Don Juan

Chapitre 8D’ULLOA MARCHE À SON DESTIN

Nous avons laissé se développer normalementl’action qui se déroulait à Séville, afin de l’amener enconjonction avec d’autres actions convergentes, qui nous conduirontau carrefour où diverses destinées vont se heurter.

Nous pouvons maintenant, nous devons laisserLéonor d’Ulloa, serrée de près par Juan Tenorio, s’élancer vers laFrance, où, bientôt, nous allons la retrouver.

Nous devons, d’un trait rapide, indiquer lamarche du Commandeur d’Ulloa vers le destin qui, de loin, leguettait, l’appelait, l’attirait.

Le 10 novembre 1539, Charles-Quint franchit laBidassoa pour entreprendre cette extraordinaire traversée duroyaume, qui sous les yeux du peuple ruiné par les guerres, ne futqu’une suite d’étincelantes parades et de fêtes que leschroniqueurs du temps nous décrivent avec admiration.

De ce voyage, nous ne retiendrons que ce quiest relatif au Commandeur d’Ulloa, et c’est à ses notes que nousdemandons les précisions nécessaires à notre récit.

Trois brefs extraits vont y suffire.

Nous leur laissons leur simplicité qui,lorsqu’on sait de quel drame l’hôtel d’Arronces devait être lethéâtre, ce qu’avait été Agnès de Sennecour et quel était lepersonnage sauvé par d’Ulloa, près de Brantôme, s’illumine dereflets tragiques.

Voici ces extraits :

DE LA 29e NOTE :

Au 24e de novembre. -… Jedoute qu’il y ait au monde pays plus riche et plus somptueux en sonhospitalité. Ce jour, M. le connétable m’est venu voir et m’aremis des lettres patentes apportées par un messager du roi et parlesquelles ce généreux monarque me fait don et abandon perpétueld’un logis et ses dépendances faisant partie du domaine royalprivé, lequel logis, dénommé hôtel d’Arronces, est sis à Paris,proche le château du Temple.

Voyant combien j’étais touché par cette marquede la royale bienveillance, M. le duc de Montmorency m’asupplié d’user de mon crédit pour faire entendre raison à SaMajesté l’empereur en ce qui concerne le duché de Milan. Je le luiai promis, car la demande du roi de France est juste, et l’empereurse doit à lui-même de tenir son engagement au sujet duMilanais.

Sur quoi le connétable m’a serré dans ses braset s’est mis à me dépeindre l’hôtel d’Arronces, qui est un richelogis autrefois bâti par Louis le douzième. Et il m’a conté que leroi François, voici vingt ans passés, avait donné ce domaine à lademoiselle Agnès de Sennecour qu’il aimait grandement. Mais cettenoble dame étant morte sans postérité ni parenté aucune, l’hôteld’Arronces a ainsi fait retour au roi, qui en dispose maintenant enma faveur.

Peut-être la vieillesse me fait-elle l’espritsoupçonneux et morose. Mais dans le récit du connétable au sujetdes relations du roi et de la demoiselle de Sennecour, j’ai crudeviner des choses qui m’ont donné comme un frisson d’effroi. Etdans les quelques mots embarrassés qu’il m’a dits, touchant la mortde cette infortunée qui, paraît-il, succomba en la fleur de son âgeà une désespérance inconnue, il m’a semblé voir je ne sais quoi desombre et de terrible…

DE LA 37 e NOTE :

Au Ier de décembre. –L’empereur est parti hier de Brantôme, à midi, pour se rendre àAngoulême, où de nobles fêtes lui sont préparées. J’ai dû resterpour visiter en son nom les principaux notables de cette petitecité, qui, sans tant de faste, lui avaient fait le plus touchantaccueil. Et Sa Majesté a voulu que je leur laisse à chacun unprésent, en souvenir de son passage. En sorte que le jour du30e de novembre finissait quand j’ai pu, avec mes quatresuivants, quitter Brantôme pour rejoindre l’escorte. Et bientôt lanuit nous a surpris.

Parvenu à environ trois lieues de pays au delàde Brantôme et ayant devant moi, à cinquante pas, sise au bord dela route, une grande maison carrée dont deux fenêtres du basétaient éclairées, un grand cri en est sorti…

J’ai su ensuite qu’on l’appelle l’auberge dela « Grâce de Dieu », mais qu’en vérité c’est unlogis désert, un coupe-gorge où viennent se concerter ces pillards,écorcheurs, anciens arquebusiers licenciés, qui, depuis la paix,infestent ce beau royaume.

Ayant mis pied à terre et étant entrés, nousavons vu deux grands diables de routiers se sauver par l’une desfenêtres ; sur quoi mes gens les ont poursuivis, mais sontbientôt revenus sans les avoir rejoints.

Sur le sol de la salle éclairée par une torchede résine, j’ai vu, étendu de son long, la main encore serrée surla poignée de sa rapière à demi tirée comme s’il n’eût point eu letemps de dégainer, un tout jeune gentilhomme, la poitrine déchiréed’un coup de dague, et cela m’a donné grand’pitié.

Comme il respirait encore, j’ai lavé et bandéla plaie pour retenir le reste de vie qu’il pouvait avoir ; etnon sans peine, l’avons porté jusqu’au plus proche village où j’aiheurté la porte d’une chaumière dont les gens ont accueilli cegentilhomme, l’ont mis en un lit, et ont fait diligence pour luidonner des soins, le tout de fort bon cœur.

Voyant qu’il ouvrait les yeux, je lui ai ditqui j’étais, et qu’il pouvait avoir toute confiance en moi au casoù il aurait quelque volonté à exprimer. Il n’a pu me répondre quedes choses inintelligibles où j’ai seulement compris qu’il parlaitd’un pont, je crois, puis il s’est affaibli.

J’ai pensé que ce malheureux jeune homme netarderait pas à trépasser ; et, ayant vu dans ses habits qu’ilavait été dépouillé de tout son argent, j’ai donné deux ducats d’orà ces bonnes gens pour qu’ils aient soin de l’enterrerchrétiennement, et nous avons poursuivi notre route.

DE LA 43e NOTE :

Au 7e de décembre.– Le gouvernement de Poitiers est venu à notre rencontreescorté de cinq cents gentilshommes portant des équipements dontchacun était une fortune. Et deux mille bourgeois nous ont fait lahaie, tous vêtus de satin blanc avec passements d’argent, lespourpoints à boutons d’or et les bonnets de velours tout couvertsde pierreries.

Et j’ai eu la grande joie de retrouver enPoitiers le comte Amauri de Loraydan venu du Louvre pour me voir,sur l’ordre du roi. Ce parfait gentilhomme sera près de moi jusqu’ànotre entrée dans Paris.

Nous arrêtons ici nos extraits. Nous en savonsassez sur la marche du Commandeur d’Ulloa.

En fait, nous savons :

Que le roi de France lui a fait don de l’hôteld’Arronces, autant pour le remercier de ce qu’il a déjà fait quepour l’inciter à de nouveaux efforts auprès de Charles-Quint.

Que cet hôtel d’Arronces a jadis appartenu àune demoiselle Agnès de Sennecour qui y est morte.

Que le Commandeur, à quelque distance deBrantôme, a donné des soins à un jeune gentilhomme dont il n’a putirer aucun renseignement.

Que le Commandeur, à Poitiers, a trouvé lecomte Amauri de Loraydan, venu à sa rencontre sur l’ordre deFrançois Ier.

Voilà ce que nous savons.

Et c’est le moment d’appeler sur notre scènecertains personnages dont les faits et gestes ont essentiellementconcouru à la tragédie qui, après des siècles, palpite encore dansla Légende, poétique reflet de l’Histoire.

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