Cyrano de Bergerac

Scène I

Ragueneau, pâtissiers, puisLise ; Ragueneau, à la petite table, écrivant d’un airinspiré, et comptant sur ses doigts.

 

PREMIER PÂTISSIER, apportant unepièce montée.

 

Fruits en nougat !

 

DEUXIÈME PÂTISSIER, apportant unplat.

 

Flan !

 

TROISIÈME PÂTISSIER, apportant unrôti paré de plumes.

 

Paon !

 

QUATRIÈME PÂTISSIER, apportantune plaque de gâteaux.

 

Roinsoles !

 

CINQUIÈME PÂTISSIER, apportantune sorte de terrine.

 

Bœuf en daube !

 

RAGUENEAU, cessant d’écrire etlevant la tête.

 

Sur les cuivres, déjà, glisse l’argent de l’aube !

Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau !

L’heure du luth viendra, – c’est l’heure du fourneau !

 

(Il se lève. – À uncuisinier.)

 

Vous, veuillez m’allonger cette sauce, elle estcourte !

 

LE CUISINIER.

 

De combien ?

 

RAGUENEAU.

 

De trois pieds.

 

(Il passe.)

 

LE CUISINIER.

 

Hein ?

 

PREMIER PÂTISSIER.

 

La tarte !

 

DEUXIÈME PÂTISSIER.

 

La tourte !

 

RAGUENEAU, devant lacheminée.

 

Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants

N’aillent pas se rougir au feu de ces sarments !

 

(À un pâtissier, lui montrant despains.)

 

Vous avez mal placé la fente de ces miches.

Au milieu la césure, – entre les hémistiches !

 

(À un autre, lui montrant un pâtéinachevé.)

 

À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit…

 

(À un jeune apprenti, qui, assispar terre, embroche des volailles.)

 

Et toi, sur cette broche interminable, toi,

Le modeste poulet et la dinde superbe,

Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe

Alternait les grands vers avec les plus petits,

Et fais tourner au feu des strophes de rôtis !

 

UN AUTRE APPRENTI, s’avançantavec un plateau recouvert d’une assiette.

 

Maître, en pensant à vous, dans le four, j’ai fait cuire

Ceci, qui vous plaira, je l’espère.

 

(Il découvre le plateau, on voitune grande lyre de pâtisserie.)

 

RAGUENEAU, ébloui.

 

Une lyre !

 

L’APPRENTI.

 

En pâte de brioche.

 

RAGUENEAU, ému.

 

Avec des fruits confits !

 

L’APPRENTI.

 

Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.

 

RAGUENEAU, lui donnant del’argent.

 

Va boire à ma santé !

 

(Apercevant Lise quientre.)

 

Chut ! ma femme !Circule,

Et cache cet argent !

 

(À Lise, lui montrant la lyred’un air gêné.)

 

C’est beau ?

 

LISE.

 

C’est ridicule !

 

(Elle pose sur le comptoir unepile de sacs en papier.)

 

RAGUENEAU.

 

Des sacs ?… Bon. Merci.

 

(Il les regarde.)

 

Ciel ! Mes livresvénérés !

Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés !

Pour en faire des sacs à mettre des croquantes…

Ah ! vous renouvelez Orphée et les bacchantes !

 

LISE, sèchement.

 

Et n’ai-je pas le droit d’utiliser vraiment

Ce que laissent ici, pour unique paiement,

Vos méchants écriveurs de lignes inégales !

 

RAGUENEAU.

 

Fourmi !… n’insulte pas ces divines cigales !

 

LISE.

 

Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami,

Vous ne m’appeliez pas bacchante, – ni fourmi !

 

RAGUENEAU.

 

Avec des vers, faire cela !

 

LISE.

 

Pas autre chose.

 

RAGUENEAU.

 

Que faites-vous, alors, madame, avec la prose ?

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