La Garden-party et autres nouvelles

Chapitre 8

 

Joséphine ne répondit pas. Sa pensée, comme decoutume, avait pris la tangente. Elle avait soudain songé à Cyril.N’était-ce pas plus normal de donner la montre à l’uniquepetit-fils ? Ce cher Cyril, en outre, savait si bien apprécierun cadeau, et une montre d’or avait tant de prix pour un jeunehomme. Benny, fort probablement, avait complètement perdul’habitude d’en avoir une ; dans ces climats tropicaux, leshommes portent si rarement des gilets. Tandis que Cyril, à Londres,en portait d’un bout de l’année à l’autre. Et ce serait si gentil,pour elle et pour Constance, lorsqu’il viendrait prendre le théavec elles, de savoir qu’elle était là. « Je vois, Cyril, quetu as toujours la montre de ton grand-père. » Ce serait, enquelque sorte, une si grande satisfaction.

Le cher enfant ! quel coup leur avaitporté son affectueuse, sa sympathique petite lettred’excuses ! Bien entendu, elles avaient compris tout àfait ; mais c’était une circonstance des plusregrettables.

– Nous aurions tellement tenu àl’avoir ! avait dit Joséphine.

– Et il aurait eu tant de plaisir !avait répondu Constance, sans penser à ce qu’elle disait.

Toutefois, dès qu’il serait de retour, ilviendrait prendre le thé avec ses tantes. Recevoir Cyril étaitl’une de leurs rares joies.

– Voyons, Cyril, tu ne vas pas te laisserintimider par nos gâteaux. Tante Constance et moi, nous les avonsachetés ce matin chez Buszard. Nous savons ce qu’est un appétitd’homme. Donc, n’aie pas honte de te régaler.

Joséphine coupait des tranches copieuses dugâteau savoureux et sombre qui avait absorbé le prix de ses gantsd’hiver ou du ressemelage des seuls souliers convenables de sasœur. Mais l’appétit de Cyril était tout à fait indigne d’unhomme.

– Ma foi, tante Joséphine, j’en suisvraiment incapable. Je viens à peine de déjeuner, vous savez.

– Oh ! Cyril, c’estimpossible ! Il est quatre heures passées, criait Joséphine.Constance restait là, son couteau suspendu au-dessus du gâteau auchocolat.

– C’est tout de même vrai, affirmaitCyril. Il a fallu que j’aille rejoindre un ami à la gare deVictoria et il m’a fait attendre jusqu’à… enfin, je n’ai eu que letemps de déjeuner et de venir ici. Et il m’a fait faire… pff… –Cyril passa sa main sur son front – une de ces bombances !

Quelle déception ! et justementaujourd’hui. Mais enfin, il ne pouvait pas savoir…

– Pourtant, tu prendras bien unemeringue, n’est-ce pas, Cyril ? dit tante Joséphine. Cesmeringues-là ont été achetées particulièrement à ton intention. Toncher père en raffolait. Nous étions convaincues que tu les aimaisaussi.

– Certes, tante Joséphine ! criaCyril avec ferveur. Est-ce que ça vous est égal que j’en prenne lamoitié d’une pour commencer ?

– Bien sûr, mon cher garçon ; maisnous ne devons pas te tenir quitte à si bon compte.

– Ton cher père est-il toujours aussigrand amateur de meringues ? demanda doucement tante Connie.Elle fronça un peu le nez en brisant la coque de la sienne.

– Ma foi, je ne sais pas trop, tantine,dit Cyril d’un air dégagé.

Sur quoi, toutes deux levèrent les yeux.

– Tu ne sais pas ? riposta tanteJoséphine, presque avec aigreur. Tu ne sais pas cela, quand ils’agit de ton propre père, Cyril ?

– Évidemment ! ajouta Connie àmi-voix.

Cyril essaya de s’en tirer en riant.

– Oh ! eh bien, dit-il, il y a silongtemps que…

Il hésita. Il s’arrêta. Les figures qu’ellesfaisaient – c’en était trop pour lui.

– Vraiment, ça ! ditJoséphine.

Et tante Constance avait un air !

Cyril posa sa tasse.

– Attendez un peu, cria-t-il. Attendez unpeu, tante Joséphine. À quoi donc ai-je pensé ?

Il leva les yeux. Elles commençaient à serasséréner. Cyril se donna une claque sur le genou.

– Mais bien sûr, dit-il, lesmeringues ! Comment ai-je pu oublier ça ? Oui, tanteJoséphine, vous avez parfaitement raison. Papa adore toutsimplement les meringues.

Elles ne se contentèrent pas de rayonner.Tante Joséphine devint écarlate de plaisir. Tante Connie poussa unprofond, profond soupir.

– Et maintenant, Cyril, il faut que tuviennes voir grand-père, dit Joséphine. Il sait que tu devais veniraujourd’hui.

– Entendu, répondit Cyril, d’un ton trèsferme et très cordial.

Il se leva ; tout à coup il jeta unregard à la pendule.

– Dites donc, tante Connie, est-ce quevotre pendule ne retarde pas un peu ? Il faut que j’ailleretrouver quelqu’un à… à la gare de Paddington, à cinq heures etquelques. Je crains de ne pas pouvoir rester bien longtemps avecgrand-père.

– Oh ! il ne s’attendra pas à ce quetu restes très, très longtemps, dit Joséphine.

Constance contemplait toujours la pendule.Elle ne pouvait pas décider si elle avançait ou retardait. C’étaitl’un ou l’autre, de cela elle était à peu près sure. En tout cas,il avait dû y avoir quelque chose.

Cyril attendait toujours.

– Est-ce que vous ne venez pas,tantine ?

– Mais bien sûr, dit Joséphine, nous yallons tous. Viens donc, Connie.

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