Les Amours de Village

Chapitre 3

 

Trois jours se sont écoulés. Philippe Varinot est prêt à partirpour Paris. C’est bien décidé, le lendemain il doit dire adieu àson vieux père. Celui-ci n’a pu résister ; la confiance de sonfils l’a ému et il s’est laissé convaincre. Il lui semble aussi quel’avenir est plein de promesses.

Fort de son courage, le jeune homme ne redoute rien, pas mêmel’inconnu, cette chose terrible qui arrête souvent les plus hardis.Pour le moment, il n’a que ses illusions, elles lui suffisent. Lesillusions sont, comme l’espoir, une partie du bonheur, elles aidentà vivre. Que de gens elles ont soutenus au milieu des luttes de lavie ! Que de gens elles ont sauvés du désespoir !

La pensée de Philippe Varinot s’élançait vers un monde nouveau,il voulait suivre sa pensée. Allait-il courir à la conquête d’unechimère ! Non. Il voyait les obstacles se briser devant lui etses efforts couronnés par le succès. Il avait rêvé de se faire unnom dans les arts ; à force de travail, il voulait se frayerun chemin à travers les épines et les ronces qui défendent l’entréedu temple de la gloire.

Alors, ce nom, cette gloire acquise en combattant, et la fortunequi vient après, il voulait mettre tout cela aux pieds demademoiselle Marguerite Velleroy.

Marguerite était le mobile de son ambition. Entre elle et lui,il y avait inégalité de fortune et d’éducation Marguerite était unedemoiselle élégante, pleine de distinction et d’un grand air ;lui, un pauvre paysan, à peine dégrossi par les leçons du maîtred’école. Il s’agissait de rapprocher les distances qui lesséparaient, La tâche était ardue, mais non impossible. Philippel’avait pensé. Avec sa nature ardente, sa volonté puissante, ilsentait assez de force en lui pour ne pas s’arrêter en chemin.

– Oui, se disait-il, je veux me rendre digne d’elle, ilfaut que je m’élève assez haut pour la mériter.

Marguerite était fille unique. M. Velleroy, un ancien avouéde Paris, retiré des affaires, possédait une belle fortune. Depuisdeux ans, il était devenu le propriétaire du château de Charville,qu’il habitait une partie de l’année.

Philippe Varinot avait souvent rencontré la jolieMarguerite ; la curiosité le fit même admettre auchâteau : on avait voulu voir ses dessins. Il s’empressa desaisir l’occasion qui lui était offerte de causer avec mademoiselleVelleroy. Depuis un an il l’aimait. Et il n’avait point songé,quand il en était temps encore, à se mettre en garde contre cesentiment qui devait lui faire éprouver une grande déception.

Tout le monde au village savait que Philippe Varinot allaittenter de faire fortune à Paris. Les uns blâmaient le père, lesautres se moquaient du fils ; mais il y avait unanimité pourdire que M. Philippe, n’ayant jamais rien fait de bon dans lepays, ne réussirait pas à faire mieux à Paris.

Heureusement, les bonnes gens de Charville ne connaissaient pastoutes les ambitions du jeune homme ; certes, s’ils eussentsoupçonné qu’il avait la pensée de demander un jour en mariagemademoiselle Marguerite Velleroy, la méchanceté aurait eu beau jeu.Les rieurs n’eussent pas eu assez de sarcasmes pour le punir d’uneaussi ridicule prétention.

Mais ce que les habitants de Charville ignoraient, Margueritel’avait deviné. Philippe ne fut pas assez maître de lui pour cacherà la jeune fille le trouble et l’admiration qu’elle faisait naîtreen lui. Son émotion, ses regards, sa voix tremblante lorsqu’il luiadressait la parole, l’avaient trahi.

À la suite de cette découverte, mademoiselle Velleroy rit,tellement la chose lui parut surprenante ; mais elle étaitcoquette, elle aimait un peu trop qu’on rendit hommage à sabeauté ; elle ne se montra point indignée, elle fut mêmeindulgente. Sans le vouloir, sans doute, par son indulgence même,elle encouragea le jeune paysan à poursuivre son rêve.

Dans la journée, Philippe Varinot s’habilla et se rendit auchâteau. Il voulait saluer M. Velleroy avant son départ etvoir une dernière fois mademoiselle Marguerite. Mais ce n’était passeulement une visite de politesse qu’il allait faire. Il avaitrassemblé toutes ses forces pour faire à Marguerite un aveu qui,jusqu’alors, était toujours resté sur ses lèvres. Il désirait, ilespérait obtenir un mot d’espoir, une promesse.

M. Velleroy était sorti, mademoiselle Marguerite faisait untour de promenade dans le parc.

Philippe hésita un instant, se demandant s’il devait attendreleur retour au château. Mais il était trop impatient pour cela. Ildescendit dans le parc, afin d’aller à la rencontre de la jeunefille. Il prit une large allée ombragée de charmes aux branchesentrelacées et taillées en berceau.

L’air était imprégné des parfums des chèvrefeuilles, desacacias, des sureaux et des jasmins, auxquels se mêlaient lesodeurs pénétrantes de la fenaison.

Les grives et les merles couraient à travers les taillis, et lesoiseaux chanteurs, cachés dans les feuillages, envoyaient à Dieu,comme une action de grâce, les trilles harmonieux de leurs plusjoyeuses chansons.

Au bout d’un instant, le jeune paysan aperçut Margueritemarchant dans une allée qui se croisait avec celle dans laquelle ilse trouvait. La jeune fille n’était pas seule. Elle donnait le brasà un grand jeune homme très élégant, que Philippe ne connaissaitpoint Il éprouva une vive contrariété, et par un sentimentirréfléchi de timidité ou de crainte, il s’élança hors de l’alléeet se cacha derrière un bouquet d’arbustes.

Marguerite et son compagnon vinrent s’asseoir sur un banc àquelques pas de lui. Ils paraissaient de fort joyeuse humeur, carils riaient tous les deux.

– Ce que vous venez de me dire, ma chère cousine, dit lejeune homme élégant, est tout à fait une pastorale à la manière deM. de Florian.

– Moins Estelle, cependant, répondit Marguerite.

– Certainement ; nous ne sommes plus au bon vieuxtemps on les princesses épousaient les bergers. Et quel âge a-t-il,ce jeune pastoureau ?

– Vingt-deux ans, je crois.

– L’âge d’un héros d’idylle, avec de grosses jouesbouffies, bien rouges, et d’énormes mains dures, rouges aussi,reprit le jeune homme en riant.

– Vous vous trompez, mon cher cousin, il ne ressemblenullement à votre portrait : il a le visage pâle, il porte sescheveux longs tombant sur le cou, à la mode bretonne, et le travailde la terre n’a jamais durci ses mains ; je puis même ajouterqu’il ne manque pas d’une certaine distinction.

– Mais alors, ce n’est pas un paysan ?

– Ce n’est pas non plus un prince déguisé ; nous nesommes plus au bon vieux temps dont vous parliez tout àl’heure.

– Expliquez-moi cette énigme.

– Mon pastoureau, comme vous l’appelez, se croit un êtreprivilégié ; le métier de son père lui répugne ; il a dugoût pour le dessin, il crayonne même assez bien ce qu’il a sousles yeux, et il s’imagine qu’il est artiste. J’ai appris ce matinqu’il se disposait à partir pour Paris, où il pense devenir unpeintre célèbre.

– Je comprends, c’est un fou !

– C’est ce qu’on dit à Charville.

– Et vous, ma cousine, est-ce votre opinion ?

– Je ne puis pas en avoir une autre.

– Qui dit artiste, dit aussi poète, reprit le jeunehomme ; ne vous a-t-il pas adressé quelque madrigal ?

– Y pensez-vous, mon cousin ? s’écria Marguerite avecun geste de dignité froissée ; croyez-vous que je lui auraispermis de prendre vis-à-vis de moi une liberté aussiinconvenante ? Certes, je l’eusse bien vite renvoyé à sesmoutons.

– C’est égal, l’aventure est fort drôle et mérite d’êtreracontée.

– À vos amis, n’est-ce pas ? pour me rendreridicule.

– Oh ! rassurez-vous, je ne dirai rien.

– Ce serait peu généreux, et je ne vous le pardonneraispas.

– Et comment se nomme-t-il, ce nouveau Némorin ?

– Philippe Varinot.

– Philippe Varinot, répéta le cousin, je voudrais bien voirce garçon-là.

Il avait à peine achevé ces paroles lorsque Philippe, bondissantau milieu de l’allée, se dressa devant lui, blême de colère, leregard plein d’éclairs.

Le jeune paysan avait tout entendu.

Marguerite laissa échapper un cri d’effroi et cacha sa tête dansses mains.

– Vous désirez voir Philippe Varinot, dit celui-ci d’unevoix éclatante ; il est devant vous, regardez-le.

Le cousin, aussi effrayé que la jeune fille, ne trouva pas unmot pour répondre.

– Mademoiselle, reprit Philippe en se tournant versmademoiselle Velleroy, c’est bien involontairement que j’ai surprisvos paroles ; mais je remercie le hasard qui m’a faitconnaître votre pensée. Vous avez raison, mademoiselle, je suis uninsensé, un pauvre fou… Peut-être n’auriez-vous pas dû le dire sihaut ; c’eût été généreux et plus digne de vous. Je ne vousfais pas de reproche ; je dois, au contraire, vous remercierde m’avoir ouvert les yeux. La leçon est un peu dure ; maisj’espère pouvoir en profiter. Permettez-moi pourtant de vous dire,mademoiselle, continua-t-il, en vous renouvelant l’assurance de monprofond respect, que je ne croyais pas vous avoir autorisée, par maconduite, à me couvrir de ridicule. Votre dignité, il me semble,n’est pas assez soucieuse de celle des autres. En quittantCharville demain, j’aurai une illusion de moins, mais ce n’estpoint la perte de mes espérances. Maintenant, mademoiselle, je vousdis adieu, adieu !

Il s’éloigna rapidement et sortit du parc. Une douleur inconnuelui brisait le cœur.

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