La Garden-party et autres nouvelles

Chapitre 2

 

Ce qui compliquait encore les choses, c’étaitque la garde-malade, Nurse Andrews, passait la semainechez elles. C’était bien leur faute. Le matin de la… bref, ledernier matin, après le départ du docteur, Joséphine avait dit àConstance :

– Ne trouves-tu pas que ce serait plutôtgentil d’inviter Nurse Andrews à rester encore unesemaine ?

– Très gentil, répondit Constance.

– Voilà ce que j’ai pensé, continuaprécipitamment Joséphine, je lui dirais simplement cet après-midiaprès l’avoir payée : « Ma sœur et moi serions trèsheureuses, après tout ce que vous avez fait pour nous, NurseAndrews, si vous vouliez bien rester encore huit jours, eninvitée. » Il faudrait que je dise ça, « eninvitée », pour le cas où…

– Oh ! mais elle ne pourraitpourtant pas s’attendre à être payée ! cria Constance.

– On ne sait jamais, dit avec sagacitéJoséphine.

Naturellement, Nurse Andrews avait saisi cetteoffre au vol. Mais c’était bien ennuyeux. Cela les obligeait àprendre leurs repas correctement à table et à heures fixes, tandisque, si elles avaient été seules, elles auraient pu tout bonnementprier Kate, si cela ne la dérangeait pas, de leur apporter unplateau dans la pièce où elles se tenaient. Et le moment des repas,à présent que la crise était passée, devenait un peu uneépreuve.

Car Nurse Andrews, quand il s’agissait de seservir de beurre, était vraiment terrible. Certes, il étaitimpossible de ne pas penser qu’à cet égard, en tout cas, elleabusait de leur bonté. Et puis, elle avait cette habitudeexaspérante de demander un tout petit bout de pain pour finir cequ’elle avait sur son assiette et ensuite, à la dernière bouchée,d’un air distrait, – sans être distraite le moins du monde, bienentendue – de se servir de nouveau. Quand cela lui arrivait,Joséphine devenait très rouge et fixait sur la nappe ses petitsyeux opaques et ronds, comme si elle y voyait ramper quelqueétrange et minuscule insecte. Mais le long visage pâle de Constances’allongeait encore, se figeait ; elle regardait au loin – auloin – là-bas, par-delà le désert, vers l’espace où cetteprocession de chameaux se dévidait comme un fil de laine…

– Quand j’étais chez Lady Tukes, disaitNurse Andrews, elle avait une petite machine si coquette pourservir le beurre. C’était un petit Amour en argent qui se tenait enéquilibre sur le… sur le bord d’un plat de cristal, avec unefourche en miniature à la main. Et quand on voulait du beurre, ehbien, on appuyait tout simplement sur son pied, il se penchait,piquait un morceau et vous le donnait. Ça faisait un véritableamusement quoi !

À Joséphine, cette histoire parut presqueintolérable. Mais tout ce qu’elle dit, ce fut :

– Je trouve ces choses-là parfaitementextravagantes.

– Mais pourquoi donc ? demanda NurseAndrews, les yeux rayonnants derrière ses lunettes. Personne, poursûr, ne songeait à prendre plus de beurre qu’il ne lui en faut, pasvrai ?

– Sonne, Connie ! cria Joséphine.Elle ne se sentait pas assez sûre d’elle-même pour riposter.

Et l’orgueilleuse jeune Kate, la princesseCendrillon, vint voir ce que réclamaient à présent les vieilleschattes. Elle enleva violemment les assiettes où elles avaientmangé je ne sais quel fade ragoût et plaqua sur la table unentremets pâle et tremblant.

– La confiture, s’il vous plaît, Kate,lui dit gentiment Joséphine.

Kate s’agenouilla, ouvrit le buffet avecfracas, souleva le couvercle du pot de confiture, vit qu’il étaitvide, le mit sur la table et s’en fut à grands pas.

– Je crois bien, dit un instant aprèsNurse Andrews, qu’il n’y a rien là-dedans.

– Oh ! que c’est ennuyeux ! ditJoséphine.

Elle se mordit la lèvre.

– Que faudrait-il faire ?

Constance semblait perplexe.

– Nous ne pouvons pas déranger Kate denouveau, murmura-t-elle.

Nurse Andrews attendit ; elle souriait enles regardant toutes deux. Ses yeux erraient çà et là, examinanttout derrière leurs lunettes. De désespoir, Constance se remit àcontempler ses chameaux. Joséphine fronçait énergiquement lessourcils, concentrant ses pensées. Sans cette imbécile de femme,elle et Constance auraient, bien entendu, mangé leur entremets sansconfiture. Tout à coup, l’inspiration lui vint.

– Je sais, dit-elle. De la marmeladed’oranges. Il y en a dans le buffet. Donne-la, Constance.

– J’espère, dit en riant Nurse Andrews –et son rire faisait le bruit d’une cuillère qui tinte contre unverre à potion – j’espère que ce n’est pas de la marmelade tropamère.

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