Contes et Nouvelles en vers – Livre I

Les Rémois

 

 

Il n’est cité que je préfèreà Reims :

C’est l’ornement, et l’honneur de laFrance :

Car sans compter l’ampoule et les bonsvins,

Charmants objets y sont en abondance.

Par ce point-là je n’entends quant à moi

Tours ni portaux ; mais gentillesgaloises ;

Ayant trouvé telle de nos Rémoises

Friande assez pour la bouche d’un roi.

 

Une avait pris un peintre enmariage,

Homme estimé dans sa profession :

Il en vivait : que faut-ildavantage ?

C’était assez pour sa condition.

Chacun trouvait sa femme fort heureuse.

Le drôle était, grâce à certain talent,

Très bon époux, encor meilleur galant.

De son travail mainte dame amoureuse

L’allait trouver ; et le tout à deuxfins :

C’était le bruit à ce que ditl’histoire :

Moi qui ne suis en cela des plus fins,

Je m’en rapporte à ce qu’il en fautcroire.

Dès que le sire avait donzelle en main,

Il en riait avecque son épouse.

Les droits d’hymen allant toujours leurtrain

Besoin n’était qu’elle fût la jalouse.

Même elle eût pu le payer de sestours ;

Et comme lui voyager en amours ;

Sauf d’en user avec plus de prudence,

Ne lui faisant la même confidence.

 

Entre les gens qu’elle sutattirer,

Deux siens voisins se laissèrent leurrer

À l’entretien libre et gai de ladame ;

Car c’était bien la plus trompeuse femme

Qu’en ce point-là l’on eût surencontrer :

Sage sur tout ; mais aimant fort àrire.

Elle ne manque incontinent de dire

À son mari l’amour des deux bourgeois,

Tous deux gens sots, tous deux gens àsornettes.

Lui raconta mot pour mot leursfleurettes ;

Pleurs et soupirs, gémissements gaulois.

Ils avaient lu, ou plutôt ouï dire,

Que d’ordinaire en amour on soupire.

Ils tâchaient donc d’en faire leur devoir,

Que bien que mal, et selon leur pouvoir.

À frais communs se conduisait l’affaire.

Ils ne devaient nulle chose se taire.

Le premier d’eux qu’on favoriserait

De son bonheur part à l’autre ferait.

 

Femmes voilà souvent comme onvous traite.

Le seul plaisir est ce que l’on souhaite.

Amour est mort : le pauvre compagnon

Fut enterré sur les bords du Lignon.

Nous n’en avons ici ni vent ni voie.

Vous y servez de jouet et de proie

À jeunes gens indiscrets, scélérats :

C’est bien raison qu’au double on le leurrende :

Le beau premier qui sera dans vos lacs,

Plumez-le-moi, je vous le recommande.

 

La dame donc pour tromper sesvoisins

Leur dit un jour : « Vous boirez denos vins

Ce soir chez nous. Mon mari s’en va faire

Un tour aux champs ; et le bon del’affaire

C’est qu’il ne doit au gîte revenir.

Nous nous pourrons à l’aise entretenir.

– Bon, dirent-ils, nous viendrons sur labrune. »

Or les voilà compagnons de fortune.

La nuit venue ils vont au rendez-vous.

Eux introduits, croyant ville gagnée,

Un bruit survint ; la fête futtroublée.

On frappe à l’huis ; le logis auxverrous

Était fermé : la femme à la fenêtre

Court en disant : « Celui-ci frappeen maître ;

Serait-ce point par malheur monépoux ?

Oui, cachez-vous, dit-elle, c’estlui-même.

Quelque accident, ou bien quelque soupçon

Le font venir coucher à la maison. »

Nos deux galants dans ce péril extrême

Se jettent vite en certain cabinet.

Car s’en aller, comment auraient-ilsfait ?

Ils n’avaient pas le pied hors de lachambre

Que l’époux entre, et voit au feu lemembre

Accompagné de maint et maint pigeon,

L’un au hâtier, les autres au chaudron

« Oh oh, dit-il, voilà bonnecuisine !

Qui traitez-vous ? Alis notrevoisine,

Reprit l’épouse, et Simonette aussi.

Loué soit Dieu qui vous ramène ici,

La compagnie en sera plus complète.

Madame Alis, Madame Simonette,

N’y perdront rien. Il faut les avertir

Que tout est prêt, qu’elles n’ont qu’àvenir.

J’y cours moi-même. » Alors lacréature

Les va prier. Or c’étaient les moitiés

De nos galants et chercheurs d’aventure,

Qui fort chagrins de se voir enfermés

Ne laissaient pas de louer leur hôtesse

De s’être ainsi tirée avec adresse

De cet apprêt. Avec elle à l’instant

Leurs deux moitiés entrent tout enchantant.

On les salue, on les baise, on les loue

De leur beauté, de leur ajustement,

On les contemple, on patine, on se joue.

Cela ne plut aux maris nullement.

Du cabinet la porte à demi close,

Leur laissant voir le tout distinctement,

Ils ne prenaient aucun goût à lachose :

Mais passe encor pour ce commencement.

Le souper mis presque au même moment,

Le peintre prit par la main les deuxfemmes,

Les fit asseoir, entre elles se plaça.

« Je bois, dit-il, à la santé desdames ! »

Et de trinquer ; passe encore pourcela.

On fit raison ; le vin ne dura guère.

L’hôtesse étant alors sans chambrière

Court à la cave : et de peur desesprits

Mène avec soi madame Simonette.

Le peintre reste avec madame Alis,

Provinciale assez belle, et bien faite,

Et s’en piquant, et qui pour le pays

Se pouvait dire honnêtement coquette.

 

Le compagnon vous la tenantseulette,

La conduisit de fleurette en fleurette

Jusqu’au toucher, et puis un peu plusloin ;

Puis tout à coup levant la collerette

Prit un baiser dont l’époux fut témoin.

Jusque-là passe : époux, quand ils sontsages,

Ne prennent garde à ces menussuffrages ;

Et d’en tenir registre c’est abus :

Bien est-il vrai qu’en rencontre pareille

Simples baisers font craindre lesurplus ;

Car Satan lors vient frapper sur l’oreille

De tel qui dort, et fait tant qu’ils’éveille.

L’époux vit donc, que tandis qu’une main

Se promenait sur la gorge à son aise,

L’autre prenait un tout autrechemin ;

Ce fut alors, Dame ne vous déplaise,

Que le courroux lui montant au cerveau,

Il s’en allait enfonçant son chapeau,

Mettre l’alarme en tout le voisinage,

Battre sa femme, et dire au peintre rage,

Et témoigner qu’il n’avait les brasgourds.

« Gardez-vous bien de faire unesottise,

Lui dit tout bas son compagnon d’amours,

Tenez-vous coi. Le bruit en nulle guise

N’est bon ici ; d’autant plus qu’en voslacs

Vous êtes pris : ne vous montrez doncpas.

C’est le moyen d’étouffer cette affaire.

Il est écrit qu’à nul il ne faut faire

Ce qu’on ne veut à soi-même être fait.

Nous ne devons quitter ce cabinet

Que bien à point, et tantôt quand cethomme

Étant au lit prendra son premier somme.

Selon mon sens c’est le meilleur parti.

À tard viendrait aussi bien la querelle.

N’êtes-vous pas cocu plus d’à demi ?

Madame Alis au fait a consenti :

Cela suffit, le reste estbagatelle. »

L’époux goûta quelque peu ces raisons.

Sa femme fit quelque peu de façons,

N’ayant le temps d’en faire davantage.

Et puis ? et puis ; comme personnesage

Elle remit sa coiffure en état.

On n’eût jamais soupçonné ce ménage,

Sans qu’il restait un certain incarnat

Dessus son teint ; mais c’était peu dechose ;

Dame Fleurette en pouvait être cause.

 

L’une pourtant des tireusesde vin

De lui sourire au retour ne fitfaute :

Ce fut la peintre. On se remit entrain :

On releva grillades et festin :

On but encore à la santé de l’hôte,

Et de l’hôtesse, et de celle des trois

Qui la première aurait quelque aventure.

Le vin manqua pour la seconde fois.

L’hôtesse adroite et fine créature

Soutient toujours qu’il revient desesprits

Chez les voisins. Ainsi madame Alis

Servit d’escorte. Entendez que la dame

Pour l’autre emploi inclinait en sonâme ;

Mais on l’emmène ; et par ce moyen-là

De faction Simonette changea.

Celle-ci fait d’abord plus la sévère,

Veut suivre l’autre, ou feint le vouloirfaire ;

Mais se sentant par le peintre tirer,

Elle demeure ; étant trop ménagère

Pour se laisser son habit déchirer.

L’époux voyant quel train prenaitl’affaire

Voulut sortir. L’autre lui dit :« Tout doux.

Nous ne voulons sur vous nul avantage.

C’est bien raison que Messer Cocuage

Sur son état vous couche ainsi que nous.

Sommes-nous pas compagnons defortune ?

Puisque le peintre en a caressé l’une,

L’autre doit suivre. Il faut bon gré malgré

Qu’elle entre en danse ; et s’il estnécessaire

Je m’offrirai de lui tenir le pied :

Vouliez ou non, elle aura sonaffaire. »

Elle l’eut donc : notre peintre ypourvut

Tout de son mieux : aussi levalait-elle.

Cette dernière eut ce qu’il luifallut ;

On en donna le loisir à la belle.

Quand le vin fut de retour, on conclut

Qu’il ne fallait s’attabler davantage.

Il était tard ; et le peintre avaitfait

Pour ce jour-là suffisamment d’ouvrage.

On dit bonsoir. Le drôle satisfait

Se met au lit : nos gens sortent decage.

L’hôtesse alla tirer du cabinet

Les regardants honteux, mal contentsd’elle,

Cocus de plus. Le pis de leur méchef

Fut qu’aucun d’eux ne pût venir à chef

De son dessein, ni rendre à la donzelle

Ce qu’elle avait à leurs femmesprêté ;

Par conséquent c’est fait ; j’ai toutconté.

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