Les Amours de Village

Chapitre 3

 

On était au mois de mai, le soleil inondait la campagne de l’orde ses rayons ; un vent tiède et léger secouait le feuillagevert des arbres printaniers et répandait dans l’espace le parfumdes fleurs de pommiers.

À l’extrémité du village, sur une vaste pelouse ombragée d’ormeset de tilleuls séculaires, la petite population de Millières, enhabits de fête, se trouvait rassemblée.

Enfants et vieillards, jeunes garçons et jeunes filles, tout lemonde se livrait à la joie.

On célébrait la fête du patron de la paroisse.

Les uns essayaient ou prouvaient leur adresse sur unecible ; d’autres lançaient à tour de bras les boules d’un jeude quilles. Les vieillards parcouraient curieusement les groupes etse sentaient rajeunis au milieu de la jeunesse heureuse etépanouie. Les enfants jouaient, criaient, couraient, et sautaientsous les grands arbres. Les mères de famille, réunies en cercle,souriaient à leurs filles, qui se livraient au plaisir de ladanse.

Comme le bonheur rayonnait sur ces charmants et fraisvisages ! Comme elles étaient gracieuses et souriantes, ceschères enfants, appuyées au bras de leurs danseurs ! Sous lesyeux de leurs mères, c’est avec une double joie qu’elles donnaientcette soirée au plaisir.

Madame Blanchard était là, ayant près d’elle Lucile et Rosalie.Les deux cousines regardaient danser les autres. Rosalie paraissaitinquiète, Lucile, roide et froide comme une Anglaise, laissaitéchapper de temps à autre un sourire indécis qu’un observateurpénétrant aurait pu traduire ainsi :

« Ces pauvres gens me font pitié ; ils dansent ouplutôt ils sautent sans grâce, au son d’une musique infernale quidéchire les oreilles. Ils rient niaisement et leurs paroles sontstupides. Ces jeunes filles, mises sans goût, sont d’une gaucherieinouïe, et tous ces lourdauds de paysans sont d’une familiaritérévoltante. »

Deux ou trois fois déjà, on était venu demander les deuxcousines pour le quadrille. Lucile avait déclaré d’un ton secqu’elle ne dansait pas. Rosalie avait répondu :

– Pas encore.

Elle attendait. Oui, elle attendait l’arrivée de GeorgesVilleminot. Et c’est parce que le jeune homme ne paraissait pas,qu’elle était préoccupée et même inquiète.

Les danses se succédaient. Lucile continuait à sourireironiquement et Rosalie à attendre.

Enfin, Georges Villeminot parut sur la pelouse. Il fut aussitôtentouré d’une douzaine de jeunes gens qui lui serrèrent la main. Ilse dirigea ensuite vers madame Blanchard et les jeunes filles pourles saluer.

Rosalie était toute tremblante et ses joues se teintèrent derose. Georges combla son plus grand désir : il l’invita àdanser. Tout en prenant place parmi les danseurs, il s’aperçut del’émotion de la jeune fille. Involontairement, il se tourna du côtéde Lucile et vit son visage ennuyé et son sourire – moqueur ;il ramena son regard sur Rosalie dont le front était radieux.

Pour la première fois, il remarqua que celle-ci n’était pasmoins jolie que sa cousine.

Après le quadrille, il la reconduisit à sa place.

Madame Blanchard et sa fille s’étaient levées et se promenaientà quelque distance.

Georges s’assit près de Rosalie et, pour lui dire quelque chose,il lui fit un compliment sur sa toilette.

Rosalie n’était pas coquette, pourtant elle fut agréablementflattée.

– Si votre compliment s’adressait à ma cousine,répondit-elle, il serait vraiment mérité.

– Mademoiselle Lucile est, en effet, habillée avec beaucoupde goût, reprit Georges ; mais, avec votre charmante robebleue bien simple et ce bouquet d’aubépine dans vos cheveux, jevous trouve infiniment plus jolie que votre cousine.

– Oh ! je ne vous crois pas, monsieur Georges !s’écria-t-elle avec un accent difficile à traduire.

– Ce que je vous dis est pourtant la vérité, Rosalie.

À ce moment, madame Blanchard et Lucile vinrent s’asseoir.

Bientôt la dernière lueur du crépuscule disparut. Ce fut lesignal de la retraite. Les derniers accords des violons expirèrent,et la place, tout à l’heure si animée, devint silencieuse etdéserte.

Le soir, Georges se disait :

– Rosalie est charmante, je suis bien sûr qu’elle aimerabien son mari et qu’elle fera une excellente ménagère. Elle a leregard doux et le sourire gracieux. Sa cousine, au contraire, a leregard froid et le sourire toujours moqueur.

Il est vrai que mademoiselle Lucile est riche, tandis queRosalie. Oui, mais cela m’est égal, à moi. Le produit de ma fermeme permet de me marier à mon gré. Décidément, j’étais aveugle…Rosalie est la femme qui me convient. Comment ne l’ai-je pascompris plus tôt ?

Lucile s’est moquée de moi ; elle a eu mille foisraison !

Le lendemain, en se levant, Georges Villeminot montra à sesvalets de ferme un visage joyeux. Ils le regardèrent avec des yeuxétonnés.

Depuis un an, la bouche de leur maître ne riait plus. Qui doncavait pu produire ce merveilleux changement ?

Cette question, faite par les domestiques d’abord, fut répétéequelques jours après par tous les habitants de Millières.

Mais le qui ? resta sans réponse.

Cette fois, les curieux en furent pour leurs frais. Georgesétait devenu une énigme.

L’époque de la fenaison arriva. Un matin que Rosalie travaillaitdans un pré, elle vit Georges Villeminot venir à elle.

– Depuis la fête du village, ils n’avaient pas échangé uneparole. Chaque fois qu’ils se rencontraient, ils se saluaient, etc’était tout.

Rosalie éprouva donc une vive émotion lorsque le jeune paysans’arrêta devant elle.

– Je suis bien aise de me trouver seul un instant avecvous, Rosalie, dit Georges ; j’ai quelque chose à vousdire.

– À moi, monsieur Georges ?

– Oui. Est-ce que vous ne pensez pas à vous marier,Rosalie ?

La jeune fille secoua la tête.

– Il faudrait pour cela trouver un mari, monsieur Georges,dit-elle.

– Eh bien ?

– Je suis pauvre, personne ne voudrait de moi.

– Rosalie, je crois que vous vous trompez. Vous trouverezsûrement un mari.

– Qui ? je vous le demande.

– Qui ? Moi, si vous le voulez.

– Vous ? Oh ! ce n’est pas bien, monsieurGeorges ; vous voulez vous moquer de moi !

– Non, Rosalie, non. Répondez-moi, voulez-vous m’accepterpour votre mari ?

– Je n’ose vous croire, monsieur Georges.

– Ainsi, vous consentez… Merci, Rosalie, c’est tout ce queje demandais.

Et, sans ajouter une parole, il s’éloigna rapidement.

Le soir du même jour il se présenta chez M. Blanchard.

– Enfin, tu nous reviens donc ! s’écria le vieuxfermier. Sois le bienvenu, Georges. Je commençais à craindre de neplus te revoir chez nous ; mais ta présence me rassure en mêmetemps qu’elle m’annonce que tu es guéri, bien guéri, n’est-cepas ? ajouta-t-il d’une voix qui exprimait un regret.

– Je le suis complètement, monsieur Blanchard, et je vousen apporte une preuve.

– Comment cela ?

– Je viens vous prier de m’accorder la main de mademoiselleRosalie, votre nièce.

– Tu veux épouser Rosalie ?

– Avec votre consentement, monsieur Blanchard.

– Tu es un brave garçon, Georges ! s’écria lefermier ; viens que je t’embrasse.

Georges se précipita dans les bras du vieillard.

– Dieu est juste, reprit le père Blanchard ; la fillede mon frère devait être heureuse.

Il fit appeler Rosalie.

Elle s’approcha tremblante et confuse.

– Voilà ton mari, lui dit le fermier en mettant sa maindans celle de Georges.

Trois semaines après, Rosalie était la femme de GeorgesVilleminot.

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