Scène II
Roxane, De Guiche, la duègne, àl’écart.
ROXANE, à De Guiche, lui faisantune révérence.
Je sortais.
DE GUICHE.
Je viens prendre congé.
ROXANE.
Vous partez ?
DE GUICHE.
Pour la guerre.
ROXANE.
Ah !
DE GUICHE.
Ce soir même.
ROXANE.
Ah !
DE GUICHE.
J’ai
Des ordres. On assiège Arras.
ROXANE.
Ah !… on assiège ?…
DE GUICHE.
Oui… Mon départ a l’air de vous laisser de neige.
ROXANE, poliment.
Oh !…
DE GUICHE.
Moi, je suis navré. Vousreverrai-je ?… Quand ?
– Vous savez que je suis nommé mestre de camp ?
ROXANE, indifférente.
Bravo.
DE GUICHE.
Du régiment des gardes.
ROXANE, saisie.
Ah ? des gardes ?
DE GUICHE.
Où sert votre cousin, l’homme aux phrases vantardes.
Je saurai me venger de lui, là-bas.
ROXANE, suffoquée.
Comment !
Les gardes vont là-bas ?
DE GUICHE, riant.
Tiens ! c’est monrégiment !
ROXANE, tombant assise sur lebanc, – à part.
Christian !
DE GUICHE.
Qu’avez-vous ?
ROXANE, toute émue.
Ce… départ… me désespère !
Quand on tient à quelqu’un, le savoir à la guerre !
DE GUICHE, surpris etcharmé.
Pour la première fois me dire un mot si doux,
Le jour de mon départ !
ROXANE, changeant de ton ets’éventant.
Alors, – vous allez vous
Venger de mon cousin ?…
DE GUICHE, souriant.
On est pour lui ?
ROXANE.
Non, – contre !
DE GUICHE.
Vous le voyez ?
ROXANE.
Très peu.
DE GUICHE.
Partout on le rencontre
Avec un des cadets…
(Il cherche le nom.)
ce Neu… villen… viller…
ROXANE.
Un grand ?
DE GUICHE.
Blond.
ROXANE.
Roux.
DE GUICHE.
Beau !…
ROXANE.
Peuh !
DE GUICHE.
Mais bête.
ROXANE.
Il en a l’air !
(Changeant de ton.)
… Votre vengeance envers Cyrano ? – c’est peut-être
De l’exposer au feu, qu’il adore ?… Elle estpiètre !
Je sais bien, moi, ce qui lui serait sanglant !
DE GUICHE.
C’est ?…
ROXANE.
Mais si le régiment, en partant, le laissait
Avec ses chers cadets, pendant toute la guerre,
À Paris, bras croisés !… C’est la seule manière,
Un homme comme lui, de le faire enrager.
Vous voulez le punir ? privez-le de danger.
DE GUICHE.
Une femme ! une femme ! il n’y a qu’une femme
Pour inventer ce tour !
ROXANE.
Il se rongera l’âme,
Et ses amis les poings, de n’être pas au feu.
Et vous serez vengé !
DE GUICHE, serapprochant.
Vous m’aimez donc un peu ?
(Elle sourit.)
Je veux voir dans ce fait d’épouser ma rancune
Une preuve d’amour, Roxane !…
ROXANE.
C’en est une.
DE GUICHE, montrant plusieursplis cachetés.
J’ai les ordres sur moi qui vont être transmis
À chaque compagnie, à l’instant même, hormis…
(Il en détache un.)
Celui-ci ! C’est celui des cadets.
(Il le met dans sapoche.)
Je le garde.
(Riant.)
Ah ! ah ! ah ! Cyrano !… Son humeurbataillarde !…
– Vous jouez donc des tours aux gens, vous ?…
ROXANE, le regardant.
Quelquefois.
DE GUICHE, tout prèsd’elle.
Vous m’affolez ! Ce soir – écoutez – oui, je dois
Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue !…
Écoutez. Il y a, près d’ici, dans la rue
D’Orléans, un couvent fondé par le syndic
Des capucins, le Père Athanase. Un laïc
N’y peut entrer. Mais les bons Pères, je m’en charge !…
Ils peuvent me cacher dans leur manche : elle estlarge.
– Ce sont les capucins qui servent Richelieu
Chez lui ; redoutant l’oncle, ils craignent leneveu. –
On me croira parti. Je viendrai sous le masque.
Laissez-moi retarder d’un jour, chère fantasque !…
ROXANE, vivement.
Mais si cela s’apprend, votre gloire…
DE GUICHE.
Bah !
ROXANE.
Mais
Le siège, Arras…
DE GUICHE.
Tant pis ! Permettez !
ROXANE.
Non !
DE GUICHE.
Permets !
ROXANE, tendrement.
Je dois vous le défendre !
DE GUICHE.
Ah !
ROXANE.
Partez !
(À part.)
Christian reste.
(Haut.)
Je vous veux héroïque, – Antoine !
DE GUICHE.
Mot céleste !
Vous aimez donc celui ?…
ROXANE.
Pour lequel j’ai frémi.
DE GUICHE, transporté dejoie.
Ah ! je pars !
(Il lui baise la main.)
Êtes-vous contente ?
ROXANE.
Oui, mon ami !
(Il sort.)
LA DUÈGNE, lui faisant dans ledos une révérence comique.
Oui, mon ami !
ROXANE, à la duègne.
Taisons ce que je viens de faire.
Cyrano m’en voudrait de lui voler sa guerre !
(Elle appelle vers la maison.)
Cousin !