Les Amours de Village

Chapitre 1

 

L’habitation se détache des autres maisons du village, elle estpetite, mais propre ; sa façade est blanchie à la chaux etelle a des volets verts. Son jardin est entouré d’une haie decharmes. À l’un de ses murs, exposé au levant et garni de lattes,grimpe une treille bien nourrie et en plein rapport. La maison semire coquettement, ainsi que deux noyers centenaires qui ombragentson toit de tuiles, dans une petite rivière, dont les géographesont eu le tort de ne jamais parler, et qu’on nomme la Varveine.

Il y a quelques années déjà, ces lieux étaient égayés par lajoie naïve d’une jolie blonde de seize ans ; elle s’appelaitMarcelle. Mais dans le village on ne la nommait jamais autrementque Mignonnette, surnom qu’elle devait à sa nature délicate. Frêlepetite fleur des champs, un choc un peu violent pouvait labriser.

Elle était excessivement sensible, la moindre contrariétéagissait fortement sur ses nerfs et lui causait des souffrancescruelles. Sa mère l’entourait de soins attentifs, et Marcelle,confiante dans cette affection protectrice, s’épanouissaitdoucement au soleil de l’amour maternel ; le sourire dubonheur fleurissait sur ses lèvres.

Moriset, le père de Marcelle, exerçait dans le pays, depuis unequinzaine d’années, une industrie qu’il s’était créée, et grâce àlaquelle il avait acquis une certaine aisance.

Avec une voiture d’une forme assez bizarre, dont il avaitlui-même conçu l’idée, et deux chevaux qu’il remplaçait tous lesans pour cause de vieillesse, Moriset avait entrepris le transportdes marchandises et des voyageurs, de son village et des autreslocalités qui se trouvaient sur la route, au chef-lieu dudépartement et vice versa. Tous les jours, à quatre heuresdu matin, hiver comme été, Moriset se mettait en route ettraversait au petit trot la grande rue du village, les claquementsde son fouet et le bruit des grelots attachés aux colliers de seschevaux étaient le réveille-matin des habitants de Doncourt.

Le soir, au retour, il comptait le gain de sa journée qu’ilenfermait soigneusement dans un sac de cuir, et lorsqu’une ventepublique avait lieu dans le village, il achetait soit une pièce deterre, soit un pré qu’il payait toujours comptant.

La plupart des petites fortunes à la campagne se compose debiens-fonds. Chaque propriétaire sait parfaitement ce que possèdentses voisins, si toutefois les propriétés ne sont pas grevéesd’hypothèques, ce qui, malheureusement, n’est pas rare.

Mais monsieur Moriset ne se trouvait point dans ce cas ; ilne devait rien à personne. Aussi, sa fille était-elle le point demire de tous les pères ayant un fils à marier.

– Ce diable de Moriset s’enrichit tous les jours,répétait-on partout, encore quelques années, au train dont il y va,et sa fille sera un des riches partis du pays.

Marcelle, nous l’avons dit, ne manquait pas deprétendants ; si les parents voyaient une bonne affaire dansle mariage de la jeune fille avec leurs fils, ceux-ci, laissant decôté toute question d’intérêt, se seraient trouvés heureux de fixerson attention.

Tous les soirs, dans la belle saison, madame Moriset et sa fillevenaient s’asseoir sous les noyers pour y attendre l’arrivée dumessager. Quelques jeunes paysannes s’y rendaient aussi pour causeravec Marcelle, et les jeunes gens, au retour des champs, s’yreposaient de leurs fatigues. Tous désiraient plaire à Marcelle.Chacun faisait valoir ses qualités personnelles en étalant avec lacoquetterie et la fatuité paysannes, l’un, ses larges épaulescarrées, l’autre, ses longs cheveux bouclés ; celui-ci, encaressant sa moustache naissante, et celui-là, en donnant à sonregard une expression de tendresse comique.

Les mères ne restaient pas en arrière dans cette espèce de siègeouvert autour de la jeune héritière.

– Notre Philippe, disait l’une, c’est un cheval à labesogne, il est toujours le premier et le dernier au travail. Jecrois, madame Moriset, que votre Mignonnette serait heureuse aveclui.

– Vous allez bientôt marier votre fille, madame Moriset,insinuait une autre, les épouseurs ne lui manquent pas ; maismon garçon lui convient mieux qu’un autre. Son père se fait vieux,il va lui laisser la charrue un de ces matins, et Mignonnetteserait, en se mariant, maîtresse de maison.

– Mignonnette, disait la femme de l’épicier, est trop bienélevée et trop délicate pour épouser un fermier ; ses joliesmains ne sont pas faites pour se durcir au travail deschamps ; elle serait bien mieux dans le commerce, et mon filsest le seul parti convenable pour elle à Doncourt.

À ces diverses ouvertures, répétées souvent et accompagnées demouvements de tête, de clignements d’yeux et de câlineries, madameMoriset répondait :

– Marcelle est bien jeune ; elle ne pense pas encore àse marier ; du reste, nous ne la contrarierons point ;nous la laissons libre de se choisir un mari.

Madame Moriset disait vrai : Marcelle n’aimait pasencore : elle avait conservé l’insouciance et la naïveté deses jeunes années.

Aucun des garçons du village ne pouvait se flatter d’avoir étéou d’être pour Marcelle l’objet d’une préférence marquée ;elle avait pour tous le même regard bienveillant, les mêmesmanières exemptes de coquetterie, le même sourire gracieux ;cependant, l’un d’eux avait peut-être plus que les autres l’espoird’être aimé. Sa mère, femme d’un bravo journalier nommé Thiéry,était l’amie d’enfance de madame Moriset. Elle occupait une petitemaison située à peu de distance de l’habitation Moriset, quipermettait aux deux mères de se voir souvent. Malgré l’inégalité deleurs positions, leur affection était restée la même. Deux jourspar semaine la femme Thiéry allait chez madame Moriset quil’employait à réparer le linge, à faire ses robes et les blouses deson mari, à teiller et à filer le chanvre. Elle amenait avec elleson petit Jules pour jouer avec Marcelle. Les deux enfants,habitués à se voir, n’étaient heureux qu’ensemble. Jules, plus âgéque Marcelle de quelques années, l’appelait sa petite femme ;Marcelle le nommait son petit mari au grand contentement des deuxmères, qui faisaient déjà de beaux projets pour l’avenir. La penséede marier un jour leurs enfants était venue en même temps à madameMoriset et à la mère Thiéry, et toutes deux attendaientimpatiemment l’époque où elles pourraient réaliser ce projet quirendrait encore plus intime leur vieille amitié.

L’affection des deux enfants s’était modifiée en grandissant.Ils s’appelèrent d’abord Jules et Marcelle tout court ; plustard, ils ajoutèrent à leurs noms les titres de monsieur etmademoiselle. Pour Marcelle, Jules était toujours le jeune hommequi avait partagé ses jeux, l’ami d’enfance, et rien de plus,Jules, au contraire, avait longtemps aimé Marcelle comme unesœur ; puis un jour, il s’aperçut qu’il l’aimaitautrement ; il comprit que son existence était étroitementunie à celle de la jeune fille.

Marcelle aimait les fleurs. Un jour, Jules lui apporta un rosierrare et couvert de boutons sur le point de fleurir ; ill’avait acheté pour elle à la ville. Un charmant sourire leremercia. Il était heureux.

L’arbuste mis dans un pot de terre fut placé par Marcelle aubord de sa fenêtre. Deux fois par jour elle l’arrosait. Une heureaprès le retour du soleil, Marcelle en se levant venait admirer sesroses épanouies. Jules passait en ce moment ; il lui disaitbonjour. Marcelle souriait ; puis, cachant sa tête blondeparmi les fleurs dont elle aspirait le parfum, elle semblait luidire : Je pense à toi ! Jules s’éloignait content.

L’heure de la conscription sonna pour Jules. Au jour fixé pourle tirage, le sort trompa l’espérance de madame Thiéry. Son filsétait soldat. Au moment du départ, en présence de ses parentsdésespérés et de madame Moriset qui pleurait, il dit à Marcelle enl’embrassant :

– Je pars, Marcelle ; mais je reviendrai si vous mepromettez de m’attendre.

– Je vous attendrai, répondit la jeune fille. Jules essuyases larmes, et un sourire heureux se dessina sur ses lèvres.

– Conservez avec soin notre rosier, reprit-il ; ilvous fera songer à moi. Oh ! tant qu’il vivra, aussi longtempsque les roses fleuriront, vous ne m’oublierez pas, j’en suissûr.

– Chaque matin je l’arroserai, dit Marcelle ; sesfleurs me parleront de vous.

Et elle tendit sa petite main blanche au jeune homme.

Jules la pressa doucement ; il embrassa madame Moriset,serra sa mère dans ses bras et partit.

Adieu ! adieu ! adieu ! lui crièrent encore lestrois femmes et son vieux père.

– Au revoir, chers parents ! à bientôt, Marcelle,répondit Jules.

Un instant après, il était déjà loin.

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