Les Amours de Village

Chapitre 4

 

Dès le lendemain du sinistre une collecte fut faite dans lacommune, et pas un ménage ne manqua d’apporter son offrande. Enoutre, les principaux propriétaires s’entendirent entre eux etenvoyèrent à la fermière du linge et autres objets de premièrenécessité en assez grande quantité. Enfin, tous les dons réunis,les pertes causées par le feu se trouvèrent presque entièrementréparées.

La première sortie de la fermière et de sa fille, lorsqu’ellesfurent à peu près remises de toutes leurs émotions, fut consacrée àune visite chez le père d’André.

Après avoir remercié Dieu, qui les avait prises en pitié, ilétait bien naturel qu’elles songeassent à témoigner leur vivegratitude au jeune homme courageux qui leur avait rendu, enrisquant sa vie, à l’une son mari, à l’autre son père.

André, que la fièvre retenait forcément dans son lit, lesaccueillit cependant avec gaieté.

– Il prend son mal en patience, dit le père Jubelin auxvisiteuses ; la fièvre l’a beaucoup affaibli. Ah ! dame,le feu ne l’a pas épargné.

– Vous devez horriblement souffrir, monsieur André ?dit la fermière.

– Presque plus maintenant, madame, répondit le jeunehomme.

– Ne le croyez pas, répliqua le père, il souffre, aucontraire, comme un damné de l’enfer… Mais mon garçon n’est pas unepoule mouillée, un douillet, il aimerait mieux mourir plutôt que dese plaindre. Il a toujours eu l’air souriant que vous lui voyez, lemal n’a pu lui enlever sa gaieté ; il cause, il rit, je croismême qu’il lui prend parfois des envies de chanter ; je l’airarement vu d’aussi belle humeur… On comprend cela, le contentementde soi-même, le bonheur d’avoir sauvé la vie à un honnêtehomme ! André a un grand cœur ; il est bon, il est brave,prêt à se jeter dans le feu pour quelqu’un ; – il l’asuffisamment prouvé – je ne crains pas de le dire bien haut, Andréest mon orgueil, oui, je suis fier de mon fils !

– Et jamais orgueil et fierté n’ont été plus légitimes,monsieur Jubelin.

– Que voulez-vous ? chacun de nous a sesfaiblesses ; aimer ses enfants est si naturel !…

– Oh ! oui, et même les aimer trop, monsieur Jubelin.Ah ! ils ne savent jamais tous les chagrins et toutes lesjoies qu’ils causent à leurs parents !

– En revanche, ils n’ignorent pas qu’ils peuvent toujourscompter sur notre affection.

Le père Jubelin eut un de ces bons sourires qui n’appartiennentqu’aux pères.

– Voilà déjà huit jours que M. André est alité, repritla fermière ; le médecin croit-il pouvoir le guérirvite ?

– Ce sera long. Et puis, tout le mal n’est pas là,malheureusement.

– Que voulez-vous dire, monsieur Jubelin ?

– Demandez-le à André.

La fermière se tourna vers le jeune homme.

– Le docteur, dit-il en souriant, prétend qu’il me resterasur la figure une marque qui se gardera bien de l’embellir.

Marie poussa un gémissement et ne put retenir ses larmes.

– Monsieur André, reprit la fermière, le médecin se trompepeut-être ; il faut espérer que cela ne sera pas.

– J’espérerais d’autant plus volontiers, répondit le jeunehomme, si l’espoir m’était permis, qu’il est peu réjouissant d’êtrelaid, affreux peut-être et de montrer à tout le monde une jouebrûlée.

– Et c’est pour nous, pour nous… Oh ! monsieur André…murmura la fermière.

Elle prit la main du jeune homme et la serra doucement dans lessiennes.

Marie pleurait silencieusement, le visage voilé de sesmains.

Comment pourrions-nous rendre tout ce qui se passait en elle àcet instant ?

Ainsi, André, pour s’être dévoué, pour lui avoir conservé sonpère en l’arrachant à une mort épouvantable, André devait resterdéfiguré ! Elle ne croyait pas qu’elle pût avoir assezd’admiration pour lui. Si elle l’eût osé, elle serait tombée àgenoux devant son lit et lui aurait dit :

« André, vous êtes mon frère ; André, je vous admire,je vous aime !… »

Il lui semblait que sa place, à elle, était au chevet du blessé,qu’à elle seule appartenait le droit de veiller sur lui, de voirses souffrances, de l’encourager, de le consoler, de lui donner dessoins.

André regarda la mère et la fille, puis s’adressant à sonpère :

– Vois, lui dit-il, en montrant Marie et sa mère, etdis-moi si j’ai le droit de me plaindre.

Du revers de sa main le vieillard essuya une larme.

Un instant après, lorsque André se retrouva seul avec son père,il lui dit :

– La visite de madame Michelin et de sa fille m’a faitplaisir.

– Elles te devaient bien cela ; je les attendais.

– Avez-vous remarqué comme elles étaient émues ?

– Parfaitement. Marie pleurait.

– C’est une bien charmante jeune fille, mon père.

– Elle est, ma foi, aussi jolie que ta fiancée. Le jeunehomme sourit.

– La femme aimée, dit-il, est toujours la plus belle parmitoutes les autres.

– Du vivant de ta pauvre mère, j’ai toujours penséainsi.

– C’est égal, reprit le jeune homme après un moment desilence, Huguette ne vient pas me voir souvent. Elle est venue avecsa mère, le lendemain de l’incendie, et depuis nous ne l’avons plusrevue.

Huguette ne peut pas être toujours près de toi ; pour unejeune fille ce serait peu convenable. Attends que tu sois guéri…Bientôt nous ferons la noce.

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