Cyrano de Bergerac

Scène I

Mère Marguerite, sœur Marthe,sœur Claire, les Sœurs.

 

SŒUR MARTHE, à MèreMarguerite.

 

Sœur Claire a regardé deux fois comment allait

Sa cornette, devant la glace.

 

MÈRE MARGUERITE, à sœurClaire.

 

C’est très laid.

 

SŒUR CLAIRE.

 

Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte,

Ce matin : je l’ai vu.

 

MÈRE MARGUERITE, à sœurMarthe.

 

C’est très vilain, sœur Marthe.

 

SŒUR CLAIRE.

 

Un tout petit regard !

 

SŒUR MARTHE.

 

Un tout petit pruneau !

 

MÈRE MARGUERITE,sévèrement.

 

Je le dirai, ce soir, à monsieur Cyrano.

 

SŒUR CLAIRE, épouvantée.

 

Non ! il va se moquer !

 

SŒUR MARTHE.

 

Il dira que les nonnes

Sont très coquettes !

 

SŒUR CLAIRE.

 

Très gourmandes !

 

MÈRE MARGUERITE,souriant.

 

Et très bonnes.

 

SŒUR CLAIRE.

 

N’est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus,

Qu’il vient, le samedi, depuis dix ans !

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Et plus !

Depuis que sa cousine à nos béguins de toile

Mêla le deuil mondain de sa coiffe de voile,

Qui chez nous vint s’abattre, il y a quatorze ans,

Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs !

 

SŒUR MARTHE.

 

Lui seul, depuis qu’elle a pris chambre dans ce cloître,

Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître.

 

TOUTES LES SŒURS.

 

Il est si drôle ! – C’est amusant quand il vient !

– Il nous taquine ! – Il est gentil ! – Nousl’aimons bien !

– Nous fabriquons pour lui des pâtes d’angélique !

 

SŒUR MARTHE.

 

Mais enfin, ce n’est pas un très bon catholique !

 

SŒUR CLAIRE.

 

Nous le convertirons.

 

LES SŒURS.

 

Oui ! oui !

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Je vous défends

De l’entreprendre encor sur ce point, mes enfants.

Ne le tourmentez pas : il viendrait moinspeut-être !

 

SŒUR MARTHE.

 

Mais… Dieu !…

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Rassurez-vous : Dieu doit bien leconnaître.

 

SŒUR MARTHE.

 

Mais chaque samedi, quand il vient d’un air fier,

Il me dit en entrant : « Ma sœur, j’ai fait gras,hier ! »

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Ah ! il vous dit cela ?… Eh bien ! la foisdernière

Il n’avait pas mangé depuis deux jours.

 

SŒUR MARTHE.

 

Ma Mère !

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Il est pauvre.

 

SŒUR MARTHE.

 

Qui vous l’a dit ?

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Monsieur Le Bret.

 

SŒUR MARTHE.

 

On ne le secourt pas ?

 

MÈRE MARGUERITE.

 

Non, il se fâcherait.

 

(Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue denoir, avec la coiffe des veuves et de longs voiles ; deGuiche, magnifique et vieillissant, marche auprès d’elle. Ils vontà pas lents. Mère Marguerite se lève.)

 

– Allons, il faut rentrer… Madame Madeleine,

Avec un visiteur, dans le parc se promène.

 

SŒUR MARTHE, bas à sœurClaire.

 

C’est le duc-maréchal de Grammont ?

 

SŒUR CLAIRE, regardant.

 

Oui, je crois.

 

SŒUR MARTHE.

 

Il n’était plus venu la voir depuis des mois !

 

LES SŒURS.

 

Il est très pris ! – La cour ! – Les camps !

 

SŒUR CLAIRE.

 

Les soins du monde !

 

(Elles sortent. De Guiche et Roxane descendent en silence ets’arrêtent près du métier. Un temps.)

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