Les Amours de Village

Chapitre 3

 

Pour la voir et lui parler plus librement, Henri décida Marcelleà se promener avec lui, le soir, au bord de la Varveine, à laclarté de la lune et des étoiles. La première fois qu’elle alla aurendez-vous, Marcelle sortit doucement de sa chambre et traversa lejardin pour gagner une petite porte ouvrant sur la rivière. Ellemarchait lentement, craintive ; sa raison lui disait vaguementqu’elle avait tort, mais son cœur répondait non. Son regard sepromenait autour d’elle interrogeant les ombres. Le bruit despetits cailloux roulant sous ses pieds l’effrayait. Si, dans cemoment, le jappement d’un chien ou le chant d’un coq eût frappé sonoreille, elle serait revenue sur ses pas, et peut-être… Mais rienne troubla le silence autour d’elle.

Henri vint à elle ; il lui prit la main, et la conduisantau bord de l’eau :

– Je vous attendais, dit-il.

– Je suis venue, répondit Marcelle, mais j’ai peur.

– Peur de qui ? de moi ?

– Oh ! non.

– Alors de quoi avez-vous peur ?

– Je ne sais pas. Je crois que je n’aurais pas dûvenir.

– Ah ! Marcelle, ce n’est pas bien de me direcela ; n’avez-vous point confiance en moi ? Est-ce que jene vous aime pas ?

– Vous m’avez dit que vous m’aimiez, je vous crois.

– Oui, je vous aime, Marcelle, je veux vous aimer toujours,je resterai à Doncourt, nous ne nous quitterons jamais. Êtes-vouscontente ?

– Oh ! je suis bien heureuse !

Marcelle voyait Henri plus rarement dans le jour ; maisquand le ciel était pur, elle savait qu’il se trouverait le soir àla porte du jardin de son père et elle attendait la nuit pours’enivrer de sa vue et de son amour. Chaque jour Henri la trouvaitplus jolie ; il le lui disait du moins. Le bonheur, en effet,rendait Marcelle rayonnante. Elle racontait à Henri toutes sespensées, ses rêves d’amour, et lui dévoilait les trésors detendresse infinie renfermés en elle. Pendant quinze jours,l’étudiant l’écouta, il trouvait même un certain plaisir à la faireparler ; mais bientôt il se lassa, l’indifférence était venue.Rassasié de l’amour de Marcelle, la jeune fille le fatiguait. Sonexistence auprès d’elle commençait à lui paraître lourde etmonotone. Il avait pu vivre près d’un mois sans ennui, loin de seshabitudes ; c’était à faire hausser les épaules aux pluscrédules de ses amis. Il s’en étonnait lui-même. Sa pensée leramena vers Paris, et il se mit à rêver de nouveaux plaisirs. Ilfit ses préparatifs pour quitter Doncourt. Une circonstance qu’iln’avait pas prévue contribua encore à hâter son départ. Sébastopolétait tombé au pouvoir des Français et des Anglais, la paix venaitd’être signée, et l’armée française qu’avait commandée le généralPélissier allait faire son entrée triomphale dans Paris. Henricraignit qu’une lettre de Jules Thiéry ne vînt découvrir la rusedont il s’était servi auprès de Marcelle, il voulait se soustraireaux conséquences de cette révélation.

La veille de son départ, il vit encore Marcelle.

– Henri, lui dit la jeune fille, quand nousmarierons-nous ?

– Bientôt, répondit-il avec embarras.

– Bientôt ; vous me dites toujours cela.

– Je suis si heureux, ma petite Marcelle, que je ne pensepas à l’être davantage.

– Je suis heureuse aussi ; mais vous n’êtes pas assezà moi ; je crains toujours de voir mon bonheur m’échapper.

– Pourquoi ?

– Vous êtes si beau, Henri, vous êtes si au-dessus de moique, malgré vos promesses, j’ai peur qu’une autre…

– Petite folle.

– C’est que, voyez-vous, si vous ne m’aimiez plus…

– Eh bien ?

– Je mourrais.

– Rassurez-vous, ma mignonne chérie, je vous aimeraitoujours.

– Oh ! oui, toujours ; votre amour c’est ma vie,et je veux vivre.

– Il se fait tard, dit Henri en tirant sa montre qu’ilpassa sous un rayon de la lune.

– Tard, mais non. Oh ! je vous en prie, restons encoreun peu.

– Il faut avoir soin de votre santé, Marcelle.

– Je fais tout ce que vous voulez, rentrons.

– Henri la conduisit jusqu’à la porte du jardin.

– À demain, dit Marcelle.

– À demain, répondit machinalement Henri qui venait dejouer la dernière scène de sa comédie.

Le lendemain, Marcelle se trouva seule au rendez-vous. Triste etinquiète, elle attendit. Henri ne vint pas. Il ne devait plusvenir.

Le jour suivant était un dimanche. Marcelle accompagna sa mère àla messe.

En sortant de l’église, pendant que madame Moriset disait unecourte prière sur la tombe de ses parents, Marcelle écoutait laconversation de deux femmes arrêtées tout près d’elle.

– Votre jeune monsieur a donc quitté Doncourt,Catherine ?

– Oui, répondit la servante du colonel Calmant ; ilest parti hier au soir ; il commençait à s’ennuyer ; car,voyez-vous, le colonel avec ses batailles et ses coups de canon,n’est pas toujours amusant.

– Croyez-vous, Catherine, que M. Henri n’a pas su sedistraire à Doncourt ?

– Je pense le contraire, et, entre nous, je parieraisqu’une amourette…

– Ah ! vous croyez, fit la commère en regardantMarcelle avec intention.

La pauvre enfant, qui avait pâli en apprenant le départ d’Henri,devint rouge et se troubla sous le regard de la paysanne. Elles’empara vivement du bras de sa mère et se serra contre elle commepour lui demander de la protéger. Madame Moriset n’avait rien vu,rien compris.

En rentrant, Marcelle s’enferma dans sa chambre et pleura.

– Il est parti !

– Ces mots, comme un acier tranchant, venaient d’ouvrir aucœur de la jeune fille une blessure profonde. Elle voulut douterencore ; elle chercha à se convaincre qu’elle avait malentendu, car croire à la trahison d’Henri, c’était recevoir lamort, et elle aimait tant la vie ! La vie si heureuse pourelle depuis qu’elle aimait surtout.

Mais les paroles de la servante du colonel repassèrent dans samémoire et frappèrent son cerveau comme le battant d’une cloche.Henri était parti, il l’avait trompée et elle ne pouvait lemaudire. C’est alors qu’elle mesura la profondeur de l’abîme oùelle avait été jetée froidement. Et cette femme qui l’avaitregardée, connaissait-elle son secret ?

Marcelle le crut, car elle était coupable. Elle se roulait surson lit en se tordant dans son désespoir ; ses mainsdéchiraient son beau visage. Elle aurait voulu mourir.

Sa mère vint plusieurs fois frapper à sa porte ; ellen’ouvrit pas.

Ce n’est que dans la soirée qu’elle consentit à la recevoir. Lapauvre mère fut effrayée de la pâleur répandue sur le visage de safille.

– Qu’as-tu, ma mignonnette ? lui demanda-t-elle. Tu esmalade.

– Je n’ai rien, répondit Marcelle.

– Tu me trompes, tu souffres, mon enfant.

Marcelle resta muette. Des larmes roulaient dans ses yeux ;elle eut la force de les retenir. Son calme apparent rassura un peusa mère.

En ce moment la mère Thiéry arriva ; elle était rayonnante.Une joie immense éclatait dans son regard, sa démarche et sesmoindres gestes.

– Jules vient de nous écrire, voici sa lettre,s’écria-t-elle.

Et elle se laissa tomber sur un siège comme si sa grande joiel’eût accablée.

– Jules, Jules, balbutia Marcelle en devenant plus pâleencore.

– Il n’a pas été blessé, reprit l’heureuse mère, il seporte à merveille. Il vient d’obtenir un congé temporaire, etdemain, peut-être, il sera à Doncourt. Il t’embrassera bien,Ursule, et toi aussi, Mignonnette.

Marcelle sentit quelque chose de froid peser sur sapoitrine.

– Cher Jules, dit madame Moriset, nos bras lui serontouverts. Oh ! comme nous allons fêter son retour !N’est-ce pas, Mignonne ?

Un oui sourd sortit de la bouche de la jeune fille.

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