Cyrano de Bergerac

Scène X

Cyrano, Christian,Roxane.

 

ROXANE, s’avançant sur lebalcon.

 

C’est vous ?

Nous parlions de… de… d’un…

 

CYRANO.

 

Baiser. Le mot est doux.

Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ;

S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?

Ne vous en faites pas un épouvantement :

N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,

Quitté le badinage et glissé sans alarmes

Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !

Glissez encore un peu d’insensible façon :

Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !

 

ROXANE.

 

Taisez-vous !

 

CYRANO.

 

Un baiser, mais à tout prendre,qu’est-ce ?

Un serment fait d’un peu plus près, une promesse

Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,

Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;

C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,

Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,

Une communion ayant un goût de fleur,

Une façon d’un peu se respirer le cœur,

Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !

 

ROXANE.

 

Taisez-vous !

 

CYRANO.

 

Un baiser, c’est si noble, Madame,

Que la reine de France, au plus heureux des lords,

En a laissé prendre un, la reine même !

 

ROXANE.

 

Alors !

 

CYRANO, s’exaltant.

 

J’eus comme Buckingham des souffrances muettes,

J’adore comme lui la reine que vous êtes,

Comme lui je suis triste et fidèle…

 

ROXANE.

 

Et tu es

Beau comme lui !

 

CYRANO, à part, dégrisé.

 

C’est vrai, je suis beau,j’oubliais !

 

ROXANE.

 

Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille…

 

CYRANO, poussant Christian versle balcon.

 

Monte !

 

ROXANE.

 

Ce goût de cœur…

 

CYRANO.

 

Monte !

 

ROXANE.

 

Ce bruit d’abeille…

 

CYRANO.

 

Monte !

 

CHRISTIAN, hésitant.

 

Mais il me semble, à présent, quec’est mal !

 

ROXANE.

 

Cet instant d’infini !…

 

CYRANO, le poussant.

 

Monte donc, animal !

 

(Christian s’élance, et par le banc, le feuillage, lespiliers, atteint les balustres qu’il enjambe.)

 

CHRISTIAN.

 

Ah ! Roxane !…

 

(Il l’enlace et se penche sur seslèvres.)

 

CYRANO.

 

Aïe ! au cœur, quel pincementbizarre !

– Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare !

Il me vient dans cette ombre une miette de toi, –

Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit,

Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre

Elle baise les mots que j’ai dits tout à l’heure !

 

(On entend lesthéorbes.)

 

Un air triste, un air gai : le capucin !

 

(Il feint de courir comme s’il arrivait de loin, et d’unevoix claire.)

 

Holà !

 

ROXANE.

 

Qu’est-ce ?

 

CYRANO.

 

Moi. Je passais… Christian est encorlà ?

 

CHRISTIAN, très étonné.

 

Tiens, Cyrano !

 

ROXANE.

 

Bonjour, cousin !

 

CYRANO.

 

Bonjour, cousine !

 

ROXANE.

 

Je descends !

 

(Elle disparaît dans la maison.Au fond rentre le capucin.)

 

CHRISTIAN, l’apercevant.

 

Oh ! encor !

 

(Il suit Roxane.)

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