Les Amours de Village

Chapitre 4

 

Justin vécut vingt ans avec sa troisième femme. Il avait déjàmarié ses deux fils aînés qu’il avait eus de sa seconde femme. Illui restait à établir, de la troisième, deux filles et un garçon,ce qu’il fit en l’espace de douze ans. Alors, comme il était richeencore, malgré les belles dots données à ses enfants, il pensaitqu’il allait avoir une belle vieillesse.

Bien qu’il eût soixante-quinze ans et que ses cheveux fussentdevenus tout blancs, il y avait encore en lui tant de force et deverdeur qu’il ne sentait pas le poids des années.

– Je passerai la centaine, dit-il à ses enfants réunis, lejour où il maria sa dernière fille.

Or, comme le vieillard n’avait plus rien à faire et qu’ils’ennuyait, il voulut se mêler des affaires de ses enfants. C’étaitun peu son droit.

Mais ils le traitèrent de vieux radoteur, de vieux fou, et ilsne se génèrent point pour le froisser et l’humilier.

Se voyant repoussé, abandonné, seul, le bonhomme songea àJustine.

Un jour, sans rien dire à personne, son portefeuille bien garni,il partit pour Paris.

Il avait quatre-vingts ans.

Justine était veuve depuis longtemps. Ses enfants étaient tousmorts. Elle n’avait guère connu à Paris que la misère. Malgré songrand âge, elle travaillait encore pour vivre.

Elle remettait à neuf, tant bien que mal, de vieux pantalons etde vieux paletots. Elle avait recruté sa clientèle parmi les petitsemployés de commerce, les artistes de seizième ordre et les cochersde fiacre.

En revoyant Justin elle faillit s’évanouir. Il la serra dans sesbras.

Pendant un quart d’heure ils pleurèrent de joie.

– Tu t’es donc souvenu de moi ? lui dit-elle.

– Tu le vois bien, puisque me voici.

– C’est bien aimable à toi d’être venu me voir.

– Je viens pour t’épouser.

Elle se mit à rire comme une folle.

Lui était très sérieux.

– Il faut que nous soyons heureux, reprit-il gravement.

– Voyons, Justin, tu ne plaisantes pas ?

– Regarde, répondit-il en ouvrant son portefeuille, voilàtous les papiers dont j’ai besoin, et puis vingt mille francs enbillets de banque.

Les yeux éteints de Justine s’animèrent subitement etétincelèrent à travers les verres de ses lunettes.

– Et cet argent est pour moi ? demanda-t-elle.

– Oui.

– Tu me le donneras par contrat ?

– Non, je le mettrai dans ta main le lendemain dumariage.

– Je préférerais que tu me le donnasses par contrat. Enfin,n’importe, allons à la mairie.

Le lendemain du mariage, Justine demanda les vingt millefrancs.

Après avoir réfléchi, sans doute, Justin avait changéd’idée ; il refusa de se dessaisir. C’était manquer à sapromesse et, à l’égard de Justine, une marque de défiance.

La querelle commença par un échange de mots aigres-doux. Justinereprocha à son mari de l’avoir trompée. Des reproches on passa auxparoles violentes, aux invectives. Justine ne possédait plus cettevertu qu’on nomme la patience ; elle ne se souvint plus dutemps où elle posait des couronnes de bluets sur la tête de Justin.Elle se laissa emporter par la colère et marqua ses vieux onglessur le visage du quadragénaire.

Justin oublia à son tour le temps où Justine le charmait par sagaieté et ses chansons : il saisit un bâton et le fit jouersur la tête et les épaules de sa Justine.

Les voisins épouvantés coururent chercher les sergents deville.

Ceux-ci arrivèrent et conduisirent les époux devant lecommissaire de police.

Un mois après, le tribunal prononçait la séparation decorps.

Son jugement est la morale de cette véridique histoire.

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