dans un bois propre à telle affaire.

Une compagne y devait faire

Le guet autour de nos amants,

Compagne instruite du mystère.

La belle s’y rend la première,

Sous le prétexte d’aller faire

Un bouquet, dit-elle à ses gens.

Nicaise après quelques moments

La va trouver : et le bon sire

Voyant le lieu se met à dire :

« Qu’il fait ici d’humidité !

Foin, votre habit sera gâté.

Il est beau : ce serait dommage.

Souffrez sans tarder davantage

Que j’aille quérir un tapis.

– Eh mon Dieu laissons les habits ;

Dit la belle toute piquée.

Je dirai que je suis tombée.

Pour la perte, n’y songez point :

Quand on a temps si fort à point

Il en faut user ; et périssent

Tous les vêtements du pays ;

Que plutôt tous les beaux habits

Soient gâtés, et qu’ils se salissent

Que d’aller ainsi consumer

Un quart d’heure : un quart d’heure estcher

Tandis que tous les gens agissent

Pour ma noce, il ne tient qu’à vous

D’employer des moments si doux.

Ce que je dis ne me sied guère :

Mais je vous chéris ; et vous veux

Rendre honnête homme si je peux

– En vérité, dit l’amoureux

Conserver étoffe si chère

Ne sera point mal fait à nous.

Je cours ; c’est fait ; je suis àvous ;

Deux minutes feront l’affaire. »

Là-dessus il part sans laisser

Le temps de lui rien répliquer.

Sa sottise guérit la dame :

Un tel dédain lui vint en l’âme,

Qu’elle reprit dès ce moment

Son cœur que trop indignement

Elle avait place : quellehonte !

« Prince des sots, dit-elle en soi,

Va, je n’ai nul regret de roi :

Tout autre eût été mieux mon compte.

Mon bon ange a considéré

Que tu n’avais pas mérité

Une faveur si précieuse.

Je ne veux plus être amoureuse

Que de mon mari, j’en fais vœu.

Et de peur qu’un reste de feu

À le trahir ne me rengage,

Je vais sans tarder davantage

Lui porter un bien qu’il aurait,

Quand Nicaise en son lieu serait. »

À ces mots, la pauvre épousée

Sort du bois, fort scandalisée.

L’autre revient, et son tapis :

Mais ce n’est plus comme jadis.

Amants, la bonne heure ne sonne

À toutes les heures du jour.

J’ai lu dans l’Alphabet d’Amour,

Qu’un galant près d’une personne

N’a toujours le temps comme il veut :

Qu’il le prenne donc comme il peut.

Tous délais y font du dommage :

Nicaise en est un témoignage.

Fort essoufflé d’avoir couru,

Et joyeux de telle prouesse,

Il s’en revient bien résolu

D’employer tapis et maîtresse.

Mais quoi, la dame au bel habit

Mordant ses lèvres de dépit

Retournait voir la compagnie ;

Et de sa flamme bien guérie,

Possible allait dans ce moment,

Pour se venger de son amant,

Porter à son mari la chose

Qui lui causait ce dépit-là.

Quelle chose ? c’est celle-là

Que fille dit toujours qu’elle a.

Je te crois, mais d’en mettre jà

Mon doigt au feu, ma foi je n’ose :

Ce que je sais, c’est qu’en tel cas

Fille qui ment ne pêche pas

 

Grâce à Nicaise notrebelle

Ayant sa fleur en dépit d’elle

S’en retournait tout en grondant :

Quand Nicaise, la rencontrant

« À quoi tient, dit-il à la dame,

Que vous ne m’ayez attendu ?

Sur ce tapis bien étendu

Vous seriez en peu d’heure femme.

Retournons donc sans consulter :

Venez cesser d’être pucelle ;

Puisque je puis sans rien gâter

Vous témoigner quel est mon zèle

– Non pas cela, reprit la belle

Mon pucelage dit qu’il faut

Remettre l’affaire à tantôt.

J’aime votre santé, Nicaise ;

Et vous conseille auparavant

De reprendre un peu votre vent.

Or respirez tout à votre aise.

Vous êtes apprenti marchand ;

Faites-vous apprenti galant :

Vous n’y serez pas si tôt maître

À mon égard, je ne puis être

Votre maîtresse en ce métier.

Sire Nicaise, il vous faut prendre

Quelque servante du quartier

Vous savez des étoffes vendre,

Et leur prix en perfection ;

Mais ce que vaut l’occasion,

Vous l’ignorez, allez l’apprendre. »

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