Les Amours de Village

Chapitre 1

 

Il avait douze ans ; elle n’en avait pas encore, dix. Onl’appelait Justin ; elle se nommait Justine.

Ils étaient nés dans le même village, et leurs parentshabitaient deux maisons voisines.

Justine était gardeuse d’oies, et, matin et soir, Justinconduisait au pâturage les bœufs et les vaches de son père.

La jeune fille ne manquait jamais de mener ses oies vers le préoù se trouvait Justin. Pendant que la bande de palmipèdes couraitsur les jachères, les deux enfants s’asseyaient sur l’herbe etcausaient.

Que se disaient-ils ? De ces jolis riens qu’une bouchejeune et qui ignore le mensonge peut dire seule, et qui ne peuventêtre écoutés avec plaisir que par un autre enfant.

Justine chantait gentiment, Justin avait la voix assezagréable ; ils chantaient ensemble. Elle lui apprenait unechanson ou une chansonnette qu’il ne savait pas encore. Il lui enapprenait une autre.

Il arrivait souvent que l’alouette, la fauvette ou le linot semettaient de la partie, les insectes s’en mêlaient aussi. Celafaisait un véritable concert eu plein air.

On les rencontrait sur les chemins, marchant l’un près del’autre, la main dans la main.

Ils riaient toujours.

En passant à travers les blés et les orges, ils faisaient unebelle moisson de bluets ; elle tendait son tablier d’indienne,Justin l’emplissait.

Aux bluets, qu’elle tressait en couronnes, elle mêlait quelquesmarguerites blanches au cœur d’or ; puis, en riant, elleposait une couronne sur la tête de son ami en l’appelant sonroi.

Parfois, une marguerite entre les doigts, elle oubliait lacouronne commencée. M’aime-t-il ? demandait-elle à la fleur enjetant ses pétales au vent. La marguerite répondait tantôt,passionnément ; une autre fois, pas du tout. N’importe, lesenfants ne se fâchaient pas contre elle.

Ils riaient toujours.

Mais il fallait pour cela qu’ils fussent ensemble. L’un sansl’autre ils étaient tristes. En se cherchant, ils erraient commedes âmes en peine.

Lorsque Justine ne menait pas ses oies aux champs, ce jour-làles vaches de Justin étaient mal gardées : elles mangeaient àleur aise l’herbe du pré défendu.

Les oiseaux chantaient seuls.

Aussi, le lendemain, quand ils se revoyaient, quellejoie !… Les bêtes à plumes en avaient leur part ellesfaisaient invasion dans le pré et sympathisaient avec les bêtes àcornes.

Un jour ils furent surpris par un orage. Des éclairséblouissants déchiraient les nuages en tous sens et incendiaient leciel. Le tonnerre avait des grondements terribles. Ils cherchèrentun abri dans une haie. La haie était déjà pleine d’oiseauxeffarouchés qui se cachaient dans les feuilles. La pluie et lagrêle tombaient comme aux jours du déluge.

Justine n’avait pas lu le roman de Bernardin deSaint-Pierre ; elle eut cependant la même inspiration queVirginie elle cacha sa tête et celle de Justin sous son jupon dedroguet. Malgré tout ils eurent froid. La pluie ruisselait surleurs mains bleuies, leurs dents claquaient. Pour se réchauffer,ils se blottirent l’un près de l’autre comme des oisillons dans unnid.

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