LE COUTEAU SUR LA NUQUE AGATHA CHRISTIE

— Et il consentait au divorce ?

— Il consentait au divorce.

— Vous auriez dû en avertir Jane immédiatement !

— Je l’ai fait, monsieur Martin.

— Vous le lui avez dit ! s’écrièrent en même temps Japp et Martin.

Poirot sourit encore.

— Voilà donc le mobile du crime légèrement infirmé, n’est-ce pas ? À présent, monsieur Martin, permettez-moi d’attirer votre attention sur ceci.

Il lui indiqua le paragraphe du journal.

— Vous pensez que ce dîner constitue un alibi ? dit Bryan après avoir lu. Je suppose que lord Edgware a été tué dans la soirée.

— Oui, d’un coup de couteau.

Martin reposa lentement le journal.

— Cela ne nous avance guère. Jane n’a pas assisté à ce dîner.

— Comment le savez-vous ?

— On me l’a dit.

— C’est regrettable, dit Poirot.

Japp le regarda avec curiosité.

— Je vous comprends de moins en moins. Vous ne voulez donc pas que cette femme soit coupable ?

— Non, non, mon bon Japp. Je ne suis pas un homme de parti pris, comme vous seriez tenté de le croire. Mais l’affaire, telle que vous l’exposez, révolte l’intelligence.

— Comment, révolte l’intelligence ? Pas la mienne, en tout cas.

Je devinais les mots prêts à sortir des lèvres de Poirot, mais il se contint et déclara :

— Voici une jeune femme qui désire se défaire de son mari. Je ne discute pas ce point ; elle-même me l’a avoué en toute franchise. Comment s’y prend-elle ? À qui veut l’entendre, elle répète de sa belle voix claire qu’elle est bien décidée à le supprimer. Un soir, elle se rend chez lui, se fait annoncer, le tue et s’en va. Comment appelez-vous cette façon d’agir, mon bon ami ? Du bon sens ?

— Non, de l’inconscience.

Japp se leva et ajouta :

— Le travail de la police est simplifié lorsque les criminels perdent la tête. À présent, je retourne au Savoy.

— Permettez-moi de vous accompagner.

L’inspecteur ne fit aucune objection et nous le suivîmes.

Bryan Martin nous quitta. Il paraissait très agité et nous pria de le tenir au courant de l’enquête.

« Ce type-là vous tape sur les nerfs. » Telle fut l’opinion de Japp, à laquelle se rangea Poirot.

Au Savoy, nous attendait un personnage ayant toute l’apparence d’un homme de loi. Il venait d’arriver et tous quatre nous fûmes conduits à l’appartement de Jane.

Japp s’adressa à un de ses hommes.

— Rien de nouveau ?

— Elle a voulu téléphoner.

— À qui ? demanda vivement l’inspecteur.

— Chez Jay, pour commander sa toilette de deuil.

Japp jura entre ses dents.

Nous entrâmes dans l’appartement.

La veuve de lord Edgware essayait des chapeaux devant une psyché. Vêtue d’une robe vaporeuse noire et blanche, elle nous accueillit avec son plus éblouissant sourire.

— Monsieur Poirot, vous êtes très aimable d’être venu. Monsieur Moxon (tel était le nom de l’avoué), je suis heureuse aussi de vous voir. Asseyez-vous près de moi et avertissez-moi lorsque je devrai répondre. Ce policier s’imagine que je suis sortie ce matin et que j’ai tué George.

— Pardon, hier soir, rectifia Japp.

— Ne disiez-vous pas à dix heures, ce matin ?

— Non, à dix heures, hier soir.

— Bon, j’ai confondu dix heures du soir avec dix heures du matin.

— Madame, en ce moment il est à peine dix heures, objecta l’inspecteur d’un ton sévère.

Jane ouvrit de grands yeux étonnés.

— Par exemple ! Voilà des siècles que je n’ai été debout à une heure aussi matinale. Vous êtes donc venu me réveiller au petit jour ?

— Un moment, inspecteur, prononça Mr. Moxon, d’une voix calme. Veuillez préciser quand a eu lieu ce… cet événement des plus regrettables ?

— Vers dix heures hier soir, monsieur.

— Dix heures… Mais à cette heure-là je dînais en ville, protesta l’actrice.

D’un geste brusque, elle se couvrit la bouche.

— Oh ! Peut-être n’aurais-je pas dû le dire ?

Du regard, elle interrogea l’avoué.

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