Contes et Nouvelles en vers – Livre I

LIVRE DEUXIÈME

Préface

 

Voici les derniers ouvragesde cette nature qui partiront des mains de l’auteur, et parconséquent la dernière occasion de justifier ses hardiesses et leslicences qu’il s’est données. Nous ne parlons point des mauvaisesrimes, des vers qui enjambent, des deux voyelles sans élision, nien général de ces sortes de négligences qu’il ne se pardonneraitpas lui-même en un autre genre de poésie, mais qui sontinséparables, pour ainsi dire, de celui-ci. Le trop grand soin deles éviter jetterait un faiseur de contes en de longs détours, endes récits aussi froids que beaux, en des contraintes fortinutiles, et lui ferait négliger le plaisir du cœur pour travaillerà la satisfaction de l’oreille. Il faut laisser les narrationsétudiées pour les grands sujets, et ne pas faire un poème épiquedes aventures de Renaud d’Ast. Quand celui qui a rimé ces nouvellesy aurait apporté tout le soin et l’exactitude qu’on lui demande,outre que ce soin s’y remarquerait d’autant plus qu’il y est moinsnécessaire, et que cela contrevient aux préceptes de Quintilien,encore l’auteur n’aurait-il pas satisfait au principal point, quiest d’attacher le lecteur, de le réjouir, d’attirer malgré lui sonattention, de lui plaire enfin : car, comme l’on sait, lesecret de plaire ne consiste pas toujours en l’ajustement, ni mêmeen la régularité ; il faut du piquant et de l’agréable, sil’on veut toucher. Combien voyons-nous de ces beautés régulièresqui ne touchent point, et dont personne n’est amoureux ? Nousne voulons pas ôter aux modernes la louange qu’ils ont méritée. Lebeau tour de vers, le beau langage, la justesse, les bonnes rimes,sont des perfections en un poète ; cependant, que l’onconsidère quelques-unes de nos épigrammes où tout cela serencontre, peut-être y trouvera-t-on beaucoup moins de sel,j’oserais dire encore bien moins de grâces, qu’en celles de Marotet de Saint-Gelais ; quoique les ouvrages de ces dernierssoient presque tout pleins de ces mêmes fautes qu’on nous impute.On dira que ce n’étaient pas des fautes en leur siècle et que c’ensont de très grandes au nôtre. À cela nous répondons par un mêmeraisonnement, et disons, comme nous avons déjà dit, que c’en seraiten effet dans un autre genre de poésie, mais que ce n’en sont pointdans celui-ci. Feu M. de Voiture en est le garant : il ne fautque lire ceux de ses ouvrages où il fait revivre le caractère deMarot. Car notre auteur ne prétend pas que la gloire lui en soitdue, ni qu’il ait mérité non plus de grands applaudissements dupublic pour avoir rimé quelques contes. Il s’est véritablementengagé dans une carrière toute nouvelle, et l’a fournie le mieuxqu’il a pu, prenant tantôt un chemin, tantôt l’autre, et marchanttoujours plus assurément quand il a suivi la manière de nos vieuxpoètes, quorum in hac re imitari neglegentiam exoptat potiusquam istorum dili gentiam. Mais, en disant que nous voulionspasser ce point-là, nous nous sommes insensiblement engagés àl’examiner. Et possible n’a-ce pas été inutilement ; car iln’y a rien qui ressemble mieux à des fautes que ces licences.

 

Venons à la liberté quel’auteur se donne de tailler dans le bien d’autrui ainsi que dansle sien propre, sans qu’il en excepte les nouvelles même les plusconnues, ne s’en trouvant point d’inviolable pour lui. Ilretranche, il amplifie, il change les incidents et lescirconstances, quelquefois le principal événement et lasuite ; enfin, ce n’est plus la même chose, c’est proprementune nouvelle nouvelle ; et celui qui l’a inventée aurait biende la peine à reconnaître son propre ouvrage. Non sic decetcontaminari fabulas, diront les critiques. Et comment ne lediraient-ils pas ? ils ont bien fait le même reproche àTérence ; mais Térence s’est moqué d’eux, et a prétendu avoirdroit d’en user ainsi. Il a mêlé du sien parmi les sujets qu’il atirés de Ménandre, comme Sophocle et Euripide ont mêlé du leurparmi ceux qu’ils ont tirés des écrivains qui les précédaient,n’épargnant histoire ni fable où il s’agissait de la bienséance etdes règles du dramatique. Ce privilège cessera-t-il à l’égard descontes faits à plaisir ? et faudra-t-il avoir dorénavant plusde respect et plus de religion, s’il est permis d’ainsi dire, pourle mensonge, que les anciens n’en ont eu pour la vérité ?Jamais ce qu’on appelle un bon conte ne passe d’une main à l’autresans recevoir quelque nouvel embellissement.

 

D’où vient donc, nouspourra-t-on dire, qu’en beaucoup d’endroits l’auteur retranche aulieu d’enchérir ? Nous en demeurons d’accord ; et il lefait pour éviter la longueur et l’obscurité, deux défautsintolérables dans ces matières, le dernier surtout : car, sila clarté est recommandable en tous les ouvrages de l’esprit, onpeut dire qu’elle est nécessaire dans les récits où une chose, laplupart du temps, est la suite et la dépendance d’une autre, où lemoindre fonde quelquefois le plus important ; en sorte que sile fil vient une fois à se rompre, il est impossible au lecteur dele renouer. D’ailleurs, comme les narrations en vers sont trèsmalaisées, il se faut charger de circonstances le moins qu’onpeut ; par ce moyen vous vous soulagez vous même, et voussoulagez aussi le lecteur, à qui l’on ne saurait manquer d’apprêterdes plaisirs sans peine. Que si l’auteur a changé quelquesincidents et même quelque catastrophe, ce qui préparait cettecatastrophe et la nécessité de la rendre heureuse l’y ontcontraint. Il a cru que dans ces sortes de contes chacun devaitêtre content à la fin : cela plaît toujours au lecteur, àmoins qu’on ne lui ait rendu les personnes trop odieuses. Mais iln’en faut point venir là, si l’on peut, ni faire rire et pleurerdans une même nouvelle. Cette bigarrure déplaît à Horace sur touteschoses ; il ne veut pas que nos compositions ressemblent auxgrotesques, et que nous fassions un ouvrage moitié femme, moitiépoisson. Ce sont les raisons générales que l’auteur a eues. On enpourrait encore alléguer de particulières, et défendre chaqueendroit ; mais il faut laisser quelque chose à faire àl’habileté et à l’indulgence des lecteurs. lls se contenteront doncde ces raisons-ci. Nous les aurions mises un peu plus en jour etfait valoir davantage, si l’étendue des préfaces l’avaitpermis.

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