Cyrano de Bergerac

Scène V

Les mêmes, Roxane.

 

DE GUICHE.

 

Service du Roi ! Vous ?

 

ROXANE.

 

Mais du seul roi, l’Amour !

 

CYRANO.

 

Ah ! grand Dieu !

 

CHRISTIAN, s’élançant.

 

Vous ! Pourquoi ?

 

ROXANE.

 

C’était trop long, ce siège !

 

CHRISTIAN.

 

Pourquoi ?…

 

ROXANE.

 

Je te dirai !

 

CYRANO, qui, au son de sa voix,est resté cloué immobile, sans oser tourner les yeux verselle.

 

Dieu ! Laregarderai-je ?

 

DE GUICHE.

 

Vous ne pouvez rester ici !

 

ROXANE, gaiement.

 

Mais si ! mais si !

Voulez-vous m’avancer un tambour ?…

 

(Elle s’assied sur un tambourqu’on avance.)

 

Là, merci !

 

(Elle rit.)

 

On a tiré sur mon carrosse !

 

(Fièrement.)

 

Une patrouille !

– Il a l’air d’être fait avec une citrouille,

N’est-ce pas ? comme dans le conte, et les laquais

Avec des rats.

 

(Envoyant des lèvres un baiser àChristian.)

 

Bonjour !

 

(Les regardant tous.)

 

Vous n’avez pas l’air gais !

– Savez-vous que c’est loin, Arras ?

 

(Apercevant Cyrano.)

 

Cousin, charmée !

 

CYRANO, s’avançant.

 

Ah çà ! comment ?…

 

ROXANE.

 

Comment j’ai retrouvél’armée ?

Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c’est tout simple :j’ai

Marché tant que j’ai vu le pays ravagé.

Ah ! ces horreurs, il a fallu que je les visse

Pour y croire ! Messieurs, si c’est là le service

De votre Roi, le mien vaut mieux !

 

CYRANO.

 

Voyons, c’est fou !

Par où diable avez-vous bien pu passer ?

 

ROXANE.

 

Par où ?

Par chez les Espagnols.

 

PREMIER CADET.

 

Ah ! qu’Elles sontmalignes !

 

DE GUICHE.

 

Comment avez-vous fait pour traverser leurs lignes ?

 

LE BRET.

 

Cela dut être très difficile !…

 

ROXANE.

 

Pas trop.

J’ai simplement passé dans mon carrosse, au trot.

Si quelque hidalgo montrait sa mine altière,

Je mettais mon plus beau sourire à la portière,

Et ces messieurs étant, n’en déplaise aux Français,

Les plus galantes gens du monde, – je passais !

 

CARBON.

 

Oui, c’est un passeport, certes, que ce sourire !

Mais on a fréquemment dû vous sommer de dire

Où vous alliez ainsi, madame ?

 

ROXANE.

 

Fréquemment.

Alors je répondais : « Je vais voir monamant. »

– Aussitôt l’Espagnol à l’air le plus féroce

Refermait gravement la porte du carrosse,

D’un geste de la main à faire envie au Roi

Relevait les mousquets déjà braqués sur moi,

Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue,

L’ergot tendu sous la dentelle en tuyau d’orgue,

Le feutre au vent pour que la plume palpitât,

S’inclinait en disant : « Passez,señorita ! »

 

CHRISTIAN.

 

Mais, Roxane…

 

ROXANE.

 

J’ai dit : mon amant, oui… pardonne !

Tu comprends, si j’avais dit : mon mari, personne

Ne m’eût laissé passer !

 

CHRISTIAN.

 

Mais…

 

ROXANE.

 

Qu’avez-vous ?

 

DE GUICHE.

 

Il faut

Vous en aller d’ici !

 

ROXANE.

 

Moi ?

 

CYRANO.

 

Bien vite !

 

LE BRET.

 

Au plus tôt !

 

CHRISTIAN.

 

Oui !

 

ROXANE.

 

Mais comment ?

 

CHRISTIAN, embarrassé.

 

C’est que…

 

CYRANO, de même.

 

Dans trois quarts d’heure…

 

DE GUICHE, de même.

 

… ou quatre…

 

CARBON, de même.

 

Il vaut mieux…

 

LE BRET, de même.

 

Vous pourriez…

 

ROXANE.

 

Je reste. On va se battre.

 

TOUS.

 

Oh ! non !

 

ROXANE.

 

C’est mon mari !

 

(Elle se jette dans les bras deChristian.)

 

Qu’on me tue avec toi !

 

CHRISTIAN.

 

Mais quels yeux vous avez !

 

ROXANE.

 

Je te dirai pourquoi !

 

DE GUICHE, désespéré.

 

C’est un poste terrible !

 

ROXANE, se retournant.

 

Hein ! terrible ?

 

CYRANO.

 

Et la preuve

C’est qu’il nous l’a donné !

 

ROXANE, à De Guiche.

 

Ah ! vous me vouliezveuve ?

 

DE GUICHE.

 

Oh ! je vous jure !…

 

ROXANE.

 

Non ! Je suis folle àprésent !

Et je ne m’en vais plus ! – D’ailleurs, c’est amusant.

 

CYRANO.

 

Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ?

 

ROXANE.

 

Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine.

 

UN CADET.

 

Nous vous défendrons bien !

 

ROXANE, enfiévrée de plus enplus.

 

Je le crois, mes amis !

 

UN AUTRE, avecenivrement.

 

Tout le camp sent l’iris !

 

ROXANE.

 

Et j’ai justement mis

Un chapeau qui fera très bien dans la bataille !…

 

(Regardant de Guiche.)

 

Mais peut-être est-il temps que le comte s’en aille.

On pourrait commencer.

 

DE GUICHE.

 

Ah ! c’en est trop ! Jevais

Inspecter mes canons, et reviens… Vous avez

Le temps encor : changez d’avis !

 

ROXANE.

 

Jamais !

 

(De Guiche sort.)

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