Contes et Nouvelles en vers – Livre I

La Courtisane amoureuse

 

 

Le jeune Amour, bien qu’ilait la façon

D’un dieu qui n’est encor qu’à sa leçon,

Fut de tout temps grand faiseur demiracles.

En gens coquets il change les Catons.

Par lui les sots deviennent des oracles.

Par lui les loups deviennent des moutons.

Il fait si bien que l’on n’est plus lemême :

Témoin Hercule, et témoin Polyphème,

Mangeurs de gens. L’un sur un roc assis

Chantait aux vents ses amoureux soucis,

Et pour charmer sa nymphe joliette

Taillait sa barbe, et se mirait dansl’eau.

L’autre changea sa massue en fuseau

Pour le plaisir d’une jeune fillette.

J’en dirais cent : Boccace en rapporteun

Dont j’ai trouvé l’exemple peu commun.

C’est de Chimon jeune homme tout sauvage,

Bien fait de corps, mais ours quant àl’esprit,

Amour le lèche, et tant qu’il le polit.

Chimon devint un galant personnage.

Qui fit cela ? deux beaux yeuxseulement.

Pour les avoir aperçus un moment,

Encore à peine, et voilés par le somme,

Chimon aima, puis devint honnête homme.

Ce n’est le point dont il s’agitici :

 

Je veux conter comme une deces femmes

Qui font plaisir aux enfants sans souci

Put en son cœur loger d’honnêtes flammes.

Elle était fière, et bizarre surtout.

On ne savait comme en venir à bout.

Rome c’était le lieu de son négoce.

Mettre à ses pieds la mitre avec la crosse

C’était trop peu ; les simplesMonseigneurs

N’étaient d’un rang digne de ses faveurs.

Il lui fallait un homme du Conclave ;

Et des premiers, et qui fût sonesclave ;

Et même encore il y profitait peu,

À moins que d’être un cardinal neveu.

Le Pape enfin, s’il se fût piqué d’elle,

N’aurait été trop bon pour la donzelle.

De son orgueil ses habits se sentaient.

Force brillants sur sa robe éclataient,

La chamarrure avec la broderie.

Lui voyant faire ainsi la renchérie,

Amour se mit en tête d’abaisser

Ce cœur si haut ; et pour ungentilhomme

Jeune, bien fait, et des mieux mis deRome,

Jusques au vif il voulut la blesser.

 

L’adolescent avait pour nomCamille,

Elle Constance. Et bien qu’il fût d’humeur

Douce, traitable, à se prendre facile,

Constance n’eut sitôt l’amour au cœur,

Que la voilà craintive devenue.

Elle n’osa déclarer ses désirs

D’autre façon qu’avecque des soupirs.

Auparavant pudeur ni retenue

Ne l’arrêtaient ; mais tout fut bienchangé.

Comme on n’eût cru qu’Amour se fût logé

En cœur si fier, Camille n’y prit garde.

Incessamment Constance le regarde ;

Et puis soupirs, et puis regardsnouveaux ;

Toujours rêveuse au milieu descadeaux ;

Sa beauté même y perdit quelque chose.

Bientôt le lis l’emporta sur la rose.

 

Avint qu’un soir Camillerégala

De jeunes gens : il eut aussi desfemmes.

Constance en fut. La chose se passa

Joyeusement ; car peu d’entre cesdames

Étaient d’humeur à tenir des propos

De sainteté ni de philosophie.

Constance seule étant sourde aux bons mots

Laissait railler toute la compagnie.

Le souper fait, chacun se retira.

Tout dès l’abord Constance s’éclipsa,

S’allant cacher en certaine ruelle

Nul n’y prit garde : et l’on crut quechez elle,

Indisposée, ou de mauvaise humeur,

Ou pour affaire elle était retournée.

La compagnie étant donc retirée,

Camille dit à ses gens, par bonheur,

Qu’on le laissât ; et qu’il voulaitécrire.

Le voilà seul, et comme le désire

Celle qui l’aime, et qui ne sait comment

Ni l’aborder, ni par quel compliment

Elle pourra lui déclarer sa flamme.

Tremblante enfin, et par nécessité

Elle s’en vient. Qui fut bien étonné,

Ce fut Camille : « Hé quoi, dit-il,Madame

Vous surprenez ainsi vos bonsamis ? »

Il la fit seoir ; et puis s’étantremis :

« Qui vous croyait, reprit-il,demeurée ?

Et qui vous a cette cache montrée ?

– L’Amour, » dit-elle. À ce seul mot sansplus

Elle rougit ; chose que ne font guère

Celles qui sont prêtresses de Vénus :

Le vermillon leur vient d’autre manière

Camille avait déjà quelque soupçon

Que l’on l’aimait : il n’était sinovice

Qu’il ne connut ses gens à la façon ;

Pour en avoir un plus certain indice

Et s’égayer, et voir si ce cœur fier

Jusques au bout pourrait s’humilier,

Il fit le froid. Notre amante en soupire.

La violence enfin de son martyre

La fait parler : elle commenceainsi :

« Je ne sais pas ce que vous allezdire,

De voir Constance oser venir ici

Vous déclarer sa passion extrême.

Je ne saurais y penser sans rougir :

Car du métier de nymphe me couvrir,

On n’en est plus dès le moment qu’on aime.

Puis quelle excuse ! hélas si lepassé

Dans votre esprit pouvait êtreeffacé !

Du moins, Camille, excusez ma franchise

Je vois fort bien que quoi que je vousdise

Je vous déplais. Mon zèle me nuira.

Mais nuise ou non, Constance vousadore :

Méprisez-la, chassez-la, battez-la ;

Si vous pouvez, faites-lui pisencore ;

Elle est à vous. » Alors lejouvenceau :

« Critiquer gens m’est, dit-il, fortnouveau

Ce n’est mon fait : et toutefoisMadame

Je vous dirai tout net que ce discours

Me surprend fort ; et que vous n’êtesfemme

Qui dût ainsi prévenir nos amours.

Outre le sexe, et quelque bienséance

Qu’il faut garder, vous vous êtes faittort.

À quel propos toute cette éloquence ?

Votre beauté m’eût gagné sans effort

Et de son chef. Je vous le disencor :

Je n’aime point qu’on me fassed’avance. »

 

Ce propos fut à la pauvreConstance

Un coup de foudre. Elle repritpourtant :

« J’ai mérité ce mauvaistraitement :

Mais ose-t-on vous dire sa pensée ?

Mon procédé ne me nuirait pas tant,

Si ma beauté n’était point effacée.

C’est compliment ce que vous m’avezdit :

J’en suis certaine, et lis dans votreesprit :

Mon peu d’appas n’a rien qui vous engage.

D’où me vient-il ? je m’en rapporte àvous.

N’est-il pas vrai que naguère, entre nous,

À mes attraits chacun rendaithommage ?

Ils sont éteints ces dons si précieux.

Et l’amour que j’ai m’a causé ce dommage.

Je ne suis plus assez belle à vos yeux.

Si je l’étais je serais assez sage.

– Nous parlerons tantôt de ce point-là,

Dit le galant ; il est tard, et voilà

Minuit qui sonne ; il faut que je mecouche. »

 

Constance crut qu’elle auraitla moitié

D’un certain lit que d’un œil de pitié

Elle voyait : mais d’en ouvrir labouche,

Elle n’osa de crainte de refus.

Le compagnon feignant d’être confus

Se tut longtemps ; puis dit :« Comment ferai-je ?

Je ne me puis tout seul déshabiller.

– Et bien, Monsieur, dit-elle,appellerai-je ?

– Non, reprit-il ; gardez-vousd’appeler.

Je ne veux pas qu’en ce lieu l’on vousvoie

Ni qu’en ma chambre une fille de joie

Passe la nuit au su de tous mes gens.

– Cela suffit, Monsieur, répartit-elle.

Pour éviter ces inconvénients,

Je me pourrais cacher en la ruelle :

Mais faisons mieux, et ne laissons venir

Personne ici : l’amoureuse Constance

Veut aujourd’hui de laquais vous servir.

Accordez-lui pour toute récompense

Cet honneur-là. » Le jeune homme yconsent.

Elle s’approche ; elle ledéboutonne ;

Touchant sans plus à l’habit, et n’osant

Du bout du doigt toucher à la personne.

Ce ne fut tout ; elle le déchaussa.

Quoi de sa main ! quoi Constanceelle-même !

Qui fût-ce donc ? est-ce trop quecela ?

Je voudrais bien déchausser ce que j’aime.

Le compagnon dans le lit se plaça ;

Sans la prier d’être de la partie.

Constance crut dans le commencement,

Qu’il la voulait éprouver seulement :

Mais tout cela passait la raillerie

Pour en venir au point plusimportant :

« Il fait, dit-elle, un temps froid commeglace :

Où me coucher ?

 

CAMILLE

 

Partout ou vous voudrez.

 

CONSTANCE

 

Quoi sur ce siège ?

 

CAMILLE

 

Et bien non ; vous viendrez

Dedans mon lit.

 

CONSTANCE

 

Délacez-moi, de grâce.

 

CAMILLE

 

Je ne saurais, il fait froid, je suisnu ;

Délacez-vous. »

Notre amante ayant vu

Près du chevet un poignard dans sa gaine

Le prend, le tire, et coupe ses habits

Corps piqué d’or, garnitures de prix,

Ajustement de princesse et de reine.

Ce que les gens en deux mois à grand’peine

Avaient brodé, périt en un moment :

Sans regretter ni plaindre aucunement

Ce que le sexe aime plus que sa vie.

Femmes de France, en feriez-vousautant ?

Je crois que non, j’en suis sûr, etpartant

Cela fut beau sans doute en Italie.

 

La pauvre amante approche entapinois,

Croyant tout fait ; et que pour cettefois

Aucun bizarre et nouveau stratagème

Ne viendrait plus son aise reculer :

Camille dit : « C’est tropdissimuler

Femme qui vient se produire elle-même

N’aura jamais de place à mes côtés.

Si bon vous semble allez vous mettre auxpieds. »

Ce fut bien là qu’une douleur extrême

Saisit la belle ; et si lors parhasard

Elle avait eu dans ses mains le poignard,

C’en était fait : elle eut de part enpart

Percé son cœur. Toutefois l’espérance

Ne mourut pas encor dans son esprit.

Camille était trop connu de Constance.

Et que ce fut tout de bon qu’il eût dit

Chose si dure, et pleine d’insolence,

Lui qui s’était jusque-là comporté

En homme doux, civil, et sans fierté,

Cela semblait contre toute apparence.

Elle va donc en travers se placer

Aux pieds du sire ; et d’abord les luibaise ;

Mais point trop fort, de peur de leblesser

On peut juger si Camille était aisé.

Quelle victoire ! avoir mis à cepoint

Une beauté si superbe et si fière !

Une beauté ! je ne la décrispoint ;

Il me faudrait une semaine entière.

On ne pouvait reprocher seulement

Que la pâleur à cet objet charmant

Pâleur encor dont la cause était telle

Qu’elle donnait du lustre à notre belle.

Camille donc s’étend ; et sur un sein

Pour qui l’ivoire aurait eu de l’envie,

Pose ses pieds, et sans cérémonie

Il s’accommode, et se fait un coussin

Puis feint qu’il cède aux charmes deMorphée.

Par les sanglots notre amante étouffée

Lâche la bonde aux pleurs cette fois-là.

Ce fut la fin. Camille l’appela,

D’un ton de voix qui plut fort à la belle.

« Je suis content, dit-il, de votreamour.

Venez, venez, Constance, c’est montour. »

Elle se glisse ; et lui s’approchantd’elle :

« M’avez-vous cru si dur et si brutal

Que d’avoir fait tout de bon lesévère ?

Dit-il d’abord, vous me connaissezmal :

Je vous voulais donner lieu de me plaire.

Or bien je sais le fond de votre cœur.

Je suis content, satisfait, plein de joie,

Comblé d’amour : et que votre rigueur

Si bon lui semble à son tour sedéploie :

Elle le peut : usez-en librement.

Je me déclare aujourd’hui votre amant,

Et votre époux ; et ne sais nulledame,

De quelque rang et beauté que ce soit,

Qui vous valût pour maîtresse et pourfemme ;

Car le passé rappeler ne se doit

Entre nous deux. Une chose ai-je àdire :

C’est qu’en secret il nous faut marier.

Il n’est besoin de vous spécifier

Pour quel sujet : cela vous doitsuffire.

Même il est mieux de cette façon-là ;

Un tel hymen à des amours ressemble ;

On est époux et galant toutensemble. »

L’histoire dit que le drôle ajouta :

« Voulez-vous pas, en attendant leprêtre,

À votre amant vous fier aujourd’hui ?

Vous le pouvez, je vous réponds delui ;

Son cœur n’est pas d’un perfide et d’untraître.

 

À tout cela Constance ne ditrien.

C’était tout dire : il le reconnutbien,

N’étant novice en semblables affaires.

Quant au surplus, ce sont de telsmystères,

Qu’il n’est besoin d’en faire le récit.

Voilà comment Constance réussit.

Or faites-en, nymphes, votre profit.

Amour en a dans son académie,

Si l’on voulait venir à l’examen,

Que j’aimerais pour un pareil hymen

Mieux que mainte autre à qui l’on semarie.

Femme qui n’a filé toute sa vie

Tâche à passer bien des choses sans bruit.

Témoin Constance et tout ce qui s’ensuit,

Noviciat d’épreuves un peu dures :

Elle en reçut abondamment le fruit :

Nonnes je sais qui voudraient chaque nuit

En faire un tel à toutes aventures

Ce que possible on ne croira pas vrai

C’est que Camille en caressant la belle

Des dons d’Amour lui fit goûter l’essai.

L’essai ? je faux : Constance enétait-elle

Aux éléments ? oui Constance en était

Aux éléments : ce que la belle avait

Pris et donné de plaisirs en sa vie,

Compter pour rien jusqu’alors sedevait :

Pourquoi cela ? quiconque aime ledie.

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