Cyrano de Bergerac

Scène I

Ragueneau, la duègne, puisRoxane, Cyrano, et deux pages.

 

RAGUENEAU.

 

… Et puis, elle est partie avec un mousquetaire !

Seul, ruiné, je me pends. J’avais quitté la terre.

Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant,

Me vient à sa cousine offrir comme intendant.

 

LA DUÈGNE.

 

Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ?

 

RAGUENEAU.

 

Lise aimait les guerriers, et j’aimais les poètes !

Mars mangeait les gâteaux que laissait Apollon.

– Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long !

 

LA DUÈGNE, se levant et appelantvers la fenêtre ouverte.

 

Roxane, êtes-vous prête ?… On nous attend !

 

LA VOIX DE ROXANE, par lafenêtre.

 

Je passe

Une mante !

 

LA DUÈGNE, à Ragueneau, luimontrant la porte d’en face.

 

C’est là qu’on nous attend, enface.

Chez Clomire. Elle tient bureau, dans son réduit.

On y lit un discours sur le Tendre, aujourd’hui.

 

RAGUENEAU.

 

Sur le Tendre ?

 

LA DUÈGNE, minaudant.

 

Mais oui !…

 

(Criant vers la fenêtre.)

 

Roxane, il faut descendre,

Ou nous allons manquer le discours sur le Tendre !

 

LA VOIX DE ROXANE.

 

Je viens !

 

(On entend un bruit d’instrumentsà cordes qui se rapproche.)

 

LA VOIX DE CYRANO, chantant dansla coulisse.

 

La ! la ! la !la !

 

LA DUÈGNE, surprise.

 

On nous joue un morceau ?

 

CYRANO, suivi de deux pagesporteurs de théorbes.

 

Je vous dis que la croche est triple, triple sot !

 

PREMIER PAGE, ironique.

 

Vous savez donc, Monsieur, si les croches sonttriples ?

 

CYRANO.

 

Je suis musicien, comme tous les disciples

De Gassendi !

 

LE PAGE, jouant etchantant.

 

La ! la !

 

CYRANO, lui arrachant le théorbeet continuant la phrase musicale.

 

Je peux continuer !…

La ! la ! la ! la !

 

ROXANE, paraissant sur lebalcon.

 

C’est vous ?

 

CYRANO, chantant sur l’air qu’ilcontinue.

 

Moi qui viens saluer

Vos lys, et présenter mes respects à vos ro… ses !

 

ROXANE.

 

Je descends !

 

(Elle quitte le balcon.)

 

LA DUÈGNE, montrant lespages.

 

Qu’est-ce donc que ces deuxvirtuoses ?

 

CYRANO.

 

C’est un pari que j’ai gagné sur d’Assoucy.

Nous discutions un point de grammaire. – Non ! –Si ! –

Quand soudain me montrant ces deux grands escogriffes

Habiles à gratter les cordes de leurs griffes,

Et dont il fait toujours son escorte, il me dit.

« Je te parie un jour de musique ! » Ilperdit.

Jusqu’à ce que Phœbus recommence son orbe,

J’ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe,

De tout ce que je fais harmonieux témoins !…

Ce fut d’abord charmant, et ce l’est déjà moins.

 

(Aux musiciens.)

 

Hep !… Allez de ma part jouer une pavane

À Montfleury !…

 

(Les pages remontent pour sortir.– À la duègne.)

 

Je viens demander à Roxane

Ainsi que chaque soir…

 

(Aux pages qui sortent.)

 

Jouez longtemps, – et faux !

 

(À la duègne.)

 

… Si l’ami de son âme est toujours sans défauts ?

 

ROXANE, sortant de lamaison.

 

Ah ! qu’il est beau, qu’il a d’esprit, et que jel’aime !

 

CYRANO, souriant.

 

Christian a tant d’esprit ?…

 

ROXANE.

 

Mon cher, plus quevous-même !

 

CYRANO.

 

J’y consens.

 

ROXANE.

 

Il ne peut exister à mon goût

Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout.

Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes ;

Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes !

 

CYRANO, incrédule.

 

Non ?

 

ROXANE.

 

C’est trop fort ! Voilà comme leshommes sont.

Il n’aura pas d’esprit puisqu’il est beau garçon !

 

CYRANO.

 

Il sait parler du cœur d’une façon experte ?

 

ROXANE.

 

Mais il n’en parle pas, Monsieur, il en disserte !

 

CYRANO.

 

Il écrit ?

 

ROXANE.

 

Mieux encor ! Écoutez donc unpeu.

 

(Déclamant.)

 

« Plus tu me prends de cœur, plus j’enai !… »

 

(Triomphante, à Cyrano.)

 

Hé ! bien ?

 

CYRANO.

 

Peuh !…

 

ROXANE.

 

Et ceci : « Pour souffrir, puisqu’il m’en faut unautre,

Si vous gardez mon cœur, envoyez-moi levôtre ! »

 

CYRANO.

 

Tantôt il en a trop et tantôt pas assez.

Qu’est-ce au juste qu’il veut, de cœur ?…

 

ROXANE, frappant dupied.

 

Vous m’agacez !

C’est la jalousie…

 

CYRANO, tressaillant.

 

Hein !…

 

ROXANE.

 

… d’auteur qui vous dévore !

– Et ceci, n’est-il pas du dernier tendre encore ?

« Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu’uncri,

Et que si les baisers s’envoyaient par écrit,

Madame, vous liriez ma lettre avec leslèvres !… »

 

CYRANO, souriant malgré lui desatisfaction.

 

Ha ! ha ! ces lignes-là sont… hé ! hé !

 

(Se reprenant et avecdédain.)

 

mais bien mièvres !

 

ROXANE.

 

Et ceci…

 

CYRANO, ravi.

 

Vous savez donc ses lettres parcœur ?

 

ROXANE.

 

Toutes !

 

CYRANO, frisant samoustache.

 

Il n’y a pas à dire : c’estflatteur !

 

ROXANE.

 

C’est un maître !

 

CYRANO, modeste.

 

Oh !… un maître !…

 

ROXANE, péremptoire.

 

Un maître !…

 

CYRANO, saluant.

 

Soit !… un maître !

 

LA DUÈGNE, qui était remontée,redescendant vivement.

 

Monsieur de Guiche !

 

(À Cyrano, le poussant vers lamaison.)

 

Entrez !… car il vaut mieux,peut-être,

Qu’il ne vous trouve pas ici ; cela pourrait

Le mettre sur la piste…

 

ROXANE, à Cyrano.

 

Oui, de mon cher secret !

Il m’aime, il est puissant, il ne faut pas qu’ilsache !

Il peut dans mes amours donner un coup de hache !

 

CYRANO, entrant dans lamaison.

 

Bien ! bien ! bien !

 

(De Guiche paraît.)

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