Les Amours de Village

Chapitre 5

 

Bertrand, avec l’aide d’un garçon de ferme intelligent, pouvaitencore conduire ses travaux pendant longtemps. François quitta sonpère pour se mettre à la tête de la ferme du fermier Richard, quilui en céda la direction avec joie. Sa fille mariée selon ses vœux,il ne désirait plus qu’un bon fauteuil au coin du feu, sa bouteilleprès de lui et un ou deux marmots à faire sauter sur sesgenoux.

François partageait son temps entre son travail aux champs et safemme, qu’il aimait avec la passion d’un premier et uniqueamour.

Clarisse était bonne et prévenante pour lui. Il ne lui demandaitpas autre chose. C’était là tout le bonheur qu’il avait rêvé.

Dans les premiers temps qui suivirent son mariage, Clarisseessaya franchement d’aimer son mari. Elle chercha à lui donner toutce qu’il y avait d’affection libre dans son cœur.

Les soins qu’elle dut apporter dans l’arrangement du nouveauménage, lui donnèrent pendant quelques jours une activité quil’absorba complètement. Le souvenir de Prosper se présentait plusrarement à sa pensée, elle espéra qu’elle cesserait de l’aimer.Mais son amour avait été trop grand et trop bien maître de son cœurpour ne pas y vivre longtemps.

Insensiblement, un ennui invincible s’empara d’elle. Souventelle se surprenait à rêver, et comme si on l’eût réveilléesubitement, elle tressaillait. Elle aimait à revenir à ses bellesannées de jeune fille, alors qu’elle était libre et heureuse.Malgré l’amour, que lui prodiguait son mari et l’affection dévouéedont il l’entourait, elle ne se trouva point satisfaite : toutsemblait triste autour d’elle, quelque chose manquait à soncœur.

Elle pensa de nouveau à Prosper, et son amour, un instantcomprimé, revint plus vif et plus violent. L’état de son cœurl’effraya. Elle voulut puiser dans l’amour de son mari la force quilui manquait pour éloigner Prosper de son esprit. Elle chercha àl’entourer des qualités et des charmes extérieurs qu’elle admiraitdans son cousin, et elle crut aimer un instant ce fantôme del’illusion ; mais le rêve dura peu. Alors, découragée, sansforce et brisée par la lutte, elle se laissa dominer par son amouret regretta le bonheur qui lui avait échappé. Son visage s’altéra,ses fraîches couleurs disparurent, ses joues se creusèrent :tristes effets des tortures de l’âme.

François s’alarma sérieusement du changement de sa femme, ilemploya tout ce que put lui suggérer son affection sans bornes pourchasser cette tristesse.

À chaque question qu’il lui adressait sur sa santé, Clarisserépondait invariablement :

– Je ne souffre pas.

Souvent François insistait.

– Pourquoi es-tu si triste ? lui disait-il.

– Je n’en sais rien, répondait-elle.

Et c’était tout. Plus d’une fois il la surprit, essuyantfurtivement une larme.

– Pourquoi pleures-tu ? lui demanda-t-il un jour.

– Je ne pleure pas, répondit Clarisse.

Après cette réponse, il n’osa plus l’interroger.

– Elle a un secret pour moi, se dit-il.

Pour le découvrir, il chercha l’impossible. Il alla jusqu’à sedemander s’il était aimé. Mais la conduite de Clarisse n’ayant paschangé à son égard, il aima mieux croire que douter.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer