Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Les Frères de Catalogne

 

 

Je vous veux conter labesogne

Des bons frères de Catalogne ;

Besogne ou ces frères en Dieu

Témoignèrent en certain lieu

Une charité si fervente,

Que mainte femme en fut contente,

Et crut y gagner Paradis.

Telles gens, par leurs bons avis,

Mettent à bien les jeunes âmes,

Tirent à soi filles et femmes,

Se savent emparer du cœur,

Et dans la vigne du Seigneur

Travaillent ainsi qu’on peut croire.

Et qu’on verra par cette histoire.

 

Au temps que le sexevivait

Dans l’ignorance, et ne savait

Gloser encor sur l’Evangile,

(Temps à coter fort difficile)

Un essaim de frères dîmeurs,

Pleins d’appétit et beaux dîneurs,

S’alla jeter dans une ville,

En jeunes beautés très fertile.

Pour des galants, peu s’en trouvait ;

De vieux maris, il en plouvait.

À l’abord une confrérie,

Par les bons pères fut bâtie,

Femme était qui n’y courut,

Qui ne s’en mît, et qui ne crut

Par ce moyen être sauvée :

Puis quand leur foi fut éprouvée,

On vint au véritable point ;

Frère André ne marchanda point ;

Et leur fit ce beau petit prêche :

« Si quelque chose vous empêche

D’aller tout droit en paradis,

C’est d’épargner pour vos maris,

Un bien dont ils n’ont plus que faire,

Quand ils ont pris leur nécessaire ;

Sans que jamais il vous ait plu

Nous faire part du superflu.

Vous me direz que notre usage

Répugne aux dons du mariage ;

Nous l’avouons, et Dieu merci

Nous n’aurions que voir en ceci,

Sans le soin de vos consciences.

La plus griève des offenses,

C’est d’être ingrate : Dieu l’a dit.

Pour cela Satan fut maudit.

Prenez-y garde ; et de vos restes

Rendez grâce aux bontés célestes,

Nous laissant dîmer sur un bien,

Qui ne vous coûte presque rien.

C’est un droit, ô troupe fidèle,

Qui vous témoigne notre zèle ;

Droit authentique et bien signé,

Que les papes nous ont donné ;

Droit enfin, et non pas aumône :

Toute femme doit en personne

S’en acquitter trois fois le mois

Vers les frères catalanois.

Cela fonde sur l’Écriture,

Car il n’est bien dans la nature,

(Je le répète, écoutez-moi)

Qui ne subisse cette loi

De reconnaissance et d’hommage :

Or les œuvres du mariage,

Étant un bien, comme savez

Où savoir chacune devez,

Il est clair que dîme en est due.

Cette dîme sera reçue

Selon notre petit pouvoir.

Quelque peine qu’il faille avoir,

Nous la prendrons en patience :

N’en faites point de conscience ;

Nous sommes gens qui n’avons pas

Toutes nos aises ici-bas.

Au reste, il est bon qu’on vous dise,

Qu’entre la chair et la chemise

Il faut cacher le bien qu’on fait :

Tout ceci doit être secret,

Pour vos maris et pour tout autre.

Voici trois mots d’un bon apôtre

Qui font à notre intention :

Foi, charité, discrétion. »

Frère André par cette éloquence

Satisfit fort son audience,

Et passa pour un Salomon,

Peu dormirent à son sermon.

Chaque femme, ce dit l’histoire

Garda très bien dans sa mémoire,

Et mieux encor dedans son cœur,

Le discours du prédicateur.

Ce n’est pas tout, il s’exécute :

Chacune accourt ; grande dispute

À qui la première paiera.

Mainte bourgeoise murmura

Qu’au lendemain on l’eût remise.

La gent qui n’aime pas la bise

Ne sachant comme renvoyer

Cet escadron prêt à payer,

Fut contrainte enfin de leur dire :

« De par Dieu souffrez qu’on respire,

C’en est assez pour le présent ;

On ne peut faire qu’en faisant.

Réglez votre temps sur le nôtre ;

Aujourd’hui l’une, et demain l’autre.

Tout avec ordre et croyez-nous :

On en va mieux quand on va doux. »

Le sexe suit cette sentence.

Jamais de bruit pour la quittance,

Trop bien quelque collation

Et le tout par dévotion.

Puis de trinquer à la commère.

Je laisse à penser quelle chère

Faisait alors frère Frappart.

Tel d’entre eux avait pour sa part

Dix jeunes femmes bien payantes,

Frisques, gaillardes, attrayantes.

Tel aux douze et quinze passait.

Frère Roc à vingt se chaussait.

Tant et si bien que les donzelles,

Pour se montrer plus ponctuelles,

Payaient deux fois assez souvent :

Dont il avînt que le couvent,

Las enfin d’un tel ordinaire,

Après avoir à cette affaire

Vaqué cinq ou six mois entiers,

Eût fait crédit bien volontiers :

Mais les donzelles scrupuleuses,

De s’acquitter étaient soigneuses,

Croyant faillir en retenant

Un bien à l’ordre appartenant.

Point de dîmes accumulées :

Il s’en trouva de si zélées,

Que par avance elles payaient.

Les beaux pères n’expédiaient

Que les fringantes et les belles,

Enjoignant aux sempiternelles

De porter en bas leur tribut :

Car dans ces dîmes de rebut

Les lais trouvaient encore à frire

Bref à peine il se pourrait dire

Avec combien de charité

Le tout était exécuté.

 

Il avînt qu’une de labande,

Qui voulait porter son offrande,

Un beau soir, en chemin faisant,

Et son mari la conduisant,

Lui dit : « Mon Dieu, j’ai quelqueaffaire

Là dedans avec certain frère,

Ce sera fait dans un moment. »

L’époux répondit brusquement :

« Quoi ? quelle affaire ?êtes-vous folle ?

Il est minuit sur ma parole :

Demain vous direz vos pêchés :

Tous les bons pères sont couchés.

– Cela n’importe, dit la femme ;

– Et par Dieu si, dit-il, Madame,

Je tiens qu’il importe beaucoup ;

Vous ne bougerez pour ce coup.

Qu’avez-vous fait, et quelle offense

Presse ainsi votre conscience ?

Demain matin j’en suis d’accord.

– Ah ! Monsieur, vous me faites tort,

Reprit-elle, ce qui me presse,

Ce n’est pas d’aller à confesse,

C’est de payer ; car si j’attends,

Je ne le pourrai de longtemps ;

Le frère aura d’autres affaires.

– Quoi payer ? – La dîme aux bonspères.

Quelle dîme ? – Savez-vous pas ?

Moi je le sais ! c’est un grand cas,

Que toujours femme aux moines donne.

– Mais cette dîme, ou cette aumône,

La saurai-je point à la fin ?

– Voyez, dit-elle, qu’il est fin,

N’entendez-vous pas ce langage ?

C’est des œuvres de mariage.

– Quelles œuvres ? reprit l’époux.

– Et là, Monsieur, c’est ce que nous…

Mais j’aurais payé depuis l’heure.

Vous êtes cause qu’en demeure

Je me trouve présentement ;

Car toujours je suis coutumière

De payer toute la première. »

 

L’époux remplid’étonnement,

Eut cent pensers en un moment

Il ne sut que dire et que croire.

Enfin pour apprendre l’histoire,

Il se tut, il se contraignit,

Du secret sans plus se plaignit ;

Par tant d’endroits tourna sa femme,

Qu’il apprit que mainte autre dame

Payait la même pension :

Ce lui fut consolation.

« Sachez, dit la pauvre innocente,

Que pas une n’en est exempte :

Votre Sœur paie à frère Aubry ;

La baillie au père Fabry ;

Son Altesse à frère Guillaume,

Un des beaux moines du royaume :

Moi qui paie à frère Girard,

Je voulais lui porter ma part. »

Que de maux la langue nous cause !

Quand ce mari sut toute chose,

Il résolut premièrement

D’en avertir secrètement

Monseigneur, puis les gens de ville ;

Mais comme il était difficile

De croire un tel cas dès l’abord,

Il voulut avoir le rapport

Du drôle à qui payait sa femme.

Le lendemain devant la dame

Il fait venir frère Girard ;

Lui porte à la gorge un poignard ;

Lui fait conter tout le mystère :

Puis ayant enfermé ce frère

À double clef, bien garrotté,

Et la dame d’autre côté,

Il va partout conter sa chance.

Au logis du prince il commence ;

Puis il descend chez l’échevin ;

Puis il fait sonner le tocsin.

Toute la ville en est troublée.

On court en foule à l’assemblée ;

Et le sujet de la rumeur,

N’est point su du peuple dîmeur.

Chacun opine à la vengeance.

L’un dit qu’il faut en diligence

Aller massacrer ces cagots ;

L’autre dit qu’il faut de fagots

Les entourer dans leur repaire,

Et brûler gens et monastère.

Tel veut qu’ils soient à l’eau jetés,

Dedans leurs frocs empaquetés ;

Afin que cette pépinière,

Flottant ainsi sur la rivière,

S’en aille apprendre à l’univers,

Comment on traite les pervers.

Tel invente un autre supplice,

Et chacun selon son caprice.

Bref tous conclurent à la mort :

L’avis du feu fut le plus fort.

On court au couvent tout à l’heure :

Mais, par respect de la demeure,

L’arrêt ailleurs s’exécuta :

Un bourgeois sa grange prêta.

La penaille, ensemble enfermée,

Fut en peu d’heures consumée,

Les maris sautants alentour,

Et dansants au son du tambour.

Rien n’échappa de leur colère,

Ni moinillon, ni béat père.

Robes, manteaux, et cocluchons,

Tout fut brûlé comme cochons.

Tous périrent dedans les flammes.

Je ne sais ce qu’on fit des femmes.

Pour le pauvre frère Girard,

Il avait eu son fait à part.

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