Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome II

CHAPITRE IV – Un locatairefantastique

Grâce à sa situation exceptionnelle,Golden-Cottage n’avait pas de voisins immédiats. Il fallait faireprès de dix miles pour arriver jusqu’à une ferme à pigeons quiétait l’habitation la plus rapprochée.

Les gens du pays avaient éprouvé une vraiesatisfaction en apprenant que la propriété si longtemps abandonnéeavait été achetée par un milliardaire de New York. Ils s’étaientdit que la contrée allait être enfin débarrassée des tramps, desPeaux-Rouges et des vagabonds de toutes sortes qui, pendantlongtemps, avaient fait de Golden-Cottage leur lieu de réunionfavori.

Leur joie ne fut pas de longue durée. Aprèsquelques semaines de séjour, le milliardaire et ses amisdésertèrent Golden-Cottage d’une façon aussi soudaine qu’ils s’yétaient installés.

Voici pourquoi :

En compagnie d’Harry Dorgan, Fred Jorgellavait dû retourner à New York, où la distribution des dividendes dela Compagnie des paquebots Éclair rendait leur présenceindispensable. Antoine Paganot et Roger Ravenel ne quittaient pasSan Francisco, surveillant de près le montage des machines du yachtla Revanche.

C’est alors que l’excentrique avait eu l’idéed’une longue excursion en auto jusqu’aux frontières mexicaines.Miss Isidora et les deux Françaises, après quelques hésitations,s’étaient décidées à l’accompagner, et naturellement Agénor, Kloumet le bossu furent invités à cette excursion qui promettait d’êtretrès pittoresque.

Agissant en cela d’une façon toute différentede Fred Jorgell, l’excentrique s’en était rapporté pour laconstruction de son yacht à une société industrielle avec laquelleil avait passé un traité stipulant la livraison à date fixe dupetit navire. De cette façon, il ne se mettait en peine de rien ets’évitait les soucis et la responsabilité qu’avaient assumésl’ingénieur Dorgan et ses deux amis.

Golden-Cottage était donc retombé dans lesilence et dans l’abandon.

Les gens du voisinage, qui ne connaissaientrien des projets de Fred Jorgell, ne manquèrent pas de dire que, sile milliardaire avait abandonné une habitation si confortable et sibien située, c’est qu’il avait été poursuivi par des apparitions,qu’il avait entendu dans la nuit des bruits étranges, et plus quejamais le luxueux cottage et le domaine qui l’environnait eurent laréputation d’être hantés par les mauvais esprits.

Grâce à cette télégraphie bizarre dont lesvagabonds et les malfaiteurs se servent pour se communiquerrapidement, à de très longues distances, les nouvelles qui peuventles intéresser, le bruit ne tarda pas à se répandre parmi lestramps que Golden-Cottage était de nouveau sans défenseurs et, deplus, meublé avec une somptuosité qui permettrait de réaliser, sansrisques, un opulent butin.

Les tramps sont peu enclins auxsuperstitions ; ils ne firent que hausser les épaules enapprenant que le cottage était hanté. Cette mauvaise réputation del’immeuble leur parut une garantie de sécurité dans leursopérations.

À peine si quelques jours s’étaient écoulésdepuis le départ de Fred Jorgell que deux de ces chevaliers de lagrand-route escaladaient les murs du jardin et, armés de faussesclefs et de pinces-monseigneur, pénétraient dans l’intérieur ducottage. Mais au moment où ils allaient enfoncer une porte, ilsfurent assaillis par un animal de forte taille, dont ils ne purentbien discerner l’espèce dans l’obscurité et qui les morditcruellement aux mollets et à la joue.

Les deux malandrins s’enfuirent à toutesjambes, abandonnant là leur outillage de cambrioleur, et ne sachantque penser.

L’un d’eux était persuadé que l’animal qui lesavait mordus n’était autre qu’un de ces pumas, carnassiersaméricains qui étaient autrefois très nombreux dans la région oùils ont été presque entièrement exterminés.

Le second tramp pensait avec plus devraisemblance que leur ennemi était tout simplement un chien degarde, ce qui prouvait que la villa n’était pas abandonnée commeils l’avaient cru. Ce qui restait hors de discussion, c’étaient lesterribles morsures que les deux vagabonds avaient reçues et dontils devaient porter longtemps la marque.

D’autres tramps, mis au courant, tentèrentaussi l’aventure, mais ne furent pas plus heureux ! Ilsrevinrent, eux aussi, sans aucune espèce de butin et après avoirreçu de dangereuses morsures.

L’animal qui les leur avait infligées nepouvait pas être un chien, car ils n’avaient entendu aucunaboiement ; de plus, ils s’étaient convaincus, en serenseignant à droite et à gauche, que le milliardaire n’avaitlaissé dans sa maison de campagne aucun gardien.

Il y avait là quelque chosed’incompréhensible, et la légende du cottage hanté s’enrichit ainsid’un nouvel épisode. On parla d’un animal diabolique en qui, sansdoute, s’incarnait l’âme de l’ancien propriétaire assassiné.

Cette espèce de fantôme ne voulait souffrirpersonne dans Golden-Cottage. Il était invulnérable. Les ballesd’acier des revolvers les plus perfectionnés passaient au traversde sa carcasse sans lui faire le moindre mal. C’était lui qui avaitchassé Fred Jorgell et qui chasserait de même tous ceux quimettraient le pied dans la maison maudite.

Des colons avaient eu l’occasion de passer denuit sur la route qui longeait le jardin de Golden-Cottage. Ilsavaient entendu des gémissements qui n’avaient rien d’humain, desbruits de pas, comme si quelqu’un montait et descendaitprécipitamment les escaliers.

On en conclut que l’assassinérevenait dans sa maison pour y rechercher quelque objetqui lui faisait faute dans l’autre monde, et qu’il était condamné àdécouvrir pour avoir le droit de goûter le repos éternel.

Pour les uns, cet objet était unpoignard ; pour d’autres, un trésor ; pour d’autresencore, une cassette remplie de papiers mystérieux.

Les imaginations allaient bon train. Il suffitd’un temps court pour faire de Golden-Cottage un lieu de répulsionet d’épouvante près duquel on n’aimait pas à passer et où personnen’eût osé mettre les pieds une fois le soleil couché.

Il y avait bien une part de vérité dans ceslégendes, mais l’animal qui les causait n’avait rien defantastique. C’était un simple chien barbet à l’épaisse toisonnoire et frisée, de cette race intelligente, fidèle, mais féroce,dont on conte des traits d’une sagacité presque humaine.

C’était ce même Pistolet qui avait été enlevéen aéroplane avec M. Bondonnat et qui, après avoir séjourné àl’île des pendus, en avait été emmené par Kloum et lordBurydan.

Lorsque ces derniers, après avoir atterriheureusement près d’un village de Noirs situé à peu de distance duMississippi, eurent été obligés de prendre la fuite, Pistolet,séparé de ses amis par une foule hurlante et pourchassé comme eux àcoups de pierre et à coups de revolver, n’avait échappé à la mortqu’en se réfugiant dans un champ de cotonniers où il était demeuréjusqu’au soir, mourant de faim et de soif.

À la nuit close, il s’était décidé à sortir desa cachette et, avec de prudents détours, il avait retrouvé lapiste de lord Burydan et de Kloum et l’avait suivie jusqu’aufleuve.

Mais là, le pauvre animal n’avait plus suquelle direction prendre. Il s’était mis à errer à l’aventure.

Que se passa-t-il alors dans son âme dechien ? À quel raisonnement se livra-t-il ? Toujoursest-il qu’après deux jours de vaines recherches il se convainquitque ses protecteurs étaient définitivement perdus pour lui. Etcourageusement il se mit en marche vers le nord.

Son instinct lui indiquait sans doute quec’est en allant dans cette direction qu’il échapperait à lachaleur, aux moustiques et aux Noirs, trois ennemis qui ne luidonnaient pas de répit.

Chaque fois, en effet, qu’il rencontrait desnègres, ils essayaient de le capturer, et l’on en comprendra laraison lorsqu’on saura qu’il portait, retenue à son collier par uneficelle, une bourse de cuir que M. Bondonnat y avait attachéelui-même. Ce qui faisait croire aux nègres que ce chien errantétait porteur d’un trésor.

Pistolet se vengeait à sa façon despersécutions de ses ennemis les Noirs. Il ne se passait guère denuit qu’il ne leur enlevât un poulet, un lapin ou quelque autreanimal du même genre. Une fois, il étrangla un cochon de lait dontil alla se repaître dans un champ de maïs et, chaudement poursuivipar le propriétaire de la bête, il eut l’oreille emportée par uneballe de carabine.

L’île des pendus se trouve sous une latitudetrès froide ; aussi, Pistolet qu’incommodait encore sonépaisse toison faillit-il succomber à la chaleur. L’ardent soleildes tropiques le laissait sans force et sans courage, dévoré d’unesoif inextinguible ; mais au bout de peu de jours, Pistolettrouva un remède à ses désagréments.

– Puisqu’il fait trop chaud dans lajournée, se dit-il sans doute, je dormirai le jour et je nemarcherai que la nuit.

Et il le fit comme il l’avait résolu.

Le savant météorologiste Prosper Bondonnatn’eût pas raisonné avec plus de logique.

Quant aux moustiques, Pistolet trouva le moyende déjouer leurs attaques. Il se roula dans la boue du fleuve qui,en séchant et en s’emmêlant à ses poils, le dota d’une cuirasse àl’épreuve des aiguillons les plus acérés.

Mais, par exemple, il était hideux. L’oreillecoupée, l’air farouche, et montrant les dents à tout ce quil’approchait, il eût ressemblé à une bête féroce sans la bourse decuir qui pendillait toujours à son collier.

Au bout de peu de temps, l’intelligent animals’était fait à cette existence vagabonde.

Nous avons dit que son instinct le faisaittourner le dos aux contrées chaudes et se diriger vers le nord,mais il fut arrêté par un obstacle infranchissable. Il avait laisséà sa droite le Mississippi, et il se trouva bientôt en face d’un deses affluents les plus importants, le Republican, une rivière à peuprès trois fois large comme la Seine. Pistolet eût peut-être réussià traverser cette étendue d’eau immense pour lui, mais il s’aperçutbien vite que la rivière était peuplée de caïmans.

Un jour qu’il se désaltérait tranquillement,il faillit être dévoré par un de ces sauriens dont il entenditclaquer la mâchoire presque à deux doigts de ses oreilles.

Cette aventure fit faire à Pistolet deprofondes réflexions. Dès lors, quand il avait soif, il prenait lesplus grandes précautions et c’est tout juste s’il ne buvait pas encourant, comme ces chiens du Nil dont parle Hérodote au chapitredes crocodiles, dans sa description de l’Égypte.

Limité à l’est par le Mississippi, au nord parle Republican et fuyant les chaleurs du sud, Pistolet fut doncforcé de prendre la direction de l’ouest. Il longeapendant plusieurs semaines les rives des cours d’eau qui descendentdes montagnes Rocheuses pour aller se perdre dans le sein duPère des eaux[2].

Disons-le, cet itinéraire ne déplaisait pastrop à l’élève d’Oscar Tournesol. À mesure, en effet, qu’ilremontait vers les hauteurs d’où jaillissent les sources desfleuves, il trouvait une atmosphère plus fraîche, mieux appropriéeà ses poumons de barbet français, dont les ancêtres en une longuesuite de générations n’avaient connu qu’un climat absolumenttempéré.

Il trouvait encore un autre motif desatisfaction dans la disparition absolue de ses ennemis les nègres.En effet, les pentes des montagnes Rocheuses, en cette partie del’Amérique, ont été surtout colonisées par des Blancs et des métisespagnols. Les fermes, très éloignées l’une de l’autre, sont à unegrande distance des chemins de fer et des villes. Pistoletvoyageait donc maintenant presque en touriste.

D’ailleurs, il trouvait une pâture abondanteen s’emparant subrepticement de quelque agneau sans défiance, carle pays qu’il traversait était un pays de pâturages, et il n’étaitpas de jour qu’il ne rencontrât d’immenses troupeaux qui paissaientsans gardien l’herbe fine qui tapisse les vallons. Pistolet étaitdevenu décidément un chien quelque peu apache : il ne vivaitplus que de meurtres et de rapines.

Cependant il allait toujours droit devant lui,car d’instinct autant que de raisonnement, il savait que vers lesud toute issue lui était fermée. En outre, il avait sans douteconscience qu’il n’eût pas été prudent pour lui de revenir sur lethéâtre des meurtres dont il avait sillonné son passage.

Mais bientôt le paysage se modifia : plusde fermes, plus de troupeaux, plus de routes tracées, l’eau même sefaisait rare.

Pistolet se trouvait maintenant en pleinemontagne. Des landes sauvages, des ravins, des précipices et desrocs abrupts l’entouraient. Quelquefois le chemin lui était barrépar de gigantesques massifs de granit ou par d’impétueux torrentsqu’il était obligé de contourner. Et, dans ces solitudes désolées,il lui arriva plus d’une fois de souffrir de la faim.

Mais, sous l’aiguillon de la nécessité, sesinstincts chasseurs s’étaient réveillés ; son cerveau retrouvale souvenir confus des ruses ancestrales, employées à la poursuitedu gibier aux époques primitives. Il réapprit à forcer le lièvre augîte, à arrêter les perdrix de roche, à saisir dans leurs nids lesoiseaux aquatiques des marécages.

De la même façon qu’il avait vécu de pillage,il vécut de chasse. C’est ainsi qu’au Moyen Âge, faute de mécréantset d’hérétiques à pourfendre, les nobles chevaliers secontentaient, pendant les loisirs de la paix, de courir le cerf etde forcer le sanglier.

C’est pendant une de ces chasses que, sansmême s’en apercevoir, Pistolet franchit un des défilés situés surl’un des sommets les plus élevés de la chaîne.

Sur les hauts plateaux des montagnesRocheuses, le pauvre animal avait eu très froid ; ce fut doncavec une véritable satisfaction qu’il redescendit vers les contréesplus riantes qui s’étendent sur le versant occidental.

La même logique ou, si l’on veut, la mêmenécessité qui l’avait poussé à remonter vers les sources desaffluents du Mississippi, lui fit côtoyer la berge des rivières quiaboutissent au rio Colorado, puis enfin, au Colorado lui-même.

Il eût peut-être suivi ce fleuve jusqu’àl’endroit où il vient se jeter dans le golfe de Californie, si laprésence de ses anciens ennemis les crocodiles et l’augmentation dela chaleur ne l’avaient fait brusquement remonter vers le nord.C’est de cette façon qu’il fut amené à franchir la chaîne de lasierra Nevada, encore plus sauvage et plus glaciale que lesmontagnes Rocheuses.

Mais sitôt qu’il eut redescendu dans lavallée, Pistolet se retrouva en plein pays civilisé. Les villes etles villages se touchaient presque. Les routes et les lignes dechemin de fer abondaient. Le gibier avait considérablementdiminué : force fut donc à notre héros de reprendre sonexistence de rapines et de dormir le jour pour marcher la nuit, enprofitant des routes assez bien tracées qui sillonnent l’État deCalifornie et convergent toutes vers sa capitale, SanFrancisco.

C’est ainsi que, sans s’en douter, Pistolet serapprochait de jour en jour de ses amis, obéissant à cette fatalitéde la force des choses qui s’exerce aussi bien sur les êtres lesplus humbles que sur les intelligences les plus altières.

Une nuit que Pistolet trottinait allègrementsur la route poudreuse en aboyant de temps en temps sourdement versla lune resplendissante, il tomba tout à coup en arrêt, en poussantun grognement de stupeur et de plaisir qui attestait la profondeémotion qu’il venait de ressentir.

Il était resté immobile, les narinesfrémissantes, les yeux mi-clos, agité d’une inquiétudesolennelle.

C’est que, dans les imperceptibles corpusculesqu’apportait la brise à ses papilles olfactives, il venait dereconnaître des émanations connues. Tous ceux auxquels le pauvreanimal s’était attaché, et qui avaient été bons pour lui, avaientpassé dans cet endroit depuis peu de temps et, dans sonraisonnement de chien, il dénombrait lord Burydan, Kloum, le petitbossu, Andrée, Frédérique, Roger Ravenel et Antoine Paganot.

Il poussa vers le ciel un aboiement detriomphe, puis il se mit à tourner en rond, à bondir et à gambaderen signe de satisfaction, la queue frétillante et son uniqueoreille toute droite.

Ce moment d’exaltation ne dura guère. En chienpratique, il avait réfléchi qu’il fallait au plus vite retrouverses amis et, le nez dans la poussière, il suivait patiemment leurstraces. Entre toutes il discernait mieux celles de lord Burydan etde Kloum. Elles le conduisirent jusqu’à un petit bois où le lordexcentrique et son serviteur avaient chassé peu de joursauparavant. Le bois était bordé par une haie de cactus épineux quePistolet franchit non sans quelques égratignures, et il se trouvadans un magnifique jardin qui n’était autre que celui deGolden-Cottage.

Toute cette nuit-là, Pistolet l’employa, mieuxque n’eût pu le faire un détective de profession, à démêler et àsuivre les pistes qu’il avait découvertes. Malheureusement, tousles habitants de la villa y étaient venus et en étaient repartis enautomobile, et il arrivait fatalement un instant où la piste étaitcoupée net et où Pistolet, grondant de désappointement et defureur, était obligé de revenir sur ses pas.

Au petit jour, le fidèle animal était harasséde fatigue. Il avait tourné en cercle, toute la nuit, comme dans uninvisible labyrinthe. Il alla dormir dans une des grottes derocailles qui ornaient le jardin, et à la nuit suivante il reprit,sans plus de succès que la veille, ses investigations.

La troisième nuit, la faim força Pistolet àgagner un village voisin où faute de mieux il se contenta dequelques os glanés dans les tas d’ordures ; mais après cerepas improvisé, il se hâta de revenir à Golden-Cottage où,désormais, il se trouvait prisonnier comme ces chevaliers de lalégende qui ne pouvaient sortir d’un cercle enchanté. Toute la nuitil tournait à travers les jardins comme une âme en peine, revenantsans cesse sur ses pas, se condamnant ainsi lui-même à un supplicequ’un Dante de race canine eût certainement placé dans l’enfercynégétique.

Mais, jusqu’alors, Pistolet n’avait pupénétrer dans l’intérieur de Golden-Cottage, et bien des fois ilavait gratté aux portes pendant des heures en parlantplaintivement. Les tramps cambrioleurs qu’il mit en fuite unepremière fois après les avoir mordus, lui donnèrent le moyen depénétrer dans l’habitation par la porte qu’ils avaientfracturée.

Pistolet parcourut toutes les pièces ducottage, avec aussi peu de résultat, on le devine, qu’il en avaitexploré les jardins. Décontenancé, mais non découragé, il installason quartier général dans une sorte de mansarde où il trouva unegerbe de paille de maïs et, dès lors, son existence s’organisarégulièrement.

Après une sieste qui durait toute la journée,il se mettait en chasse au coucher du soleil, et sitôt qu’il avaittrouvé une pâture quelconque, il revenait se livrer à ses inutileset patientes perquisitions.

Devenu presque sauvage, Pistolet faisait commeon l’a vu une guerre acharnée aux maraudeurs dont il reconnaissaitde loin l’odeur suspecte déjà flairée à l’île des pendus. Il secouchait à terre sitôt qu’on faisait le geste de le mettre en joue,aussi ne fut-il jamais blessé, ce qui accrédita la légende de soninvulnérabilité.

Pistolet en était à la troisième semaine deson séjour à Golden-Cottage, lorsqu’il se produisit un fait quiamena une certaine modification dans ses habitudes et dans songenre de vie.

Un jour, dans le passage d’une haie épineuse,la ficelle qui attachait à son collier la bourse de cuir qui avaittant excité la curiosité des Noirs se rompit. Le sac tomba à terre.Et Pistolet, qui avait sans doute compris que cet objet avait unecertaine importance, le saisit entre ses dents et le rapportajusqu’à sa niche. Là il se mit à jouer avec, le lançant en l’air etle rattrapant comme eût pu le faire un footballeur deprofession.

Cet exercice violent eut pour résultat derelâcher la ficelle serrée autour du col du sac de cuir. Celui-cis’ouvrit enfin, et les vingt-quatre lettres de l’alphabet découpéesdans des planchettes par M. Bondonnat à l’île des pendus s’enéchappèrent avec bruit et s’éparpillèrent sur le plancher.

Pistolet était demeuré immobile. Tout untravail se faisait dans sa cervelle. Il se rappelait les patientesleçons que lui avaient données d’abord Oscar Tournesol, puisM. Bondonnat lui-même.

Tout à coup, obéissant à la secrète impulsionde l’habitude, il se mit à former des mots, qu’il effaçait ensuiteavec sa patte pour en former d’autres, tout en aboyantjoyeusement.

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