Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome II

CHAPITRE III – La cabine 29

Après un fatigant voyage en railway, Andrée,Frédérique et les fiancés des deux jeunes filles étaient arrivés àSaint Louis sur le Mississippi. Descendus dans un excellent hôtelsitué sur les quais du fleuve, l’hôtel de La Louisiane,dont le nom français les avait séduits, ils se levèrent lelendemain matin assez tard. Ils déjeunèrent sommairement et ils sedisposaient à faire une promenade dans l’intérieur de la ville,lorsque leur attention fut attirée par une gigantesque affiched’une polychromie hurlante et qui se trouvait apposée dans la courintérieure de l’hôtel.

Voici le texte exact de ce placard :

Précieux avertissement

aux ladies et gentlemen amateurs de tourisme

OXYGÈNE-CÉLÉRITÉ-MUSIQUE

Atmosphère vivifiante des forêts du Mississippi

Voyage extra-rapide sur le yacht de luxe

L’ARKANSAS

Orchestre de 30 musiciens.

Cuisine française et anglaise.

Confortable de premier ordre.

Innombrables attractions à bord.

Pêche. Chasse. Sports de tout genre.

L’Arkansas effectue le trajet de Saint Louis

à La Nouvelle-Orléans en trente heures

PRIX DES PLACES

Première classe 120 dollars.

Seconde classe 80 dollars.

Les quatre Français étaient occupés à lirecette affiche, digne de Barnum, lorsqu’un des gérants de l’hôtels’approcha d’eux et, après les avoir saluésobséquieusement :

– Mesdames et messieurs, dit-il enexcellent français, j’ai vu sur le livre de l’hôtel que vous vousrendez à La Nouvelle-Orléans. S’il m’était permis de vous donner unconseil, je vous engagerais à prendre passage à bord del’Arkansas. C’est peut-être un peu plus cher que sur lessteamboats ordinaires, mais cet inconvénient est largement compensépar d’autres avantages.

– Lesquels ? demanda l’ingénieurPaganot.

– Cette affiche en indique la plus grandepartie. En outre, l’Arkansas, ne pouvant emporter qu’unecentaine de passagers, tous gentlemen du meilleur monde, vousévitera la promiscuité désagréable des paquebots ordinaires. Tousceux qui ont descendu les rives du superbe fleuve dans cesconditions n’ont eu qu’à se louer de leur excursion. En outre,ajouta le gérant pour aller au-devant d’une objection qu’il lisaitdans les regards de l’ingénieur, je vous dirai que je n’ai aucunintérêt à ce que vous preniez passage à bord d’un paquebot plutôtque d’un autre.

– La proposition est séduisante, ditAndrée de Maubreuil, sans remarquer l’obstination à bon droitsuspecte du gérant.

– Nous y réfléchirons, ajoutaFrédérique.

– C’est que, fit l’homme en insistant deplus belle, il faudra me donner réponse avant six heures.L’Arkansas lève l’ancre demain matin.

– Il suffit, dit Roger Ravenelimpatienté. Vous aurez votre réponse en temps voulu.

Les quatre Français sortirent de l’hôtel sansremarquer que l’obséquieux gérant les suivait de loin d’un regard àla fois ironique et haineux.

– Ils ont l’air à peu près décidés,grommela-t-il entre ses dents. Je crois bien qu’ilsembarqueront.

Il ne se trompait pas. Les jeunes voyageurs,après avoir vu l’Arkansas, un élégant petit vapeur enacier de construction récente, se résolurent à adopter ce mode devoyage que tout le monde, d’ailleurs, leur recommandait comme pluscourt, moins fatigant et plus pratique. Ils firent donc transporterleur léger bagage à bord du yacht, et le lendemain, vers neufheures, ils prenaient possession de leurs cabines pendant quel’Arkansas levait l’ancre au son d’un orchestre endiablé,exécutant avec une furia tout américaine le Yankee-Doodle,la Marseillaise et le Danube bleu.

Le pavillon étoilé fut hissé à la corned’artimon et l’on partit.

Les passagers, dont le pont était couvert,étaient vêtus avec une certaine élégance qui, chez nous, eût paruquelque peu voyante. Ils arboraient des complets à carreaux decouleur hurlante, des cravates invraisemblables et des giletsrutilants. Presque tous étaient coiffés de casquettes de voyageornées de petits drapeaux ou d’écussons désignant les sociétéssportives auxquelles ils appartenaient. Beaucoup étaient munis dejumelles, de longues-vues et de Kodaks qu’ils braquaient tour àtour sur les deux rives du fleuve.

Le Mississippi est, à cet endroit, presqueaussi large qu’un lac. Il roule ses eaux jaunâtres et boueusesentre deux berges marécageuses couvertes d’une moisson de plantesaquatiques que continuent un peu plus loin d’immenses acréages decotonniers, de maïs, coupés de temps en temps par des bouquets debois. Çà et là apparaissaient des villes ou des villages tapis aufond de quelque petite baie avec leurs usines aux hautes cheminéesnoires et leurs estacades de pilotis qui s’avançaient dans l’eaufangeuse du fleuve.

La chaleur était accablante ; desdomestiques noirs se hâtèrent de dresser sur le pont de longuestentes de coutil, sous lesquelles la plupart des voyageurss’installèrent sur des sièges de rotin, pendant que des barmenfaisaient circuler les plateaux chargés de cocktailsincendiaires.

Vers onze heures, la cloche du bord sonna pourle lunch. Le menu ne différait guère de celui des hôtels où lesquatre Français étaient déjà descendus ; c’était l’inévitablesoupe aux huîtres, le saumon à la canadienne et les gigantesquesrosbifs entourés de tout un arsenal de sauces corrosives dans depetits flacons aux étiquettes multicolores. Le pale ale et le stoutétaient excellents, mais les vins, qualifiés de vins de France etcomptés en supplément, étaient exécrables. Somme toute, l’ordinairene démentait pas trop les promesses du prospectus.

C’est pendant ce premier lunch qu’Andrée etFrédérique remarquèrent deux convives d’un certain âge dont laphysionomie et les manières leur inspirèrent une instinctiverépulsion. L’un d’eux avait une de ces figures qui restent gravéesdans le souvenir dès qu’on les a vues seulement une fois. Son crâneénorme était entièrement chauve, ses yeux sans cils, pareils à desyeux d’oiseau de proie, étaient abrités par de larges lunettesd’or, l’expression de son regard avait quelque chose de fascinateuret d’inquiétant. Les lèvres étaient minces, le visage maigre, rasé,presque squelettique. Il s’exprimait avec une lenteur et unesécheresse glaciales et donnait à première vue l’impression d’uneintelligence géniale jointe à une méchanceté diabolique.

Son compagnon, sans doute son frère, car ilavait avec lui un air de vague ressemblance, en différaitentièrement comme physionomie et comme aspect.

Autant l’autre était maigre, émacié et morose,autant il était corpulent, rubicond et jovial.

Son sourire bienveillant, ses yeux gris clairpleins de franchise le rendaient tout d’abord sympathique, mais sil’on observait avec attention ses mâchoires trop développées, sesvastes oreilles, ses mains énormes aux doigts courts et aux poucesen billes, on se sentait beaucoup moins rassuré.

Ces deux hommes étaient énigmatiques ettroublants.

Pendant tout le repas, ils ne prononcèrent quequelques paroles, mais ils ne quittaient pas des yeux les Français,et Frédérique, surtout, sentait peser sur elle le regard hypnotiquede l’homme aux lunettes d’or et elle éprouvait un étrangemalaise.

Ce fut avec un véritable soulagement qu’ellevit les deux inconnus se lever de table et monter sur le pont oùils allaient fumer un cigare.

– Quelles étranges physionomies !murmura la jeune fille avec un léger frisson, de véritablespersonnages d’Hoffmann ou d’Edgar Poe. Ils m’ont coupél’appétit.

– On ne voit de ces têtes-là qu’enAmérique, répondit Roger Ravenel ; ce sont peut-être,d’ailleurs, de très honnêtes gens.

– J’en doute fort, fit l’ingénieurPaganot en hochant la tête. J’ai entendu dire que l’un d’eux étaitun médecin connu, quant à l’autre ce doit être un négociantquelconque.

La conversation dévia peu à peu et, le lunchterminé, tout le monde remonta sur le pont pour admirer le paysagequi, à mesure qu’on avançait, se renouvelait incessamment.

On apercevait beaucoup de crocodiles :les plus jeunes, alertes et frétillants comme des lézards, les plusgros, les patriarches, se laissant entraîner paresseusement au filde l’eau, le dos recouvert d’une mousse verdâtre qui les faisaitressembler à de vieux troncs d’arbre à la dérive.

Les deux étrangers aux mines inquiétantesavaient disparu. Sitôt après le déjeuner ils étaient rentrés dansune cabine, la cabine 29, et s’étaient fait apporter du champagneglacé et des cigares.

– Alors, fit l’homme aux lunettes d’or enbaissant la voix, ce sera pour ce soir, n’est-ce pas ?

– Oui, mon cher Cornélius, il n’est quetemps que nous soyons débarrassés de ces maudits Français qui nousont déjà causé un tort considérable.

– Baruch ne sait rien ?

– Non, on lui apprendra la chose quandelle sera terminée. C’est infiniment préférable. S’il n’est pascontent, nous lui dirons que nous n’avons pas eu le temps de leconsulter, que le péril était urgent.

– Oui, cela vaut beaucoup mieux, maisnotre homme ne vient pas vite.

– Oh ! il n’est pas en retard, ditFritz en tirant sa montre. Il se nomme Dodge, il a déjà étécondamné pour vol et pour meurtre et il est entièrement dévoué à laMain Rouge. Il a séjourné d’ailleurs pendant plusieurs mois à l’îledes pendus et faisait partie des sentinelles surveillant le vieuxBondonnat. J’aurais beaucoup préféré Slugh.

– Oui, mais Slugh n’est pas encore guérides coups de revolver que lui a donnés Fred Jorgell, j’ai bien cruqu’il n’en réchapperait pas…

À ce moment, on frappa trois coupsrégulièrement espacés à la porte de la cabine. Fritz et Cornéliuss’empressèrent d’appliquer sur leurs visages deux masques decaoutchouc, puis ils attendirent. On frappa de nouveau.

– Entrez, dit Cornélius.

L’homme qui pénétra dans la cabine était unrobuste compagnon aux vêtements de toile bleue, au visage et auxmains noircis par le charbon. Il tenait respectueusement sacasquette à la main.

– Fermez la porte, dit Fritz.

– Sirs, j’ai reçu un avis de me rendre àla cabine 29.

Et il montrait un billet portant commesignature une main grossièrement tracée à l’encre rouge.

– C’est bien, reprit Fritz. Nous t’avonsfait appeler. Nous avons des ordres à te donner de la part desLords de la Main Rouge. Il faut que, cette nuit, lorsque tous lespassagers seront endormis dans leurs cabines, l’Arkansassombre sans que personne puisse être sauvé. Rien n’est plus facileque de produire une voie d’eau dans la cale. Il suffit d’enleverquelques planches. Cela ne demande pas une heure de travail. Tuauras soin, bien entendu, de nous conduire à terre dans une deschaloupes avant l’accident.

Dodge, un des chauffeurs del’Arkansas, ne semblait pas décidé. Cornélius lut del’hésitation dans son regard.

– Songe bien, fit-il de sa voix glacialeet coupante comme la bise de décembre, que tu dois obéir aux ordresdes Lords. Tu ne cours aucun risque, d’ailleurs, et tu n’ignorespas que, sans la Main Rouge qui te couvre de sa puissanteprotection, tu n’aurais pas quarante-huit heures à vivre.

– Sirs, dit humblement Dodge, j’obéirai.À onze heures et demie précises, je viendrai vous chercher danscette cabine pour vous faire descendre dans le canot.

Fritz tendit au chauffeur une bank-note decinquante dollars.

– Voici, dit-il, qui te permettra depayer à boire aux gens de l’équipage. Il faut qu’ils soientsuffisamment ivres pour ne pas te déranger dans ton travail.Maintenant, tu peux te retirer.

Dodge sortit à reculons et, sitôt qu’il se futretiré, Fritz et Cornélius enlevèrent leurs masques ets’empressèrent de quitter la cabine 29.

Ils remontèrent sur le pont au moment même oùla cloche du bord annonçait que l’Arkansas allait accosterle long des quais de bois d’un village riverain pour mettre à terrequelques passagers et en laisser monter d’autres.

L’échange des passagers se fit assezrapidement. Il n’en monta qu’une dizaine, presque tous groscultivateurs de la région. Parmi eux se trouvait un jeune homme demine et de mise élégantes dont la vue produisit une étrangeimpression sur Mlle de Maubreuil. Elle eut lasensation rapide d’avoir vu ces traits-là quelque part, maisoù ? Elle n’eût pu le dire.

L’inconnu franchit la passerelle et son regardrencontra celui d’Andrée. La jeune fille, sous le rayon magnétiquede ses prunelles, ressentit au cœur une douloureuse commotion. Ceregard l’avait pour ainsi dire matériellement blessée, comme sielle eut reçu un coup de poignard. Elle détourna la tête avec unesorte de répulsion instinctive pendant que le jeune homme, aprèsl’avoir suivie d’un long regard, se perdait dans la foule despassagers dont le pont du vapeur était encombré.

Par quelle étrange association d’idées Andréede Maubreuil se rappela-t-elle tout à coup en cet instant cecauchemar qui pendant longtemps avait hanté ses nuits le samedi dechaque semaine et qui, maintenant, ne se représentait plus querarement à elle ?

La jeune fille ne put s’empêcher defrissonner, mais elle n’osa confier à personne l’étrangepressentiment dont elle était assaillie.

Pendant ce temps, l’inconnu, en s’avançant àtravers la foule des voyageurs, n’avait pas tardé à apercevoirFritz et le docteur Cornélius. Il échangea avec eux un clin d’œilimperceptible et tous trois descendirent à la cabine 29,spécialement choisie par Cornélius parce qu’elle était isolée desautres. Les deux frères essayaient à peine de dissimuler leurmécontentement à la vue du nouveau venu.

– Ah ça ! mon cher Baruch – ouplutôt, mon cher Joë –, que se passe-t-il donc pour que vouscourriez ainsi après nous ? s’écria Cornélius ; votrearrivée est une vraie surprise.

– Il se passe des choses très graves, ditBaruch, dont la physionomie exprimait l’inquiétude et la mauvaisehumeur. Et tout d’abord, je viens de recevoir, par marconigramme,une nouvelle des plus fâcheuses. Lord Burydan s’est évadé de l’îledes pendus en compagnie de l’Indien Kloum.

– Mais au moins, demanda Fritzprécipitamment, le vieux Bondonnat ne s’est pas échappé ?

– Non, mais il ne s’en est fallu que depeu de chose. Il était déjà monté dans la nacelle de son aéronef –dont entre parenthèses lord Burydan s’est emparé –, lorsqu’un denos fidèles agents, Sam Porter, l’a empoigné à bras-le-corps et aempêché son évasion.

Fritz et son frère échangèrent un regardfurieux et dépité.

– J’ai toujours dit, grommela Cornélius,que ce vieux Français était rusé comme le diable et qu’il finiraitpar nous glisser un jour ou l’autre entre les doigts comme uneanguille.

– Oh ! reprit Baruch, j’aitélégraphié de doubler la surveillance et je ne crois pas que cesoit de sitôt que le vieillard puisse combiner un nouveau plan defuite. Mais ce n’est pas la seule mauvaise nouvelle que je vousapporte. Mon frère, Harry Dorgan, est maintenant complètementrétabli. La fameuse lèpre verte l’a retenu au lit à peine pluslongtemps qu’une grippe bénigne.

– Cela, nous le savons, répliquaCornélius avec impatience, puisque c’est l’ingénieur Paganot,précisément un élève de notre prisonnier de l’île des pendus, qui aréussi à découvrir le microbe et qui a appliqué au malade untraitement approprié.

– Oui, répliqua Baruch avec emportement,mais ce que vous ignorez, c’est que mon pseudo-père, WilliamDorgan, en apprenant que son rejeton était gravement malade, a misde côté tout orgueil et toute rancune et est allé le voir. Tout ceque j’avais fait devient inutile. Maintenant, ils sont réconciliés,et William Dorgan consent même au mariage de son fils avec missIsidora.

– Diable ! cela se gâte, murmuraFritz entre ses dents.

– Oui, ajouta Cornélius sur le même ton,il est grand temps d’intervenir d’une façon énergique.

– En tout cas, reprit Baruch, dont lacolère longtemps contenue se déchaînait, il faudrait évitercertaines maladresses du genre de celles qui ont été commises sansqu’on m’en ait prévenu.

– Quelles maladresses, s’il vousplaît ? demanda Cornélius dont les prunelles d’oiseau de proiescintillèrent derrière le cristal de ses lunettes d’or.

– Ma sœur Isidora a reçu une robe brodéed’une main sanglante. Pourquoi a-t-on fait cela ? C’est aussiridicule que maladroit !

– Nous avons nos raisons, répliquasèchement Cornélius. Cet envoi emblématique, précédant de quelquesheures la maladie subite d’Harry Dorgan, était destiné à frapperFred Jorgell et sa fille d’une terreur telle que…

– Eh bien, interrompit Baruch avec unricanement sinistre, le résultat a été tout différent de celui quevous espériez. Maintenant, Fred Jorgell et les Français ont faitcause commune. Ils vont remuer ciel et terre pour découvrirM. Bondonnat.

Fritz eut un haussement d’épaules.

– Les Français ne nous gêneront paslongtemps.

– Pourquoi cela ?

– Parce que, ce soir, ils n’existerontplus. L’Arkansasaura sombré corps et biens. Il y a à borddes affiliés de la Main Rouge et toutes nos dispositions sontprises.

Baruch était devenu blême de rage.

– Cela ne sera pas, déclara-t-il enserrant les poings. Je le constate depuis quelque temps, vous nevous donnez plus la peine de me consulter lorsqu’il s’agit deprendre une décision importante. C’en sera vite fait de notreassociation si la discorde se met parmi nous !

– Il ne s’agit pas de cela, réponditFritz d’un ton conciliant ; il est urgent de se débarrasser deces Français qui sont pour nous un danger. Nous avons saisi au volune occasion propice. Nous étions persuadés que vous seriez denotre avis. Il n’y a pas de quoi vous mettre en colère.

– Lorsque vous avez quitté New York,reprit Baruch, il n’était pas question de ce projet. La lettreexpédiée à Mlle Frédérique devait être simplementun moyen de séparer Fred Jorgell de ses alliés et d’attirer ceux-cijusqu’à La Nouvelle-Orléans pour leur faire perdre du temps endémarches inutiles et nous permettre, à nous, de prendre unerésolution à leur sujet.

– Oui, mais chemin faisant nous avonsréfléchi qu’il était de beaucoup préférable de nous débarrasserd’un seul coup de ces gens-là dans une catastrophe qui paraîtranaturelle à tout le monde et ne forcera pas la justice àintervenir. Quand l’Arkansas sera au fond du Mississippi,bien malin celui qui pourrait arriver à savoir comment le naufrages’est produit. Si vous réfléchissez un instant, vous serez de monavis.

Baruch avait eu le temps de se calmer et avaitrepris peu à peu son sang-froid.

– Eh bien, précisément, fit-il d’un tonnet et tranchant, j’ai réfléchi. Il ne faut pas que cettecatastrophe ait lieu. Je m’y oppose absolument.

– Et la raison ?

– C’est que je ne veux pas qu’Andrée deMaubreuil périsse. Je l’ai vue tout à l’heure encore sur le pont etnos regards se sont croisés. Je l’aime autant que je l’aimaisautrefois lorsque j’étais chez son père. Elle me détestait, elle medéteste sans doute encore, mais justement ce sera mon triomphe àmoi de me faire aimer d’elle, de gré ou de force, et c’est pourcela que je veux qu’elle vive.

Cornélius et Fritz se consultaient du regardet demeuraient hésitants et perplexes.

– Comprenez bien, d’ailleurs, dit encoreBaruch, que le moment serait très mal choisi pour attirerl’attention sur la Main Rouge. Je sais qu’Harry Dorgan me déteste,il a d’ailleurs de bonnes raisons pour cela ; et je suis sûrqu’il me soupçonne d’avoir été pour quelque chose dans sa maladie.Il ne suffirait que d’une enquête menée avec sagacité pourdécouvrir que c’est nous qui sommes ces fameux Lords de la MainRouge dont l’existence est passée, en Amérique, à l’état delégende. Réfléchissez à votre tour et voyez s’il n’est paspréférable de montrer de la prudence.

La discussion se prolongea pendant une heureentière. Cornélius et son frère, bien qu’à contrecœur, finirent parcéder aux raisons de Baruch. Ils savaient qu’il avait dit vrai enannonçant une véritable levée de boucliers contre la Main Rouge. Degrandes précautions étaient nécessaires, momentanément dumoins.

Au moment où les trois bandits venaient detomber d’accord, on frappa de la manière convenue à la porte de lacabine 29.

D’un geste rapide, les trois Lords secouvrirent le visage de leurs masques, puis Fritz alla ouvrir.

C’était Dodge, le chauffeur.

– Sirs, dit-il, mes préparatifs sontterminés. J’attends vos ordres définitifs. Le canot qui doit vousemmener est déjà hissé sur son portemanteau.

– Tes préparatifs seront pour cette foisinutiles, dit Cornélius. La catastrophe qui avait été décidéen’aura pas lieu. Retourne à ton travail et oublie ce que tu as vuet entendu.

– Mais les cinquante dollars ?

– Garde-les, ils t’appartiennent.

Le chauffeur se retira, au comble de lasurprise causée par ce dénouement inattendu.

Quelques heures plus tard, à la nuit tombante,les trois Lords de la Main Rouge profitaient d’une escale del’Arkansas dans le port d’une bourgade riveraine pourdescendre à terre. Ils se firent conduire à la gare la plus procheoù ils prirent le rapide de New York.

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