Les Amours de Village

Chapitre 4

 

Tout en marchant, il se disait :

– Mademoiselle Marguerite Velleroy m’a fait sentir biencruellement le peu que je suis. C’est pour elle que je voulaisdevenir quelque chose, et elle me méprise… Comme tout le monde,elle me traite de fou ! Quand nul ne croit à mon avenir, quandj’ai l’âme triste, le cœur brisé, d’où vient donc que je ne me senspoint découragé, que ma volonté reste la même ? Ah !c’est qu’il y a en moi autre chose que les rêves d’un ambitieuxvulgaire. Pour tous les grands artistes, l’art est un culte ;il sera le mien. Ne pensons plus à mademoiselle Velleroy. D’autresespérances me montrent l’avenir et ses horizonsensoleillés !

Comme il passait devant la petite maison dont nous avons déjàparlé, une voix jeune, fraîche et argentine lui cria :

– Bonsoir, Philippe.

Il s’arrêta brusquement.

– Bonsoir, Adeline, dit-il ; bonsoir, monsieurThériot.

La jeune fille et son père étaient assis devant la maison, àl’ombre, sur un banc de pierre. M. Thériot s’étant levé,Philippe s’avança vers lui. On lui fit une place sur le banc et ils’assit à côté d’Adeline.

Le front de la jeune fille se couvrit d’une rougeur subite. Elleétait vivement émue.

– Nous avons entendu dire que vous alliez quitterCharville, interrogea M. Thériot ; est-ce tout à faitdécidé ?

– Oui, monsieur.

La jeune fille retint un soupir ; mais un nuage detristesse se répandit sur son joli visage.

– Quand partez-vous ?

– Demain, monsieur Thériot.

– Sitôt que cela ! s’écria Adeline.

– Ma foi, mon cher Philippe, reprit M. Thériot, vousfaites bien ; beaucoup d’autres voudraient vous imiter, maisils ont peur. Morbleu on doit être hardi, aujourd’hui ; ilfaut cela pour réussir.

– Ainsi, vous ne me blâmez pas, monsieur Thériot ?

– Mon cher, au lieu de vous blâmer, je vous approuve. Moi,voyez-vous, je ne suis pas de ceux qui croient qu’on est forcé defaire le métier de son père. Chacun a ses instincts, je veux diresa vocation ; est-ce que nous aurions sans cela des avocats,des prêtres, des littérateurs, des maréchaux de France et despeintres ? Peintre, c’est ce que vous serez un jour, j’en suiscertain.

– Je vous remercie de la bonne opinion que vous avez demoi, monsieur Thériot.

– Mon cher Philippe, vous avez quelque chose là, sous lefront ; il y a longtemps que je l’ai dit et répété auximbéciles qui vous raillent et vous dénigrent. Laissez dire etmarchez crânement. Parce qu’on est né dans un village, on n’est pascondamné à ne le quitter jamais. Ceux qui s’en vont ont leuridée ; attendez et vous verrez. Ah çà, est-ce que les villesseules ont le privilège de fournir au pays de grandscitoyens ? Il y a des gens capables et intelligents partout,comme partout il y a des ignorants et des sots. Ils me font rire,vraiment, ceux qui prétendent que si la jeunesse continue à émigrervers les villes, il n’y aura plus assez de bras pour la charrue etla faux. Morbleu ! braves gens, faites que vos fils perdentmoins de temps au cabaret et travaillent davantage ! Quand, àcinq ou six, ils ont acheté tout un village, je les entendsdire : « Nous n’avons plus de manœuvres pour cultiver nosterres. » Pourquoi avez-vous tant acheté ? Le manœuvreveut devenir propriétaire aussi. Du moment qu’il n’a plus cetespoir chez vous, il s’en va ailleurs ! Enfin, mon cherPhilippe, vous avez votre idée et vous partez. Ici, vous n’auriezjamais été un cultivateur, là-bas, vous deviendrez un homme detalent. Pour parvenir, vous le savez aussi bien que moi, il fautpartout deux choses principales : l’honnêteté et letravail.

La jeune fille leva sur Philippe ses grands yeux bleus, danslesquels roulaient deux larmes.

– Quand vous serez à Paris, dit-elle, vous oublierez bienvite vos amis de Charville.

– Oh Adeline, vous ne le pensez pas ! protesta lejeune homme.

– Vous seriez excusable, vous verrez tant de monde.

– Il y a des souvenirs qui ne s’effacent jamais,répondit-il ; par exemple celui des affections de la premièrejeunesse.

– Alors, vous penserez quelquefois à mon père et àmoi ?

– Souvent, ma chère Adeline, toujours, répondit-ilvivement.

Il lui prit la main. Elle baissa les yeux.

– Quant à ça, je connais Philippe, ditM. Thériot ; je sais bien qu’il se souviendra toujours deses amis. Adeline prétendait que vous ne viendriez pas nous direadieu. Vingt fois dans la journée elle m’a répété :« Père, Philippe ne viendra pas. » Moi, je luirépondais : – Ne te tourmente pas, notre ami Philippe nemanquera pas, avant de partir, de venir serrer la main du papaThériot et embrasser sa petite amie Adeline. C’est que nous vousaimons beaucoup, mon cher Philippe, dit M. Thériot avecémotion ; ma fille n’a pas oublié qu’autrefois, quand elleétait toute petite et allait à l’école, vous la mettiez sur votredos, les jours de mauvais temps, pour qu’elle ne mouille pas sespetits pieds dans la boue et les ruisseaux. En ce temps-là, j’étaissouvent en voyage, et ma chère mignonne avait perdu sa pauvre mère.En me rappelant cela tantôt, elle n’a pu retenir ses larmes… Lesouvenir de sa mère !

– Je venais aussi de perdre la mienne, monsieurThériot ; j’avais déjà onze ans, et ma douleur me faisaitmieux comprendre celle des autres.

– Nous ne nous reverrons probablement pas demain, repritM. Thériot en prenant la main du jeune homme. Allons, mon cherPhilippe, au revoir et bonne chance.

– Me permettez-vous d’embrasser Adeline, monsieurThériot ?

– Certainement, sur les deux joues.

Adeline, un peu confuse, mais heureuse, tendit ses deux joues aujeune homme.

Ensuite, elle entra dans la maison et revint bientôt, tenant àla main un petit bouquet de violettes blanches.

– Philippe, dit-elle, voulez-vous accepter ces fleurs quej’ai cueillies tout à l’heure dans notre jardin ?

– De tout mon cœur, Adeline.

– Vous, les emporterez à Paris, ce sera un souvenir denous. Malheureusement, elles seront vite flétries.

– N’importe, je les conserverai toujours.

M. Thériot tendit de nouveau sa main au jeune homme, et ilsse séparèrent.

Le lendemain, au petit jour, Philippe Varinot s’éloignait deCharville pour aller attendre, à deux lieues de là, le passage dela diligence de Paris.

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