Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome II

CHAPITRE II – Le chèque

Mr. Steffel, directeur de la police deNew York, se trouvait dans son cabinet, fort occupé à parcourir unrapport que venait de déposer sur son bureau le sergent Grogmann,celui-là même qui avait été chargé d’opérer l’arrestation desévadés du Lunatic-Asylum à la buvette du Grand Wigwam.

– Ce Grogmann est vraiment stupide,grommelait-il entre ses dents, il croit tout ce qu’on luiraconte ! Si je n’avais que de pareils agents pour opérer ladestruction de l’association de la Main Rouge, je crois que jeserais longtemps avant d’y arriver…

À ce moment, le garçon de bureau remit àMr. Steffel une carte de visite :

« Lord Astor BURYDAN

« Présente ses respects àMr. Steffel et serait heureux d’avoir avec lui quelquesinstants d’entretien au sujet des bandits de la MainRouge. »

Le directeur de la police remit brusquement enplace dans un cartonnier le rapport de Grogmann qui luiapparaissait maintenant dénué de toute espèce d’intérêt.

– Lord Burydan, dit-il au garçon debureau ébahi, faites entrer immédiatement !

Et il ajouta en aparté :

– Lord Burydan, mais c’est cet Anglaisexcentrique qui a donné tant de fil à retordre à mes agents etcontre lequel j’ai dû cesser toutes poursuites par ordre supérieur.Il doit avoir des choses intéressantes à me raconter.

La minute d’après, lord Burydan entrait dansle cabinet du policier, accompagné du poète Agénor, dont il ne seséparait guère depuis qu’après tant de périlleuses aventures ilavait eu la satisfaction de le retrouver. Mr. Steffelaccueillit courtoisement ses visiteurs, leur indiqua des sièges etattendit qu’ils prissent la parole pour les communications qu’ilsavaient à lui faire.

– Je ne suis pas un inconnu pour vous,mon cher monsieur Steffel, dit malicieusement lord Burydan.

– Mais non, répondit le policier ensouriant. J’ai même sur vous un dossier passablement volumineux.C’est vous qui, entre autres facéties, jetez les chauffeurs enpâture aux crocodiles ; c’est vous qui mettez en révolutionles asiles d’aliénés où l’on vous enferme…

– Et le plus drôle, répliqua lord Burydansans s’émouvoir, c’est qu’en me livrant à toutes ces démonstrationsplus ou moins joviales j’étais absolument dans mon droit.

– Il faut bien le croire, puisque j’aireçu l’ordre formel de ne plus vous inquiéter ; mais je vousavoue qu’il est resté, dans toute cette histoire, bien des pointsobscurs pour moi.

Et Mr. Steffel arrêtait sur l’Anglais ceregard spécial aux gens de police qui sont toujours prêts à voirdes criminels dans tous ceux avec lesquels ils se trouvent enrapport.

– Cela tombe à merveille, répliqual’excentrique avec un imperturbable sourire. Je ne suis précisémentvenu vous trouver que pour élucider avec vous ces points obscursauxquels vous faites allusion.

Et lord Burydan raconta dans le plus granddétail, en reprenant les faits à partir du naufrage de la Villede Frisco, sa captivité à l’île des pendus, son évasion, sacaptivité au Lunatic-Asylum, enfin de quelle manière audacieuse ilétait parvenu à rentrer en possession de ses biens, et il terminason récit en narrant à Mr. Steffel comment il avait pudécouvrir la latitude et la longitude de l’île qui servait derepaire aux bandits de la Main Rouge.

Mr. Steffel avait écouté soninterlocuteur sans l’interrompre ; seulement, d’un gesterapide, il avait furtivement noté les chiffres exacts de lalongitude et de la latitude.

– Je vous remercie beaucoup, milord,dit-il ; les renseignements que vous me donnez là sontprécieux, et je compte bien en tirer tout le parti possible pourarriver à l’arrestation des chefs de la bande.

– J’ai regardé comme un devoir de vousfaire cette communication. Je ne me trouve à New York que pourquelques heures encore et j’en ai profité pour venir vous voiravant de partir en expédition.

– Vous avez fort bien fait. Et si je puisvous être utile de quelque façon…

– Il n’y en aurait qu’une, ce serait defaire en sorte que le gouvernement de l’Union mît à notredisposition un navire de guerre pour nous aider à faire unedescente dans l’île des pendus.

Le policier prit un air grave.

– Milord, répondit-il, je vous promets defaire tout ce que je pourrai pour obtenir l’envoi d’un cuirassé. Jevais, dès aujourd’hui même, demander une audience au directeur dela marine, en lui faisant part de vos révélations qui changentcomplètement la face de l’affaire.

L’entretien se prolongea pendant plus d’uneheure, et ce ne fut qu’après avoir répondu à une foule de questionsque lui posa Mr. Steffel que lord Burydan se retira,respectueusement reconduit par ce dernier jusqu’à l’auto quil’avait amené.

Une fois rentré dans son cabinet, le policierréfléchit un instant, puis, tout à coup, il sonna le garçon debureau.

– Faites en sorte, lui dit-il, de meprocurer le plus tôt possible l’atlas de l’état-major, édité parles soins du département de la guerre.

– C’est que, repartit le garçon avecembarras, cet atlas est volumineux ; comme vous le savez, ilrenferme un grand nombre de feuilles et il constitue presque à luiseul une vraie bibliothèque.

– C’est juste, mais je n’ai besoin pourl’instant que de la carte du Klondike et des îles voisines.

– Bien, monsieur le directeur.

Une demi-heure après, le garçon de bureauétait de retour avec l’atlas demandé. S’armant d’un crayon,Mr. Steffel repéra soigneusement sur la carte la latitude etla longitude que lui avait indiquées lord Burydan et il trouva sanspeine l’île Saint-Frédérik, appartenant aux États-Unis. Évidemment,c’était bien cette île Saint-Frédérik qui était l’île des pendus,la capitale secrète des bandits de la Main Rouge.

Un dictionnaire de géographie fournit aupolicier quelques renseignements complémentaires :

« L’île Saint-Frédérik est située un peuau sud des îles Aléoutiennes, à cent kilomètres environ de l’îleSakhaline. Elle fut découverte au XVIIIe siècle par desnavigateurs allemands qui l’appelèrent l’île Saint-Frédérik.Depuis, comme elle ne se trouve sur le passage d’aucun navire, ellea été complètement oubliée non seulement par les marins, maisencore par la plupart des géographes.

« À un moment donné, elle fut l’objetd’un échange de notes diplomatiques entre la Russie et legouvernement des États-Unis, mais ce territoire glacé paraissait àtout le monde si peu intéressant que la question ne futdéfinitivement tranchée qu’en 1901. À cette époque, elle futofficiellement adjugée à l’Amérique qui, depuis, l’a concédée à unriche particulier. »

Mr. Steffel eut un malicieux sourire.

– Hum ! fit-il, je crois que, quandje connaîtrai le nom du « riche particulier » enquestion, j’aurai fait un sérieux pas en avant dans la connaissancedes secrets de la Main Rouge.

Mr. Steffel avait saisi le récepteur del’appareil téléphonique, il demanda la communication avec leministre des Colonies et, grâce aux déclenchements automatiquesdont sont munis les téléphones new-yorkais, il obtint cettecommunication presque instantanément.

– Allô !

– Qui me parle ?

– C’est moi, Mr. Steffel, ledirecteur de la police ! Voulez-vous prier M. le chef dubureau des concessions coloniales de venir à l’appareil ?

– Me voici, dit une seconde voix quelquesinstants après. Qu’y a-t-il pour votre service, monsieurSteffel ?

– Oh ! un simple renseignement. Jevoudrais savoir le nom de la personne à laquelle a été concédée unepetite île, qui s’appelle l’île Saint-Frédérik, dans les parages duKlondike.

– Très facile. L’île Saint-Frédérikappartient à l’heure actuelle à l’un de nos concitoyens,Mr. Fritz Kramm, le fameux marchand de tableaux, qui y a fait,d’ailleurs, sans beaucoup de succès, je crois, une tentatived’élevage des phoques à fourrure.

– Très bien, merci, c’est tout ce que jedésirais savoir.

Et Mr. Steffel accrocha le récepteur del’appareil.

En entendant le nom de Fritz Kramm, lepolicier avait cru avoir un éblouissement. Confusément la véritélui était apparue comme dans un éclair.

Mr. Steffel, grâce aux notes de sesagents, n’ignorait pas les fâcheux antécédents des deux frèresCornélius et Fritz. Il savait que l’antiquaire avait été maintesfois soupçonné de servir de receleur aux détrousseurs de musées etaux voleurs internationaux. Dès lors, sa conviction était faite. Ilne s’agissait plus maintenant pour lui que de découvrir les preuvesmatérielles, ce qui, sans doute, ne serait pas difficile.

Disons-le en passant, la mentalité despoliciers américains diffère beaucoup de celle des policiersfrançais. Il était arrivé maintes fois à Mr. Steffel lui-mêmede toucher la forte somme de la part de tenanciers de maisons dejeu, ou même de riches criminels auxquels on permettait, moyennantfinances, de gagner l’ancien continent.

Le directeur de la police, après mûresréflexions, résolut de ne point brusquer les choses ;peut-être après tout y aurait-il moyen de conclure une transactionavantageuse avec le propriétaire de l’île Saint-Frédérik.

En proie à ces préoccupations,Mr. Steffel se fit conduire immédiatement chez Fritz Kramm quihabitait un luxueux hôtel dans le voisinage de Central Park.

L’antiquaire était absent. Il était allé, à ceque dit le domestique, rendre visite à son frère, le docteurCornélius. Mr. Steffel remonta en auto et se fit conduire chezCornélius où l’Italien Léonello l’introduisit cérémonieusement dansle grand salon d’attente de style Louis XIV.

Dès qu’ils connurent la présence du hautfonctionnaire de la police, Cornélius et Fritz accoururent lesourire aux lèvres, la main tendue, mais ils furent décontenancéspar la mine grave et presque menaçante de Mr. Steffel.

– Sirs, dit-il d’une voix brève, ce n’estpas une simple visite de politesse qui m’amène, et je crains biend’avoir à remplir aujourd’hui près de vous une pénible mission.

Le policier guettait du coin de l’œil l’effetde ses paroles sur les deux frères, mais ils ne bronchèrentpas.

– De quoi s’agît-il ? demanda Fritzd’un ton parfaitement naturel.

Mr. Steffel résolut de brusquer leschoses.

– Je ne vous cacherai pas, monsieur FritzKramm, dit-il, que de graves soupçons pèsent sur vous. C’est bienvous, n’est-ce pas, qui êtes propriétaire de l’île Saint-Frédérik,plus connue dans le monde des bandits de la Main Rouge sous le nomde « l’île des pendus » ?

Fritz était devenu blême ; pourtant, cefut avec assez d’assurance qu’il répondit :

– Il est parfaitement exact que je suispropriétaire de l’île Saint-Frédérik, mais il y a bien des annéesque je l’ai entièrement abandonnée et je ne comprends pas ce quevous voulez dire avec vos pendus !

– Drôle d’histoire, murmura doucementCornélius, mais tout en parlant il jetait sur Mr. Steffel desi étranges regards derrière les vitres de ses lunettes d’or que lepolicier ne put s’empêcher de frissonner.

Il se rappela les bruits qui avaient couru surles laboratoires souterrains du sculpteur de chair humaine.

– Notez bien ceci, crut-il bon de dire,c’est que, si je subissais de votre part la moindre voie de fait aucours de cette visite, les documents que je possède contre vous, etqui sont en mains sûres, paraîtraient ce soir même dans trois desplus grands journaux de New York.

– Il n’est pas question de voies de fait,dit le docteur Cornélius toujours parfaitement calme, nous tenonsseulement à avoir quelques explications sur l’étrange accusationque vous faites peser sur mon frère.

– Je crois, interrompit Fritz, queMr. Steffel est en train en ce moment-ci de commettre unelourde bévue. Est-ce que des gens comme moi et mon frère, dont lafortune est considérable, qui possédons même une part dans le trustde William Dorgan, pouvons avoir quelque chose de commun avec lesbandits de la Main Rouge ?

– Protestations inutiles, s’écriaMr. Steffel avec emportement, je sais tout ! Vous etvotre frère faites partie des Lords de la Main Rouge. J’ai contrevous des témoignages précis.

Fritz et Cornélius échangèrent un coup d’œilrapide. La situation était évidemment embarrassante.

– C’est vous, poursuivit le policier, quiavez enlevé le savant français, M. Bondonnat, que vousséquestrez encore à l’heure qu’il est ; c’est vous qui avezlongtemps retenu prisonnier l’honorable lord Burydan. Mais prenezgarde ! Le gouvernement de l’Union va expédier un cuirassécontre l’île des pendus, et ce repaire de bandits sera complètementanéanti. Tenez, ajouta-t-il après un silence, le meilleur parti quevous ayez à prendre serait d’avouer carrément, de me donner lesnoms de tous vos complices, et peut-être qu’à cette condition jepourrais obtenir que vous ne soyez pas poursuivis.

Le docteur Cornélius eut un sourireironique.

– Je connais cette vieille ruse deguerre, dit-il, mais nous serions fort embarrassés, mon frère etmoi, de vous révéler les noms de nos complices, puisque nous n’enavons pas et que d’ailleurs nous ne sommes coupables d’aucuncrime !

– Parbleu ! s’écria Fritz, je devined’où part cette dénonciation. Elle émane sans doute de ce lordBurydan tout fraîchement évadé du Lunatic-Asylum, après avoirassassiné un citoyen américain.

– L’honorable lord Burydan, repritMr. Steffel en pesant lentement ses paroles, ignore encore quec’est Mr. Fritz Kramm le propriétaire de l’île Saint-Frédérik.Je n’ai pas encore jugé à propos de l’en informer.

– Vous êtes libre de le faire. Je ne suispas responsable, moi, de ce qui se passe dans une île déserte etglaciale où je ne suis pas allé depuis des années.

– Savez-vous ce qui se produira si jemets lord Burydan au courant de la chose ? C’est qu’ilsollicitera et obtiendra immédiatement l’envoi d’un cuirassé. Danstous les cas, cette affaire vous causera un tort considérable, mêmeen admettant que vous ne soyez pour rien dans les agissements de laMain Rouge.

Fritz et Cornélius commençaient à comprendreoù voulait en venir Mr. Steffel.

– Je vous affirme, dit le docteur, quemon frère n’a absolument rien à se reprocher, et l’enquête que vousmènerez avec votre sagacité habituelle établira certainement soninnocence.

– Ce que vous dites est possible, repritle policier avec hésitation, mais qui me dit que vous ne chercherezpas à vous soustraire à l’action de la justice ?

– Tenez, dit Cornélius, je vais vousdonner une preuve de ma bonne foi. Je vais déposer entre vos mainsune caution de cinquante mille dollars ; comme cela, vousserez sûr que ni mon frère ni moi ne chercherons à nouséchapper.

– Évidemment, fit Mr. Steffel, quiavait amené ses interlocuteurs au point où il voulait les voir,cette proposition milite en votre faveur. Il est possible aprèstout qu’une erreur ait été commise à votre sujet. Avant dedéchaîner un scandale tel que celui que causerait votrearrestation, je veux élucider cette affaire en touteimpartialité.

– Vous reconnaîtrez bien vite que l’ons’est trompé en nous dénonçant. Attendez un instant, je vais voussigner le chèque de cinquante mille dollars.

Le docteur Cornélius traça sur une feuille deson mémorandum quelques lignes en caractères hiéroglyphiques, puisil sonna Léonello et lui remit le papier. Une minute après,l’Italien revenait avec un carnet de chèques dont Cornélius etFritz contresignèrent une feuille en y inscrivant le chiffre decinquante mille dollars.

Mr. Steffel s’en saisit, enchanté d’avoirsi bien conduit une aussi délicate négociation.

– Au revoir, sirs, dit-il en se retirant.Plus je réfléchis, plus je suis persuadé que vous avez été victimesd’une dénonciation calomnieuse. Ce n’est pas des hommes comme vousqui sont affiliés à l’association de la Main Rouge !Décidément, cette accusation est absurde et je vais classerl’affaire.

– N’oubliez pas, monsieur Steffel, fitCornélius avec un sourire plein de sous-entendus, que, s’ilarrivait qu’on nous accusât de nouveau, nous sommes toujours prêtsà fournir caution.

– Entendu, au revoir, mes chers amis.

Et tous trois échangèrent une cordiale poignéede main.

Tout en traversant le magnifique jardin quientourait l’hôtel du docteur, Mr. Steffel se disait qu’ilserait bien sot de s’en tenir à ce premier acompte, et il seproposait de continuer son enquête dans le plus grand secret,quitte à opérer une arrestation en masse de tous les chefs de laMain Rouge sitôt qu’il serait parvenu à connaître leurs noms.

– Je sais bien, parbleu, songeait-il,qu’ils ne me réclameront jamais ces cinquante mille dollars, et queje me suis tacitement engagé à laisser la Main Rouge tranquille,mais on n’est pas forcé de se montrer honnête avec de pareilsbandits ! Si Cornélius et Fritz étaient innocents, ilsn’auraient pas essayé d’acheter mon silence au prix d’une sommeaussi considérable.

Le policier remonta en auto, en criant à sonchauffeur :

– À la Central Bank ! Et mettez del’avance à l’allumage pour que j’arrive à temps pour toucher unchèque !

Sitôt que le policier se fut retiré, Cornéliuset Fritz se regardèrent anxieusement.

– Nous l’avons échappé belle !murmura l’antiquaire.

– Le danger reste le même, répliqua ledocteur. Je n’ai aucune confiance dans ce Steffel, qui est unmaître chanteur sans scrupules. Je suis sûr que, maintenant qu’ilnous a tiré cette plume de l’aile, il n’aura rien de plus presséque de nous trahir !

– Que faire ?

– J’ai déjà donné des ordres à Léonello,sous prétexte de me faire apporter le carnet de chèques.

– Je m’étais bien aperçu que tugriffonnais quelque chose, mais je n’avais pas vu de quoi ils’agissait !

– Avec des gaillards de la trempe deSteffel, il faut riposter du tac au tac. En ce moment même, Slughest déjà en route avec la grande automobile, et il se peut qued’ici une heure nous soyons débarrassés de ce malencontreuxpolicier.

– N’est-ce pas imprudent, murmura Fritzavec inquiétude, et si Steffel a, comme il s’en vante, mis en mainssûres la dénonciation qui nous concerne ?

– Mais non, je connais Steffel. Il estbien trop rusé pour s’être confié à qui que ce soit. Il sait fortbien que, du moment où il aurait révélé à quelqu’un le nom duvéritable propriétaire de l’île des pendus, il ne serait plus lemaître de la situation.

– Ceci dans tous les cas est une leçon,reprit Fritz. Il est indispensable que l’île des pendus ne soitplus à mon nom. Je vais m’occuper de faire une vente fictive. Jedirai que je me suis débarrassé de cette île glaciale dont il estabsolument impossible de tirer parti.

– Il y a longtemps que cette précautionaurait dû être prise. Nous devons en ce moment, ne l’oublie pas,redoubler de vigilance. Jamais nous n’avons traversé une période demalchance pareille !

– Rien n’est encore perdu !

– Non, mais il va falloir déployerbeaucoup d’énergie. La Main Rouge a fait des pertes d’argentconsidérables, beaucoup de nos affiliés sont en prison et notreprestige diminue ; enfin, nous n’avons réussi aucune affaireimportante depuis longtemps. Baruch lui-même a si mal dirigé sabarque que William Dorgan s’est réconcilié avec son fils Harry et arefait un testament où il partage également ses biens entre sesdeux fils. Par conséquent, impossible pour le moment de fairedisparaître le vieux milliardaire et d’entrer en possession dutrust.

– Non, il faut attendre. Je tiens à avoirl’esprit en repos au sujet de l’expédition qu’organisent contrel’île des pendus Fred Jorgell et ses amis.

– Je suis moi-même un peu à court, repritle docteur ; j’ai dépensé, ces temps derniers, des sommesénormes en expériences, et je n’ai pas obtenu les résultats quej’espérais.

– J’ai une intéressante affaire en vue,et qui pourrait faire rentrer dans nos caisses une somme d’unmillion de dollars !

– By God ! cela en vaut lapeine ! De quoi s’agit-il !

Fritz mit son frère au courant de laproposition que lui avait faite la veille Balthazar Buxton. Lesdeux bandits échafaudèrent minutieusement le plan qui devait lesmettre en possession du célèbre tableau du Titien, le portrait deLucrèce Borgia, actuellement dans la galerie du milliardaireWilliam Dorgan. C’était sur la complicité de Baruch qu’ilscomptaient pour arriver à atteindre leur but.

Cependant, les deux frères jetaient de temps àautre des regards impatients sur la grande horloge de Boulle enébène incrusté de cuivre et d’écaille qui se dressait au fond dusalon.

– Slugh ne revient pas vite, grommelaCornélius.

– Malheureusement, je ne puis l’attendre,répliqua Fritz, j’ai chez moi un rendez-vous important.

– Eh bien, va ! Je te téléphonerais’il y a quelque chose de nouveau.

– Je voudrais bien que cette affaire soitterminée. Je tremble que, si nous ne nous débarrassons pas deSteffel, lord Burydan et ses amis ne viennent à connaître l’exactesituation de la capitale de la Main Rouge !

– Ne sois donc pas si poltron. Lesrenseignements que j’ai reçus de San Francisco sont excellents, ence sens que Fred Jorgell et sa bande sont toujours persuadés quenotre île se trouve dans le voisinage du pôle Sud. D’ailleurs, quoiqu’il arrive, toutes nos précautions sont prises. Il faut que pasun des passagers de la Revanche n’échappe au naufrage queje lui prépare !

Les deux frères prirent enfin congé l’un del’autre ; chose extraordinaire entre de pareils bandits, ilss’étaient toujours parfaitement entendus entre eux ; jamaisils n’avaient eu une discussion sérieuse. D’ailleurs, l’antiquaireprofessait à l’égard du savant un véritable culte et s’inclinaittoujours très docilement devant ses décisions.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer