Sir Nigel

Chapitre 6LADY ERMYNTRUDE OUVRE LE COFFRE DE FER

Ce fut comme dans un rêve que Nigel entenditces paroles prodigieuses et incroyables. Ce fut comme dans un rêvequ’il vit un abbé souriant et conciliant, un procureur obséquieuxet un groupe d’archers qui leur ouvrirent le chemin, à lui-même etau messager du roi, au travers de la foule qui obstruait la portede la salle du chapitre. L’instant d’après, il marchait à côté deChandos, dans le cloître paisible, et devant lui, au-delà de lagrande porte, s’étendait la large route jaune, bordée de vertspâturages. L’air printanier qui embaumait l’atmosphère n’en étaitque plus doux et plus parfumé, après celui, glacial, du déshonneuret de la captivité, qui venait de refroidir un cœur si ardent. Àpeine avait-il franchi le portail, qu’il se sentit tiré par lamanche. Ayant tourné le regard, il vit l’honnête visage brun et lesyeux couleur noisette de l’archer qui avait pris son parti.

– Alors, jeune seigneur, fit Aylward,qu’avez-vous à dire ?

– Et que pourrais-je vous dire, mon bonami, sinon vous remercier du fond du cœur ? Par saint Paul,eussiez-vous été mon frère de sang que vous ne m’auriez pas défenduavec plus d’énergie.

– Non, cela ne suffit point.

Nigel, vexé, rougit, d’autant plus queChandos, l’œil critique, écoutait leur conversation.

– Si vous avez entendu ce qui a été ditau tribunal, dit-il, vous devez savoir que je ne jouis point en cemoment des biens de ce monde. La peste noire et les moines ont pesélourdement sur mes terres. C’est avec plaisir que je vous donneraisune poignée d’or pour le service que vous m’avez témoigné, si c’estce que vous cherchez. Mais je n’en ai point, et je vous répètequ’il vous faudra vous satisfaire de mes remerciements.

– Votre or ne m’intéresse point, réponditAylward, d’un ton bref. De plus, vous n’achèteriez point maloyauté, même en remplissant ma besace de nobles à la rose, si jene vous estimais point un homme. Mais je vous ai vu monter lecheval jaune, je vous ai vu faire front à l’abbé de Waverley, etvous êtes le maître que j’aimerais servir, si vous avez une placepour un homme comme moi. J’ai vu vos suivants et je ne doute pointqu’ils furent de vaillants compagnons du temps de votre grand-père.Mais lequel d’entre eux pourrait encore tendre la corde d’unarc ? Pour vous, j’ai renoncé au service de l’abbé deWaverley. Où pourrais-je trouver un autre poste maintenant ?Si je reste ici, je ne pourrai plus rien faire.

– Voyons, il n’y a point là dedifficultés, intervint Chandos. Parbleu, un archer audacieux,bruyant et crâneur vaut son pesant d’or dans les marches de France.J’en ai deux cents pareils qui me suivent et je ne demanderais pasmieux que de vous voir parmi eux.

– Je vous remercie pour votre offre,noble seigneur, répondit Aylward, et je préférerais votre bannièreà n’importe quelle autre car il est bien connu qu’elle va toujoursde l’avant : j’ai assez entendu parler des guerres pour savoirqu’il ne reste plus grand-chose à piller pour ceux qui demeurent enarrière. Cependant si le squire veut de moi, je préféreraiscombattre sous les roses de Loring car, bien que je sois né dans lacenturie d’Eastbourne, canton de Chichester, j’ai grandi et apprisà manier l’arc dans ces terres et, en tant que fils libre d’unhomme libre, je préférerais servir monseigneur plutôt qu’unétranger.

– Mon bon ami, répondit Nigel, je vous aidéjà dit que je ne pourrais en aucune façon vous récompenser pourle service que vous m’avez rendu.

– Si vous acceptez simplement dem’emmener à la guerre, je me chargerai moi-même de ma récompense.En attendant, je ne demande qu’un coin à votre table et une toisede votre plancher, car il est bien certain que la seule récompenseque j’aurai de l’abbé pour mon exploit de ce jour, ce sera le fouetpour mes reins et le tabouret pour mes pieds. Samkin Aylward estvotre homme, squire Nigel, à partir de cette heure et, sur les osde mes doigts, que le diable m’emporte s’il doit vous arriver de leregretter !

Ce disant, il porta la main à son casqued’acier en guise de salut, rejeta son grand arc jaune sur le dos etsuivit son nouveau maître à quelques pas.

– Pardieu, j’arrive à la bonne heure,s’exclama Chandos. Venant de Windsor, je me suis rendu directementà votre manoir que j’ai trouvé vide, à l’exception d’une vieilledame qui m’a fait part de vos ennuis. De là, je me suis rendu àl’abbaye et je ne suis point parvenu trop tôt, car je vous assureque le tableau n’avait rien de réjouissant avec ces flèches prêtesà vous transpercer le corps, et les clochettes, livres de prièreset autres candélabres destinés à prendre soin de votre âme. Mais,si je ne me trompe, voici la bonne dame.

C’était en effet la grande silhouette de LadyErmyntrude, maigre, voûtée, appuyée sur un bâton, qui était apparueà la porte du manoir et s’avançait pour les accueillir. Elle éclatade rire et brandit son bâton dans la direction de l’imposantmonastère lorsqu’on la mit au courant de la déconfiture del’abbaye. Elle les conduisit ensuite dans la grande salle où l’onavait préparé tout ce qu’ils pouvaient offrir de mieux à leurillustre visiteur. Elle avait elle-même dans les veines du sang deChandos, dont on pouvait retrouver la trace au travers des Grey,Multon, Valence, Montague et autres grandes familles, à tel pointque le repas fut pris et presque digéré avant qu’elle en eûtterminé d’un imbroglio de mariages et alliances, avec lespartitions, rebattements, pièces honorables et modifications parlesquels on pouvait dresser le blason des deux familles pourprouver leur commune origine. Même si l’on remontait jusqu’à laconquête et en deçà, il n’était pas un arbre généalogique denoblesse dont chaque pousse, chaque bourgeon, ne fût lié à LadyErmyntrude.

Lorsque la table fut ôtée et que les troispersonnages se trouvèrent seuls, Chandos transmit son message à ladame.

– Le roi Édouard n’a jamais oublié lenoble chevalier votre fils, Sir Eustace. Il doit se rendre àSouthampton la semaine prochaine et je suis son avant-courrier. Ilm’a prié de vous dire, noble Dame, qu’il viendrait par Guildfordafin de pouvoir passer une nuit sous votre toit.

La vieille dame rougit de plaisir mais pâlitsoudain, vexée par les termes mêmes.

– C’est en vérité un grand honneur pourla maison de Loring, bien que notre toit soit humble et, comme vousl’avez pu voir, notre pitance bien simple. Le roi ne se doute pointque nous sommes aussi pauvres. Je crains que nous ne passions pourgrossiers et avares à ses yeux.

Mais Chandos écarta ses craintes. La suite duroi, dans laquelle ne se trouvaient pas de dames, logerait auchâteau de Farnham. Tout roi qu’il était, il se souciait peu de sesaises, en vaillant soldat qu’il était resté. Et de toute façon,puisqu’il avait annoncé sa venue, il leur fallait y faire face dumieux qu’ils pouvaient. Enfin, avec beaucoup de délicatesse,Chandos offrit sa propre bourse si elle pouvait les aider dans lacirconstance. Mais Lady Ermyntrude avait déjà retrouvé soncalme.

– Non, noble cousin, cela ne se peutfaire. Je vais préparer pour le roi tout ce qui sera possible, enme souvenant que, si la maison de Loring ne peut rien donner deplus, elle a toujours mis son sang à sa disposition.

Chandos devait encore se rendre à FarnhamCastle et au-delà, mais il exprima le désir de prendre un bainchaud avant de se mettre en route car, comme la plupart des autreschevaliers, il aimait à se plonger dans l’eau la plus chaude qu’ilpût supporter. Ainsi donc le bain, une grande cuve cerclée, pluslarge mais plus courte qu’une baratte, fut installé dans la chambred’hôte et ce fut là que Nigel tint compagnie à Chandos qui sedétendait dans l’eau.

Nigel, perché sur le côté du haut lit,balançant ses jambes dans le vide, regardait d’un air étonné etamusé l’étrange visage, les cheveux blonds hirsutes et les épaulesmusclées du fameux guerrier, le tout disparaissant légèrement dansune épaisse colonne de vapeur. Il était d’humeur bavarde, aussiNigel l’assaillit-il de mille questions sur les guerres,s’accrochant à chaque mot proféré en réponse, comme si l’autre eûtété l’oracle des Anciens parlant au travers de la fumée ou d’unnuage. Pour Chandos lui-même, vieux guerrier aux yeux de qui laguerre avait perdu toute sa fraîcheur, ce fut un rappel de sonardente jeunesse que d’entendre les vives questions de Nigel et denoter l’attention avec laquelle il l’écoutait.

– Parlez-moi du pays de Galles, nobleseigneur, demanda Nigel. Quelle sorte de soldats sont lesGallois ?

– Ce sont de vaillants guerriers,répondit Chandos en barbotant dans son bain. Vous avez des chancesd’avoir de bonnes escarmouches dans leurs vallées lorsque vous ychevauchez avec une petite suite. Ils flamboient comme un buissond’ajoncs, mais si vous parvenez à en faire baisser la chaleurpendant un court instant, il arrive qu’ils se refroidissent.

– Et les Écossais ? Vous leur avezfait la guerre aussi, à ce que j’ai compris.

– Les chevaliers écossais nereconnaissent aucun maître au monde et celui qui peut tenir têteaux meilleurs d’entre eux, que ce soit un Douglas, un Murray ou unSeaton, celui-là n’a plus rien à apprendre. Si vaillant que voussoyez, vous en trouverez toujours un aussi vaillant que vous,lorsque vous chevaucherez vers le nord. Si les Gallois sontsemblables à un feu d’ajoncs, alors, pardieu ! les Écossaissont comme la tourbe, car ils se consument lentement et vous n’enviendrez jamais à bout. J’ai passé de bien bonnes heures dans lesmarches d’Écosse, car, quand bien même il n’y a point de guerre,les Percy d’Alnwick ou le gouverneur de Carlisle peuvent toujourssoulever une petite querelle avec les clans frontaliers.

– Il me souvient que mon père avaitcoutume de dire qu’ils étaient de valeureux lanciers.

– Les meilleurs au monde, car leurslances ont douze pieds de long et ils marchent en rangs trèsserrés. Mais leurs archers sont plus faibles, sauf peut-être leshommes d’Ettrick ou de Selkirk qui sont originaires des forêts…Nigel, veuillez ouvrir la fenêtre treillissée, je vous prie. Il y aici par trop de vapeur… Par contre, au pays de Galles, ce sont leslanciers qui sont faibles, et il n’est point d’archers dans cesîles comme les hommes de Gwant avec leurs arcs en orme : leurpuissance est telle que j’ai connu un chevalier qui eut sa monturetuée sous lui après que la flèche eut traversé ses chausses demailles, sa cuisse et sa selle. Mais maintenant, qu’est-ce que laflèche, comparée à ces nouvelles balles de métal projetées par lapoudre et qui déchirent une armure comme une pierre le fait d’unœuf ! Nos pères ne connaissaient point cela.

– Alors, tant mieux pour nous, s’écriaNigel, puisqu’il y aura au moins une aventure honorable qui serabien à nous.

Chandos eut un petit rire et tourna vers lejeune homme rougissant un regard chargé de sympathie.

– Vous avez une façon de parler qui merappelle les vieux que j’ai connus au temps de ma jeunesse, dit-il.C’étaient de vrais paladins et ils parlaient tout comme vous. Bienque vous soyez fort jeune, vous appartenez à un autre âge. Où doncavez-vous pris cette façon de penser et de vous exprimer ?

– Je n’ai eu qu’une seulepréceptrice : Lady Ermyntrude.

– Pardieu, elle a dressé un fauconneauqui est prêt à fondre sur une noble proie. J’aimerais être lepremier à vous déchaperonner. Ne voulez-vous point chevaucher avecmoi dans les guerres ?

Des larmes sautèrent aux yeux de Nigel quimanqua broyer la grande main qui pendait hors de la cuve.

– Par saint Paul ! que pourrais-jesouhaiter de mieux au monde ? Je n’aime guère l’abandonner carelle n’a personne pour prendre soin d’elle. Mais si cela pouvait sefaire…

– La main du roi peut faire beaucoup.N’en dites rien avant qu’il soit ici. Mais si vous voulezchevaucher avec moi…

– Qu’est-ce donc qu’un homme pourraitsouhaiter de mieux ? Est-il un écuyer en Angleterre qui nevoulût servir sous la bannière de Chandos ? Et où allez-vous,noble seigneur ? Et quand partez-vous ? Sera-ce pourl’Écosse ? Pour l’Irlande, peut-être ? Pour laFrance ? Mais hélas ! Hélas !…

Le visage exalté s’était soudain assombri.Pendant un instant, il avait oublié qu’il ne pouvait pas plus sepayer une armure que de la vaisselle d’or. Et d’un seul coup, tousses espoirs furent abattus. Ah, ces sordides soucis matériels quiviennent toujours s’interposer entre nos rêves et leuraccomplissement ! Le squire d’un tel seigneur se devait d’êtrebien équipé. Et cependant toute la fortune de Tilford n’y suffiraitpoint.

Mais Chandos, dont l’intelligence était viveet qui avait une grande connaissance du monde, avait aussitôtdeviné la cause de ce soudain changement.

– Si vous combattez sous ma bannière, cesera à moi qu’il reviendra de vous pourvoir en armes. Non, jen’admettrai point de réplique !

Mais Nigel secoua tristement la tête.

– Ce n’est point possible ! LadyErmyntrude vendrait cette vieille demeure et jusqu’au dernier poucede terrain plutôt que de me permettre d’accepter cette offregénéreuse. Cependant je ne désespère point car, la semainedernière, j’ai fait l’acquisition d’un noble palefroi sansdébourser un penny. Peut-être aurai-je l’occasion de me procurertoute une armure de la même façon.

– Et comment avez-vous eu cecheval ?

– Il m’a été donné par les moines deWaverley.

– Merveilleux !… Mais,pardieu ! après ce que j’ai vu, je me serais attendu qu’ils nevous donnassent que leur malédiction.

– Ils n’avaient que faire de cette bêteet me l’ont offerte.

– Il vous suffira donc de trouverquelqu’un qui n’ait que faire d’une armure et qui vous la donne.J’espère cependant que vous aurez de meilleures dispositionsd’esprit et que vous me permettrez de vous équiper pour la guerre,puisque la bonne Dame a prouvé que j’étais votre cousin.

– Mille grâces, noble seigneur ! Sije devais m’adresser à quelqu’un, ce serait à vous, mais il estd’autres moyens que j’aimerais d’abord essayer… Mais je vous prie,bon sir John, de me parler de vos nobles combats à la lance contreles Français, car le pays tout entier retentit des légendes de vosexploits, et j’ai entendu dire que, en une matinée, trois championsavaient succombé devant votre lance. Est-ce vrai ?

– Ces cicatrices sur mon corps en fontfoi, mais ce n’était là que folies de jeunesse.

– Comment pouvez-vous appeler cela desfolies ? Ne sont-ce point là les moyens de se gagner unhonorable avancement et le cœur d’une dame ?

– Ce que vous dites est vrai, Nigel. Àvotre âge, un homme se doit d’avoir la tête chaude et de porterhaut le cœur. J’étais moi aussi doué des deux, et je combattaispour ma dame, parce que j’en avais fait vœu, ou tout simplementparce que tel était mon bon plaisir. Mais lorsqu’on grandit etqu’on commande d’autres hommes, il y a aussi certaines chosesauxquelles il faut penser. On réfléchit moins à son honneurpersonnel qu’à la sécurité de ses troupes. Ce ne sont plus votrelance, votre épée ou votre bras qui feront changer le destin d’unebataille, mais une tête froide et raisonnée qui peut vous sauverd’une situation désespérée. Celui qui sait choisir le bon momentpour faire charger ses cavaliers ou pour leur enjoindre de mettrepied à terre avant de continuer le combat, celui qui sait mêler sesarchers et ses hommes d’armes de façon à se soutenir mutuellement,celui qui sait tenir ses réserves à l’écart et ne les faireintervenir que lorsqu’elles peuvent faire pencher le plateau de labalance, celui dont l’œil vif sait découvrir les terrainsmarécageux ou accidentés – celui-là vaut bien plus dans une arméeque tous les Roland, Olivier et autres preux chevaliers.

– Cependant, noble seigneur, si seschevaliers lui font défaut, tout son travail de tête ne servira derien.

– C’est très vrai, Nigel. Aussi, puissenttous les squires partir en guerre avec un cœur aussi ardent que levôtre. Mais il ne me faut plus tarder, car le service du roi nepeut attendre. Je vais me vêtir et, lorsque j’aurai pris congé dela bonne Dame Ermyntrude, je m’en irai à Farnham. Mais vous mereverrez ici le jour de l’arrivée du roi.

Ainsi donc, Chandos s’en fut ce soir-là,poussant son cheval dans les paisibles allées et pinçant son luth,car il aimait la musique et était connu pour ses chants joyeux. Leshabitants apparaissaient devant leurs demeures, riant et battantdes mains pour accompagner la voix riche qui s’élevait puisretombait en douces modulations dans l’allègre pincement descordes. Et peu de ceux qui le voyaient passer auraient pu se douterque cet étrange chevalier aux cheveux de lin était le plus rudeguerrier de toute l’Europe. Une fois seulement, alors qu’il entraitdans Farnham, un vieil homme d’armes invalide et couvert dehaillons courut vers lui et s’accrocha à son cheval comme un chiengambade autour des jambes de son maître. Chandos lui lança un motaimable et une pièce d’or au moment où il entrait au château.

Pendant ce temps, le jeune Nigel et LadyErmyntrude, laissés seuls en face de leurs difficultés, seregardaient désespérés.

– Le cellier est quasi vide, fit Nigel.Il reste deux tonnelets de bière et un fût de vin des Canaries.Comment pourrions-nous servir pareils breuvages au roi et à sacour ?

– Il nous faudrait du vin de Bordeaux. Etavec le veau marbré, la volaille et l’oie, nous pourrons faireassez pour le repas, s’il ne reste que pour une nuit. Et combienseront-ils ?

– Une douzaine, au moins.

La vieille dame se tordit les mains dedésespoir.

– Non, ne le prenez pas ainsi à cœur,chère Dame, fit Nigel. Nous n’avons qu’un mot à dire et le rois’arrêtera à Waverley, où lui et sa cour trouveront tout ce qu’ilspourront désirer.

– Cela, jamais ! se récria LadyErmyntrude. Ce serait une honte et une disgrâce pour nous si le roidevait longer notre porte alors qu’il a gracieusement offert de lapousser. Non, je m’en sortirai. Jamais je n’aurais cru être forcéeun jour à ceci, mais je sais qu’il le voudrait et je le ferai.

Décrochant une clé qui pendait à sa ceinture,elle se dirigea vers le vieux coffre de fer. Le grincement descharnières rouillées, lorsqu’elle souleva le couvercle, prouva àl’évidence combien la vieille dame se tenait éloignée du Saint desSaints de son coffre aux trésors. Par-dessus se trouvaient quelquesreliques de vieilles parures : un manteau de soie seméd’étoiles d’or, une coiffe de fils d’argent, un rouleau de dentellede Venise. En dessous s’empilaient des paquets attachés avec de lasoie, que la vieille dame mania avec soin : un gant d’hommepour la chasse, une sandale d’enfant, des lacs d’amour faits d’unruban d’un vert passé, quelques lettres d’une écriture rude et unerelique de saint Thomas. Puis, du fond même du coffre, elle tiratrois objets enveloppés de soie qu’elle déballa et posa sur latable. L’un était un bracelet d’or brut dans lequel étaientenchâssés des rubis non taillés, le second était un plateau d’or etle troisième un hanap du même métal.

– Vous m’avez souvent déjà entendu parlerde ces objets, Nigel, mais vous ne les aviez jamais vus, car voilàlongtemps que je n’ai plus ouvert le coffre, de crainte que dansnos grands besoins nous ne soyons tentés d’en faire de l’argent. Jeles ai tenus loin de ma vue et même de mes pensées. Mais cettefois, il s’agit de l’honneur de notre maison et il me faut m’enséparer. Ce hanap est celui que mon époux, Sir Nele Loring, gagnaaprès la prise de Bagdad, alors que ses compagnons et lui avaienttenu la lice depuis matines jusqu’à vêpres contre la fleur de lachevalerie française. Le plateau lui fut donné par le comte dePembroke en souvenir de sa vaillance sur le champ de bataille deFalkirk…

– Et le bracelet, chère Dame ?

– Vous n’en rirez point, Nigel ?

– Certes non, pourquoi leferais-je ?

– Ce bracelet fut le prix de la reine debeauté qui me fut donné devant toutes les grandes damesd’Angleterre par Sir Nele Loring, un mois avant notre union. Unereine de beauté, Nigel ! Moi ! Vieille et voûtée commevous me voyez maintenant ! Cinq hommes sont tombés devant salance avant qu’il m’offrît ce bijou. Et maintenant, dans mesdernières années…

– Non, non, chère et honorée Dame, nousne nous séparerons point de ce trésor.

– Si, Nigel ; il l’aurait vouluainsi. Je l’entends presque me le murmurer à l’oreille. L’honneurétait tout pour lui, le reste rien. Enlevez cela, Nigel, avant quemon cœur faiblisse. Demain, vous porterez le tout à Guildford. Vousy verrez Thorold, l’orfèvre. Vous tâcherez d’en obtenir assezd’argent pour faire face à tout ce dont nous avons besoin pour lavenue du roi.

Elle détourna le visage pour dissimuler sestraits ridés et le couvercle du coffre de fer en retombant couvritun sanglot.

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