Cyrano de Bergerac

Scène X

Cyrano, Christian.

 

CYRANO.

 

Embrasse-moi !

 

CHRISTIAN.

 

Monsieur…

 

CYRANO.

 

Brave.

 

CHRISTIAN.

 

Ah çà ! mais !…

 

CYRANO.

 

Très brave. Je préfère.

 

CHRISTIAN.

 

Me direz-vous ?…

 

CYRANO.

 

Embrasse-moi. Je suis son frère.

 

CHRISTIAN.

 

De qui ?

 

CYRANO.

 

Mais d’elle !

 

CHRISTIAN.

 

Hein ?…

 

CYRANO.

 

Mais de Roxane !

 

CHRISTIAN, courant àlui.

 

Ciel !

Vous, son frère ?

 

CYRANO.

 

Ou tout comme : un cousinfraternel.

 

CHRISTIAN.

 

Elle vous a ?…

 

CYRANO.

 

Tout dit !

 

CHRISTIAN.

 

M’aime-t-elle ?

 

CYRANO.

 

Peut-être !

 

CHRISTIAN, lui prenant lesmains.

 

Comme je suis heureux, Monsieur, de vous connaître !

 

CYRANO.

 

Voilà ce qui s’appelle un sentiment soudain.

 

CHRISTIAN.

 

Pardonnez-moi…

 

CYRANO, le regardant, et luimettant la main sur l’épaule.

 

C’est vrai qu’il est beau, legredin !

 

CHRISTIAN.

 

Si vous saviez, Monsieur, comme je vous admire !

 

CYRANO.

 

Mais tous ces nez que vous m’avez…

 

CHRISTIAN.

 

Je les retire !

 

CYRANO.

 

Roxane attend ce soir une lettre…

 

CHRISTIAN.

 

Hélas !

 

CYRANO.

 

Quoi ?

 

CHRISTIAN.

 

C’est me perdre que de cesser de rester coi !

 

CYRANO.

 

Comment ?

 

CHRISTIAN.

 

Las ! je suis sot à m’en tuer dehonte !

 

CYRANO.

 

Mais non, tu ne l’es pas, puisque tu t’en rends compte.

D’ailleurs, tu ne m’as pas attaqué comme un sot.

 

CHRISTIAN.

 

Bah ! on trouve des mots quand on monte àl’assaut !

Oui, j’ai certain esprit facile et militaire,

Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire.

Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi desbontés…

 

CYRANO.

 

Leurs cœurs n’en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ?

 

CHRISTIAN.

 

Non ! car je suis de ceux, – je le sais… et jetremble ! –

Qui ne savent parler d’amour.

 

CYRANO.

 

Tiens !… Il me semble

Que si l’on eût pris soin de me mieux modeler,

J’aurais été de ceux qui savent en parler.

 

CHRISTIAN.

 

Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce !

 

CYRANO.

 

Être un joli petit mousquetaire qui passe !

 

CHRISTIAN.

 

Roxane est précieuse et sûrement je vais

Désillusionner Roxane !

 

CYRANO, regardantChristian.

 

Si j’avais

Pour exprimer mon âme un pareil interprète !

 

CHRISTIAN, avecdésespoir.

 

Il me faudrait de l’éloquence !

 

CYRANO, brusquement.

 

Je t’en prête !

Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m’en.

Et faisons à nous deux un héros de roman !

 

CHRISTIAN.

 

Quoi ?

 

CYRANO.

 

Te sens-tu de force à répéter leschoses

Que chaque jour je t’apprendrai ?…

 

CHRISTIAN.

 

Tu me proposes ?…

 

CYRANO.

 

Roxane n’aura pas de désillusions !

Dis, veux-tu qu’à nous deux nous la séduisions ?

Veux-tu sentir passer, de mon pourpoint de buffle

Dans ton pourpoint brodé, l’âme que je t’insuffle !…

 

CHRISTIAN.

 

Mais, Cyrano !…

 

CYRANO.

 

Christian, veux-tu ?

 

CHRISTIAN.

 

Tu me fais peur !

 

CYRANO.

 

Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur,

Veux-tu que nous fassions – et bientôt tul’embrases ! –

Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ?…

 

CHRISTIAN.

 

Tes yeux brillent !…

 

CYRANO.

 

Veux-tu ?…

 

CHRISTIAN.

 

Quoi ! cela te ferait

Tant de plaisir ?…

 

CYRANO, avec enivrement.

 

Cela…

 

(Se reprenant, et enartiste.)

 

Cela m’amuserait !

C’est une expérience à tenter un poète.

Veux-tu me compléter et que je te complète ?

Tu marcheras, j’irai dans l’ombre à ton côté.

Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.

 

CHRISTIAN.

 

Mais la lettre qu’il faut, au plus tôt, lui remettre !

Je ne pourrai jamais…

 

CYRANO, sortant de son pourpointla lettre qu’il a écrite.

 

Tiens, la voilà, ta lettre !

 

CHRISTIAN.

 

Comment ?

 

CYRANO.

 

Hormis l’adresse, il n’y manque plusrien.

 

CHRISTIAN.

 

Je…

 

CYRANO.

 

Tu peux l’envoyer. Sois tranquille.Elle est bien.

 

CHRISTIAN.

 

Vous aviez ?…

 

CYRANO.

 

Nous avons toujours, nous, dans nospoches,

Des épîtres à des Chloris… de nos caboches,

Car nous sommes ceux-là qui pour amante n’ont

Que du rêve soufflé dans la bulle d’un nom !…

Prends, et tu changeras en vérités ces feintes ;

Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes.

Tu verras se poser tous ces oiseaux errants.

Tu verras que je fus dans cette lettre –prends ! –

D’autant plus éloquent que j’étais moins sincère !

– Prends donc, et finissons !

 

CHRISTIAN.

 

N’est-il pas nécessaire

De changer quelques mots ? Écrite en divaguant,

Ira-t-elle à Roxane ?

 

CYRANO.

 

Elle ira comme un gant !

 

CHRISTIAN.

 

Mais…

 

CYRANO.

 

La crédulité de l’amour-propre est telle,

Que Roxane croira que c’est écrit pour elle !

 

CHRISTIAN.

 

Ah ! mon ami !

 

(Il se jette dans les bras deCyrano. Ils restent embrassés.)

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