La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 20Chicot est de plus en plus roi de france.

Minuit sonna ; les portes du Louvrefermaient d’ordinaire à minuit. Mais Henri avait sagement calculéque le duc d’Anjou ne manquerait pas de coucher ce soir-là auLouvre, pour laisser moins de prise aux soupçons que le tumulte deParis, pendant cette soirée, pouvait faire naître dans l’esprit duroi.

Le roi avait donc ordonné que les portesrestassent ouvertes jusqu’à une heure.

À minuit un quart, Quélus remonta.

– Sire, le duc est rentré, dit-il.

– Que fait Maugiron ?

– Il est resté en sentinelle pour voir sile duc ne sortira point.

– Il n’y a pas de danger.

– Alors…. dit Quélus en faisant unmouvement pour indiquer au roi qu’il n’y avait plus qu’à agir.

– Alors… laissons-le se couchertranquillement, dit Henri. Qui a-t-il près de lui ?

– M. de Monsoreau et sesgentilshommes ordinaires.

– Et M. de Bussy ?

– M. de Bussy n’y est pas.

– Bon, dit le roi, à qui c’était un grandsoulagement que de sentir son frère privé de sa meilleure épée.

– Qu’ordonne le roi ? demandaQuélus.

– Qu’on dise à d’Épernon et à Schombergde se hâter, et qu’on prévienne M. de Monsoreau que jedésire lui parler.

Quélus s’inclina, et s’acquitta de lacommission avec toute la promptitude que peuvent donner à lavolonté humaine le sentiment de la haine et le désir de lavengeance réunis dans le même cœur.

Cinq minutes après, d’Épernon et Schombergentraient, l’un rhabillé à neuf, l’autre débarbouillé au vif ;il n’y avait que les cavités du visage qui avaient conservé uneteinte bleuâtre, qui, au dire de l’étuviste, ne s’en irait tout àfait qu’à la suite de plusieurs bains de vapeur.

Après les deux mignons,M. de Monsoreau parut.

– M. le capitaine des gardes deVotre Majesté vient de m’annoncer qu’elle me faisait l’honneur dem’appeler près d’elle, dit le grand veneur en s’inclinant.

– Oui, monsieur, dit Henri ; oui, enme promenant ce soir j’ai vu les étoiles si brillantes et la lunesi belle, que j’ai pensé que, par un si magnifique temps, nouspourrions faire demain une chasse superbe ; il n’est queminuit, monsieur le comte, partez donc pour Vincennes à l’instantmême ; faites-moi détourner un daim, et demain nous lecourrons.

– Mais, sire, dit Monsoreau, je croyaisque demain Votre Majesté avait fait donner rendez-vous àmonseigneur d’Anjou et à M. de Guise pour nommer un chefde la Ligue.

– Eh bien, monsieur, après ? dit leroi avec cet accent hautain auquel il était si difficile derépondre.

– Après, sire… après, le temps manquerapeut-être.

– Le temps ne manque jamais, monsieur legrand veneur, à celui qui sait l’employer, c’est pour cela que jevous dis : «Vous avez le temps de partir ce soir, pourvu quevous partiez à l’instant même.» Vous avez le temps de détourner undaim cette nuit, et vous aurez le temps de tenir les équipagesprêts pour demain dix heures. Allez donc, et à l’instantmême ! Quélus, Schomberg, faites ouvrir àM. de Monsoreau la porte du Louvre de ma part, de la partdu roi ; et toujours de la part du roi, faites-la fermer quandil sera sorti.

Le grand veneur se retira tout étonné.

– C’est donc une fantaisie du roi ?demanda-t-il aux jeunes gens dans l’antichambre.

– Oui, répondirent laconiquementceux-ci.

M. de Monsoreau vit qu’il n’y avaitrien à tirer de ce côté-là et se tut.

– Oh ! oh ! murmura-t-il enlui-même en jetant un regard du côté des appartements du ducd’Anjou, il me semble que cela ne flaire pas bon pour Son AltesseRoyale.

Mais il n’y avait pas moyen de donner l’éveilau prince : Quélus et Schomberg se tenaient, l’un à droite,l’autre à gauche du grand veneur. Un instant il crut que les deuxmignons avaient des ordres particuliers et le tenaient prisonnier,et ce ne fut que lorsqu’il se trouva hors du Louvre et qu’ilentendit la porte se refermer derrière lui, qu’il comprit que sessoupçons étaient mal fondés.

Au bout de dix minutes, Schomberg et Quélusétaient de retour près du roi.

– Maintenant, dit Henri, du silence, etsuivez-moi tous quatre.

– Où allons-nous, sire ? demandad’Épernon toujours prudent.

– Ceux qui viendront le verront, réponditle roi.

Les mignons assurèrent leurs épées, agrafèrentleurs manteaux et suivirent le roi, qui, un falot à la main, lesconduisit par le corridor secret que nous connaissons, et parlequel, plus d’une fois déjà, nous avons vu la reine mère et le roiCharles IX se rendre chez leur fille et chez leur sœur, cette bonneMargot dont le duc d’Anjou, nous l’avons déjà dit, avait repris lesappartements.

Un valet de chambre veillait dans cecorridor ; mais, avant qu’il eût eu le temps de se replierpour avertir son maître, Henri l’avait saisi de sa main en luiordonnant de se taire, et l’avait passé à ses compagnons, lesquelsl’avaient poussé et enfermé dans un cabinet.

Ce fut donc le roi qui tourna lui-même lebouton de la chambre où couchait monseigneur le duc d’Anjou.

Le duc venait de se mettre au lit, bercé parles rêves d’ambition qu’avaient fait naître en lui tous lesévénements de la soirée : il avait vu son nom exalté et le nomdu roi flétri. Conduit par le duc de Guise, il avait vu le peupleparisien s’ouvrir devant lui et ses gentilshommes, tandis que lesgentilshommes du roi étaient hués, bafoués, insultés. Jamais,depuis le commencement de cette longue carrière, si pleine desourdes menées, de timides complots et de mines souterraines, iln’avait encore été si avant dans la popularité, et par conséquentdans l’espérance.

Il venait de déposer sur sa table une lettreque M. de Monsoreau lui avait remise de la part du duc deGuise, lequel lui faisait en même temps recommander de ne pasmanquer de se trouver le lendemain au lever du roi.

Le duc d’Anjou n’avait pas besoin d’unepareille recommandation, et s’était bien promis de ne pas semanquer à lui-même à l’heure du triomphe.

Mais sa surprise fut grande quand il vit laporte du couloir secret s’ouvrir, et sa terreur fut au comblelorsqu’il reconnut que c’était sous la main du roi qu’elle s’étaitouverte ainsi.

Henri fit signe à ses compagnons de demeurersur le seuil de la porte, et s’avança vers le lit de François,grave, le sourcil froncé, et sans prononcer une parole.

– Sire, balbutia le duc, l’honneur que mefait Votre Majesté est si imprévu….

– Qu’il vous effraye, n’est-ce pas ?dit le roi, je comprends cela ; mais non, non, demeurez, monfrère, ne vous levez pas.

– Mais, sire, cependant… permettez, fitle duc tremblant et attirant à lui la lettre du duc de Guise qu’ilvenait d’achever de lire.

– Vous lisiez ? demanda le roi.

– Oui, sire.

– Lecture intéressante, sans doute,puisqu’elle vous tenait éveillé à cette heure avancée de lanuit ?

– Oh ! sire, répondit le duc avec unsourire glacé, rien de bien important, le petit courrier dusoir.

– Oui, fit Henri, je comprends cela,courrier du soir, courrier de Vénus ; mais non, je me trompe,on ne cachette point avec des sceaux d’une pareille dimension lesbillets qu’on fait porter par Iris ou par Mercure.

Le duc cacha tout à fait la lettre.

– Il est discret, ce cher François, ditle roi avec un rire qui ressemblait trop à un grincement de dentspour que son frère n’en fût pas effrayé.

Cependant il fit un effort et essaya dereprendre quelque assurance.

– Votre Majesté veut-elle me dire quelquechose en particulier ? demanda le duc à qui un mouvement desquatre gentilshommes demeurés à la porte venaient de révéler qu’ilsécoutaient et se réjouissaient du commencement de la scène.

– Ce que j’ai de particulier à vous dire,monsieur, dit le roi en appuyant sur ce mot, qui était celui que lecérémonial de France accorde aux frères des rois, vous trouverezbon que pour aujourd’hui je vous le dise devant témoins. Çà,messieurs, continua-t-il en se retournant vers les quatre jeunesgens, écoutez bien, le roi vous le permet.

Le duc releva la tête.

– Sire, dit-il avec ce regard haineux etplein de venin que l’homme a emprunté au serpent, avant d’insulterun homme de mon rang, vous eussiez dû me refuser l’hospitalité duLouvre ; dans l’hôtel d’Anjou, au moins, j’eusse été maître devous répondre.

– En vérité, dit Henri avec une ironieterrible, vous oubliez donc que partout où vous êtes vous êtes monsujet, et que mes sujets sont chez moi partout où ils sont ;car, Dieu merci, je suis le roi !… le roi du sol !…

– Sire, s’écria François, je suis auLouvre… chez ma mère.

– Et votre mère est chez moi, réponditHenri. Voyons, abrégeons, monsieur : donnez-moi ce papier.

– Lequel ?

– Celui que vous lisiez, parbleu !celui qui était tout ouvert sur votre table de nuit et que vousavez caché quand vous m’avez vu.

– Sire, réfléchissez ! dit leduc.

– À quoi ? demanda le roi.

– À ceci : que vous faites unedemande indigne d’un bon gentilhomme, mais, en revanche, digne d’unofficier de votre police.

Le roi devint livide.

– Cette lettre, monsieur !dit-il.

– Une lettre de femme, sire,réfléchissez, dit François.

– Il y a des lettres de femmes fortbonnes à voir, fort dangereuses à ne pas être vues, témoin cellesqu’écrit notre mère.

– Mon frère ! dit François.

– Cette lettre, monsieur ! s’écriale roi en frappant du pied, ou je vous la fais arracher par quatreSuisses !

Le duc bondit hors de son lit, en tenant lalettre froissée dans ses mains, et avec l’intention manifeste degagner la cheminée, afin de la jeter dans le feu.

– Vous feriez cela, dit-il, à votrefrère ?

Henri devina son intention et se plaça entrelui et la cheminée.

– Non pas à mon frère, dit-il, mais à monplus mortel ennemi ! Non pas à mon frère, mais au duc d’Anjou,qui a couru toute la soirée les rues de Paris à la queue du chevalde M. de Guise ! à mon frère, qui essaye de mecacher quelque lettre de l’un ou de l’autre de ses complices,MM. les princes lorrains.

– Pour cette fois, dit le duc, votrepolice est mal faite.

– Je vous dis que j’ai vu sur le cachetces trois fameuses merlettes de Lorraine, qui ont la prétentiond’avaler les fleurs de lis de France. Donnez donc, mordieu !donnez, ou….

Henri fit un pas vers le duc et lui posa lamain sur l’épaule.

François n’eut pas plutôt senti s’appesantirsur lui la main royale, il n’eut pas plutôt d’un regard obliqueconsidéré l’attitude menaçante des quatre mignons, lesquelscommençaient à dégainer, que, tombant à genoux, à demi renversécontre son lit, il s’écria :

– À moi ! au secours ! àl’aide ! mon frère veut me tuer.

Ces paroles, empreintes d’un accent deprofonde terreur que leur donnait la conviction, firent impressionsur le roi et éteignirent sa colère, par cela même qu’elles lasupposaient plus grande qu’elle n’était. Il pensa qu’en effetFrançois pouvait craindre un assassinat, et que ce meurtre eût étéun fratricide. Alors il lui passa comme un vertige, à l’idée que safamille, famille maudite comme toutes celles dans lesquelles doits’éteindre une race, il lui passa un vertige en songeant que, danssa famille, les frères assassinaient les frères par tradition.

– Non, dit-il, vous vous trompez, monfrère, et le roi ne vous veut aucun mal du genre de celui que vousredoutez ; du moins vous avez lutté, avouez-vous vaincu. Voussavez que le roi est le maître, ou si vous l’ignoriez, vous lesavez maintenant. Eh bien, dites-le, non seulement tout bas, maisencore tout haut.

– Oh ! je le dis, mon frère, je leproclame, s’écria le duc.

– Fort bien. Cette lettre, alors… car leroi vous ordonne de lui rendre cette lettre.

Le duc d’Anjou laissa tomber le papier.

Le roi le ramassa, et, sans le lire, le pliaet l’enferma dans son aumônière.

– Est-ce tout, sire ? dit le ducavec son regard louche.

– Non, monsieur, dit Henri, il vousfaudra encore pour cette rébellion, qui heureusement n’a point eude fâcheux résultats, il vous faudra, si vous le voulez bien,garder la chambre jusqu’à ce que mes soupçons à votre égard aientété complètement dissipés. Vous êtes ici, l’appartement vous estfamilier, commode, et n’a pas trop l’air d’une prison ;restez-y. Vous aurez bonne compagnie, du moins de l’autre côté dela porte, car, pour cette nuit, ces quatre messieurs vousgarderont ; demain matin ils seront relevés par un poste deSuisses.

– Mais, mes amis, à moi, ne pourrai-jeles voir ?

– Qui appelez-vous vos amis ?

– Mais M. de Monsoreau, parexemple, M. de Ribeirac, M. Antraguet,M. de Bussy.

– Ah, oui ! dit le roi, parlez decelui-là encore.

– Aurait-il eu le malheur de déplaire àVotre Majesté ?

– Oui, dit le roi.

– Quand cela ?

– Toujours, et cette nuitparticulièrement.

– Cette nuit ; qu’a-t-il donc fait,cette nuit ?

– Il m’a fait insulter dans les rues deParis.

– Vous, sire ?

– Oui, moi, ou mes fidèles, ce qui est lamême chose.

– Bussy a fait insulter quelqu’un dansles rues de Paris, cette nuit ? On vous a trompé, sire.

– Je sais ce que je dis, monsieur.

– Sire, s’écria le duc avec un air detriomphe, M. de Bussy n’est pas sorti de son hôtel depuisdeux jours ! il est chez lui, couché, malade, grelottant lafièvre.

Le roi se retourna vers Schomberg.

– S’il grelottait la fièvre, dit le jeunehomme, ce n’était pas chez lui du moins, mais dans la rueCoquillière.

– Qui vous a dit cela, demanda le ducd’Anjou en se soulevant, que Bussy était dans la rueCoquillière ?

– Je l’ai vu.

– Vous avez vu Bussy dehors ?

– Bussy frais, dispos, joyeux, et quiparaissait le plus heureux homme du monde, et accompagné de sonacolyte ordinaire, ce Remy, cet écuyer, ce médecin, quesais-je !

– Alors je n’y comprends plus rien, ditle duc avec stupeur : j’ai vu M. de Bussy dans lasoirée ; il était sous les couvertures. Il faut qu’il m’aittrompé moi-même.

– C’est bien, dit le roi,M. de Bussy sera puni comme les autres et avec lesautres, lorsque l’affaire s’éclaircira.

Le duc, qui pensa que c’était un moyen dedétourner de lui la colère du roi que de la laisser s’écouler surBussy, le duc n’essaya point de prendre davantage la défense de songentilhomme.

– Si M. de Bussy a fait cela,dit-il ; si, après avoir refusé de sortir avec moi, il estsorti seul, c’est qu’il avait effectivement, sans doute, desintentions qu’il ne pouvait m’avouer à moi dont il connaît ledévouement pour Votre Majesté.

– Vous entendez, messieurs, ce queprétend mon frère, dit le roi ; il prétend qu’il n’a pasautorisé M. de Bussy.

– Tant mieux, dit Schomberg.

– Pourquoi tant mieux ?

– Parce qu’alors Votre Majesté nous enlaissera peut-être faire ce que nous voulons.

– C’est bien, c’est bien, on verra plustard, dit Henri. Messieurs, je vous recommande mon frère :ayez pour lui, pendant toute cette nuit, où vous allez avoirl’honneur de lui servir de garde, tous les égards qu’on a pour unprince du sang, c’est-à-dire au premier du royaume, après moi.

– Oh ! sire, dit Quélus avec unregard qui fit frissonner le duc, soyez donc tranquille, noussavons tout ce que nous devons à Son Altesse.

– C’est bien ; adieu, messieurs, ditHenri.

– Sire ! s’écria le duc plusépouvanté de l’absence du roi qu’il ne l’avait été de sa présence,quoi ! je suis sérieusement prisonnier ! quoi ! mesamis ne pourront me visiter ! quoi ! il me sera défendude sortir !

Et l’idée du lendemain lui passait parl’esprit, de ce lendemain où sa présence était si nécessaire prèsde M. de Guise.

– Sire, dit le duc qui voyait le roi prêtà se laisser fléchir, laissez-moi paraître au moins près de VotreMajesté ; près de Votre Majesté est ma place ; je suisprisonnier là aussi bien qu’ailleurs, et mieux gardé à vue même quedans toutes les places possibles. Sire, accordez-moi donc la faveurde rester près de Votre Majesté.

Le roi, sur le point d’accorder au duc d’Anjousa demande, à laquelle il ne voyait pas, d’ailleurs, un grandinconvénient, allait répondre oui, quand son attention futdistraite de son frère et attirée vers la porte par un corps trèslong et très agile, qui, avec les bras, avec la tête, avec le cou,avec tout ce qu’il pouvait remuer, enfin, faisait les gestes lesplus négatifs qu’on pût inventer et exécuter sans se disloquer lesos.

– C’était Chicot qui faisaitnon.

– Non, dit Henri à son frère, vous êtesfort bien ici, monsieur ; et il me convient que vous yrestiez.

– Sire, balbutia le duc.

– Dès que cela est le bon plaisir du roide France, il me semble que cela doit vous suffire, monsieur,ajouta Henri d’un air de hauteur qui acheva d’accabler le duc.

– Quand je disais que j’étais levéritable roi de France ? murmura Chicot….

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