Scène II
Les mêmes, moins Cyrano.
(Le jour s’est un peu levé. Lueurs roses. La ville d’Arrasse dore à l’horizon. On entend un coup de canon immédiatement suivid’une batterie de tambours, très au loin, vers la gauche. D’autrestambours battent plus près. Les batteries vont se répondant, et serapprochant, éclatent presque en scène et s’éloignent vers ladroite, parcourant le camp. Rumeurs de réveil. Voix lointainesd’officiers.)
CARBON, avec un soupir.
La diane !… Hélas !
(Les cadets s’agitent dans leursmanteaux, s’étirent.)
Sommeil succulent, tu prendsfin !…
Je sais trop quel sera leur premier cri !
UN CADET, se mettant sur sonséant.
J’ai faim !
UN AUTRE.
Je meurs !
TOUS.
Oh !
CARBON.
Levez-vous !
TROISIÈME CADET.
Plus un pas !
QUATRIÈME CADET.
Plus un geste !
LE PREMIER, se regardant dans unmorceau de cuirasse.
Ma langue est jaune : l’air du temps estindigeste !
UN AUTRE.
Mon tortil de baron pour un peu de Chester !
UN AUTRE.
Moi, si l’on ne veut pas fournir à mon gaster
De quoi m’élaborer une pinte de chyle,
Je me retire sous ma tente, – comme Achille !
UN AUTRE.
Oui, du pain !
CARBON, allant à la tente où estentré Cyrano, à mi-voix.
Cyrano !
D’AUTRES.
Nous mourons !
CARBON, toujours à mi-voix, à laporte de la tente.
Au secours !
Toi qui sais si gaiement leur répliquer toujours,
Viens les ragaillardir !
DEUXIÈME CADET, se précipitantvers le premier qui mâchonne quelque chose.
Qu’est-ce que tu grignotes !
LE PREMIER.
De l’étoupe à canon que dans les bourguignotes
On fait frire en la graisse à graisser les moyeux.
Les environs d’Arras sont très peu giboyeux !
UN AUTRE, entrant.
Moi, je viens de chasser !
UN AUTRE, même jeu.
J’ai pêché, dans la Scarpe !
TOUS, debout, se ruant sur lesdeux nouveaux venus.
Quoi ? – Que rapportez-vous ? – Un faisan ? – Unecarpe ? –
Vite, vite, montrez !
LE PÊCHEUR.
Un goujon !
LE CHASSEUR.
Un moineau !
TOUS, exaspérés.
Assez ! – Révoltons-nous !
CARBON.
Au secours, Cyrano !
(Il fait maintenant tout à faitjour.)