Cyrano de Bergerac

Scène III

Ragueneau, Lise, Cyrano, puis lemousquetaire.

 

CYRANO.

 

Quelle heure est-il ?

 

RAGUENEAU, le saluant avecempressement.

 

Six heures.

 

CYRANO, avec émotion.

 

Dans une heure !

 

(Il va et vient dans laboutique.)

 

RAGUENEAU, le suivant.

 

Bravo ! J’ai vu…

 

CYRANO.

 

Quoi donc !

 

RAGUENEAU.

 

Votre combat !…

 

CYRANO.

 

Lequel ?

 

RAGUENEAU.

 

Celui de l’hôtel de Bourgogne !

 

CYRANO, avec dédain.

 

Ah !… Le duel !…

 

RAGUENEAU, admiratif.

 

Oui, le duel en vers !…

 

LISE.

 

Il en a plein la bouche !

 

CYRANO.

 

Allons ! tant mieux !

 

RAGUENEAU, se fendant avec unebroche qu’il a saisi.

 

« À la fin de l’envoi, jetouche !…

À la fin de l’envoi, je touche !… » Que c’estbeau !

 

(Avec un enthousiasmecroissant.)

 

« À la fin de l’envoi… »

 

CYRANO.

 

Quelle heure, Ragueneau ?

 

RAGUENEAU, restant fendu pourregarder l’horloge.

 

Six heures cinq !… « … jetouche ! »

 

(Il se relève.)

 

… Oh ! faire uneballade !

 

LISE, à Cyrano, qui en passantdevant son comptoir lui a serré distraitement la main.

 

Qu’avez-vous à la main ?

 

CYRANO.

 

Rien. Une estafilade.

 

RAGUENEAU.

 

Courûtes-vous quelque péril ?

 

CYRANO.

 

Aucun péril.

 

LISE, le menaçant dudoigt.

 

Je crois que vous mentez !

 

CYRANO.

 

Mon nez remuerait-il ?

Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !

 

(Changeant de ton.)

 

J’attends ici quelqu’un. Si ce n’est pas sous l’orme,

Vous nous laisserez seuls.

 

RAGUENEAU.

 

C’est que je ne peux pas ;

Mes rimeurs vont venir…

 

LISE, ironique.

 

Pour leur premier repas.

 

CYRANO.

 

Tu les éloigneras quand je te ferai signe…

L’heure ?

 

RAGUENEAU.

 

Six heures dix.

 

CYRANO, s’asseyant nerveusement àla table de Ragueneau et prenant du papier.

 

Une plume ?…

 

RAGUENEAU, lui offrant cellequ’il a à son oreille.

 

De cygne.

 

UN MOUSQUETAIRE, superbementmoustachu, entre et d’une voix de stentor.

 

Salut !

 

(Lise remonte vivement verslui.)

 

CYRANO, se retournant.

 

Qu’est-ce ?

 

RAGUENEAU.

 

Un ami de ma femme. Un guerrier

Terrible, – à ce qu’il dit !…

 

CYRANO, reprenant la plume etéloignant du geste Ragueneau.

 

Chut !…

Écrire, – plier, –

 

(À lui-même.)

 

Lui donner, – me sauver…

 

(Jetant la plume.)

 

Lâche !… Mais que je meure,

Si j’ose lui parler, lui dire un seul mot…

 

(À Ragueneau.)

 

L’heure ?

 

RAGUENEAU.

 

Six et quart !…

 

CYRANO, frappant sapoitrine.

 

… un seul mot de tous ceux quej’ai là !

Tandis qu’en écrivant…

 

(Il reprend la plume.)

 

Eh bien ! écrivons-la,

Cette lettre d’amour qu’en moi-même j’ai faite

Et refaite cent fois, de sorte qu’elle est prête,

Et que mettant mon âme à côté du papier,

Je n’ai tout simplement qu’à la recopier.

 

(Il écrit. – Derrière le vitrage de la porte on voits’agiter des silhouettes maigres et hésitantes.)

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