La Garden-party et autres nouvelles

Chapitre 2

 

– Tchk, tchk, tchk…, caquetaitla cuisinière, ainsi qu’une poule excitée.

Sadie tenait sa main appliquée sur sa jouecomme si elle avait eu mal aux dents. Hans plissait son visage enfaisant effort pour comprendre. Seul le garçon de chez Godberparaissait jouir de la situation ! le beau rôle du conteurétait à lui.

– Qu’y a-t-il ? Qu’est-ilarrivé ?

– Il y eut un accident épouvantable, ditla cuisinière. Un homme a été tué.

– Un homme tué ! Où ?Comment ? Quand ?

Mais le garçon de chez Godber n’allait pas selaisser rafler son histoire, comme ça, sous son nez.

– Vous connaissez ces petitesmaisonnettes, juste là-dessous, mademoiselle ?

Si elle les connaissait ? Maisnaturellement.

– Eh bien, y a un jeune homme qui demeurelà, un nommé Scott, un charretier. Son cheval a fait un écartdevant un tracteur automobile, ce matin, au coin de Hawke Street,et lui, il a été projeté, il est tombé sur la nuque. Tué net.

– Mort !

Laura regardait fixement le garçon de chezGodber.

– Mort quand on l’a relevé, dit le garçonde chez Godber.

– Mort quand on l’a relevé, dit le garçonde chez Godber, comme s’il savourait sa phrase. On emportait lecorps chez eux, le moment que je venais ici.

Et il dit à la cuisinière :

– Il laisse une femme et cinq gosses.

– Josée, viens ici.

Laura saisit la manche de sa sœur et,traversant la cuisine, l’entraîna de l’autre côté de la portecapitonnée de serge verte. Là, elle s’arrêta et s’appuya aubattant.

– Josée ! dit-elle avec horreur,comment allons-nous donc faire pour tout arrêter ?

– Pour tout arrêter, Laura ? criaJosée stupéfaite. Que veux-tu dire ?

– Empêcher la garden-party, bienentendu.

Pourquoi Josée faisait-elle semblant de ne pascomprendre ? Mais Josée était encore plus stupéfaitequ’avant.

– Empêcher lagarden-party ? Ma chère Laura, ne sois pas siabsurde. On ne peut pas faire des choses pareilles, cela va sansdire. Personne n’attend cela de nous. Ne sois pas siextravagante.

– Mais il n’est pas possible que nousdonnions une garden-party quand un homme vient de mourirjuste à notre porte.

Idée vraiment extravagante que celle-là,puisque les cottages se trouvaient tout seuls dans uneruelle, au pied même d’une pente abrupte qui montait jusqu’à lamaison. Une large route les en séparait. Il est vrai qu’ils étaientbeaucoup trop près. Ils gâchaient abominablement la vue etn’avaient, dans ce quartier-là, aucun droit à l’existence.C’étaient de mesquines petites demeures peintes en brun chocolat.Dans leurs jardinets, on ne voyait que des tiges de choux, despoules maladives et des boîtes de conserves de tomates vides. Mêmela fumée qui sortait de leurs cheminées avait un air indigent.C’étaient de petits lambeaux, des débris de fumée, si différentsdes grands panaches argentés qui de déroulaient au sortir descheminées de Sheridan. Dans la ruelle habitaient desblanchisseuses, des marronneurs[2] et un hommedont la maison avait sa façade toute parsemée de minuscules cagesd’oiseaux. Les enfants fourmillaient. Quand les Sheridan étaientpetits, il leur était défendu de mettre le pied dans ce chemin àcause du langage odieux qu’on y entendait et des maladies qu’ilsauraient pu attraper. Mais, depuis qu’ils avaient grandi, Laura etLaurie dans leurs escapades y passaient quelquefois. L’endroitétait dégoûtant et sordide. Ils en sortaient avec un frisson. Maiscependant il fallait bien aller partout ; il fallait toutvoir. Donc ils y allaient.

– Pense un peu à l’effet que ferait lebruit de l’orchestre sur cette pauvre femme, dit Laura.

– Oh ! Laura !

Josée commençait à être sérieusementagacée.

– Si tu te mets à empêcher un orchestrede jouer chaque fois qu’il arrive un accident à quelqu’un, tumèneras une vie bien difficile. Je regrette cette catastropheabsolument comme toi. Je me sens tout autant de sympathie.

Ses yeux devinrent durs. Elle regarda sa sœurtout à fait de l’air qu’elle avait quand elles étaient petites etqu’elles se battaient.

– Tu ne ressusciteras pas un ouvrier ivrepar ta sentimentalité ! dit-elle doucement.

– Ivre ! Qui a dit qu’il étaitivre ?

Laura se tourna furieuse vers Josée. Elle dit,exactement comme elles en avaient eu coutume dans cesmoments-là :

– Je m’en vais tout droit le dire àmaman.

– Vas-y, chérie, roucoula Josée.

– Maman, puis-je entrer dans tachambre ?

Laura retournait le gros bouton de verre de laporte.

– Certainement, ma petite. Quoi ?qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui t’a donné des couleurspareilles ?

Et madame Sheridan se détourna de sa table àcoiffer. Elle essayait un chapeau neuf.

– Maman, un homme vient d’être tué,commença Laura.

– Pas dans le jardin, au moins ?interrompit sa mère.

– Non, non !

– Oh ! quelle peur tu m’asfaite !

Madame Sheridan poussa un soupir dedélivrance, ôta le grand chapeau et le garda sur ses genoux.

– Mais écoute donc, maman, dit Laura.

Hors d’haleine, étouffant à moitié, elleraconta la terrible histoire.

– Nous ne pouvons pas donner notre fête,ça va sans dire, n’est-ce pas ? dit-elle. Avec l’orchestre ettous les invités qui arriveront. On nous entendrait, maman ;ce sont presque des voisins !

Au grand étonnement de Laura, sa mère fitexactement comme Josée ; ce fut plus dur à supporter, parcequ’elle paraissait amusée et refusait de prendre Laura ausérieux.

– Mais, ma chère enfant, fais appel à tonbon sens. Ce n’est que par hasard que nous avons appris la chose.Si quelqu’un était mort là-bas d’une façon normale – et je ne peuxpas comprendre comment ils arrivent à rester en vie dans ces petitstrous sans air – nous ne renoncerions pas à donner notre fête,n’est-il pas vrai ?

Laura fut obligée de répondre« oui », mais elle avait le sentiment que tout celan’était pas juste. Elle s’assit sur la chaise longue de sa mère etpinça le volant du coussin.

– Maman, est-ce que ce n’est pascruellement indifférent de notre part ? demanda-t-elle.

– Ma chérie !

Madame Sheridan se leva et vint à elle, lechapeau dans les mains. Avant que Laura eût pu l’arrêter, elle l’enavait prestement coiffée.

– Mon enfant, dit-elle, ce chapeaut’appartient. Il est fait pour toi. Pour moi, il est beaucoup tropjeune. Jamais tu n’as tant ressemblé à un charmant portrait.Regarde-toi donc !

Et elle lui tendit sa glace à main.

– Mais, maman,… recommença Laura.

Elle ne put pas se regarder ; elle sedétourna.

Cette fois, madame Sheridan perdit patience,tout comme avait fait Josée.

– Tu es en train de te rendre trèsridicule, Laura, dit-elle froidement. Des gens comme ça nes’attendent pas à des sacrifices de notre part. Et c’est un manquede sympathie que de gâter le plaisir de tout le monde, comme tu lefais en ce moment.

– Je ne comprends pas, dit Laura ;et elle sortit vivement de la pièce et entra dans sa chambre àcoucher.

Là, par un pur hasard, la première chosequ’elle vit fut l’image, dans le miroir, de cette charmante jeunefille sous son chapeau noir orné de pâquerettes d’or et d’un longruban de velours noir. Jamais elle n’avait imaginé qu’elle pouvaitêtre aussi jolie. « Maman a-t-elle raison ? »pensa-t-elle. Maintenant, elle espérait que oui. « Ai-je desidées extravagantes ? » Peut-être en avait-elle. Un brefinstant, elle eut une autre vision de cette pauvre femme, de cespetits enfants, du corps qu’on apportait dans cette maison. Maistout cela semblait confus, irréel, comme une gravure dans unjournal. « Je m’en ressouviendrai quand la fête serafinie », décida-t-elle. Et cela lui parut, en quelque sorte,la meilleure solution…

À une heure et demie, le lunch étaitterminé. À deux heures et demie, ils étaient tous prêts au combat.Les musiciens en habit vert étaient arrivés et s’étaient installésdans un coin du tennis.

– Ma chère ! gazouilla KittyMaitland, on dirait des grenouilles. Vous auriez dû les disposerautour du petit lac et mettre au milieu le chef d’orchestre sur unefeuille !

Laurie arriva et, en allant s’habiller,interpella gaiement les jeunes filles. À sa vue, Laura se rappelal’accident. Elle voulut lui en parler. Si Laurie était de l’avisdes autres, c’est que certainement tout allait bien. Et elle lesuivit dans le vestibule.

– Laurie !

– Hallo !

Il était à mi-hauteur de l’escalier, mais ense retournant et en voyant Laura, il gonfla tout à coup ses joueset arrondit ses yeux pour la regarder.

– Ma parole, Laura ! tu es vraimentépatante, dit-il. Voilà un chapeau absolumentébouriffant !

Laura dit faiblement : « C’estvrai ? », sourit à Laurie et, après tout, ne lui ditrien.

Bientôt, les invités commencèrent à arriver àflots. L’orchestre se mit à jouer ; les domestiques engagéspour la circonstance couraient de la maison à la tente. Partout oùon jetait les yeux, il y avait des couples qui flânaient, sepenchaient vers les fleurs, échangeaient des saluts, parcouraientla pelouse. Ils ressemblaient à d’éclatants oiseaux qui se seraientposés dans le jardin des Sheridan, pour cet après-midi seulement,en voyage pour… où donc ? Ah ! le bonheur que c’estd’être avec des gens qui sont tous heureux, de serrer des mains, depresser des joues, de sourire à des yeux.

– Laura chérie, que vous êtesjolie !

– Quel chapeau seyant, mapetite !

– Laura, vous avez un air tout à faitespagnol. Je ne vous ai jamais vue si en beauté !

Et Laura, rayonnante, répondaitdoucement :

– Avez-vous pris du thé ? Nevoulez-vous pas de glace ? Je vous assure que les glaces auxfruits sont quelque chose d’assez spécial.

Elle courait à son père etsuppliait :

– Petit père chéri, est-ce qu’on ne peutpas donner quelque chose à boire aux musiciens ?

Et le parfait après-midi s’épanouit lentement,lentement se fana, lentement referma ses pétales.

– Jamais vu une plus délicieusegarden-party… Le plus grand succès… Vraiment le plusparfait…

Laura aidait sa mère à recevoir lescompliments d’adieu. Elles restèrent debout l’une près de l’autresous le porche jusqu’à ce que tout fût terminé.

– Fini, complètement fini, grâce auCiel ! dit madame Sheridan. Va rassembler les autres, Laura.Allons prendre du café. Je suis épuisée. Oui, tout a parfaitementréussi. Mais oh ! ces réceptions, ces réceptions !Pourquoi insistez-vous, vous autres enfants, pour donner desfêtes ?

Ils s’assirent tous sous la tente déserte.

– Un sandwich, petit père ? C’estmoi qui ai copié ce petit écriteau.

– Merci.

M. Sheridan mangea une bouchée et lesandwich disparut. Il en prit un autre.

– Je pense que vous n’avez pas entenduparler d’un affreux accident qui est arrivé ce matin ?dit-il.

– Mon cher ami, dit madame Sheridan,levant la main, nous l’avons appris. Il a failli être la ruine denotre fête. Laura voulait absolument que nous la renvoyions.

– Oh ! maman !

Laura n’avait pas envie qu’on la taquinât à cesujet.

– Tout de même, c’est une tristehistoire, dit M. Sheridan. Ce garçon-là était marié,par-dessus le marché. Il demeurait là-dessous, dans cette ruelle,et il laisse une femme et une demi-douzaine de mioches, à ce qu’ondit.

Un petit silence embarrassant tomba. MadameSheridan remuait nerveusement sa tasse. Vraiment, c’était de lapart de papa, un manque de tact…

Soudain, elle leva les yeux. Là, sur la table,s’étalaient tous ces sandwiches, ces gâteaux, ces choux à la crème,qui restaient intacts, qui allaient tous se perdre. Une de sesbrillantes inspirations lui vint.

– Voilà, dit-elle. Remplissons un panier.Envoyons à cette pauvre créature une partie de ces bonnes choses.En tout cas, ce sera le plus grand régal possible pour les enfants.N’êtes-vous pas de cet avis ? Et elle ne peut manquer d’avoirdes visites de voisins en tout ce qui s’ensuit. Comme ça va tomberà point d’avoir tout cela prêt. Laura !

Elle se leva d’un bond.

– Va me chercher le grand panier dans leplacard, sous l’escalier.

– Mais, maman, crois-tu vraiment que cesoit une bonne idée ? dit Laura.

De nouveau, que c’était curieux ! ellesemblait être différente de tous les autres. Apporter là-bas lesreliefs de leur fête ! cela ferait-il vraiment plaisir à lapauvre femme ?

– Naturellement ! Qu’as-tu doncaujourd’hui ? Il y a une heure ou deux, tu insistais pour quenous sympathisions et à présent…

Oh ! tant pis ! Laura courutchercher le panier. Il fut rempli, il fut bourré par sa mère.

– Porte-le-lui toi-même, ma chérie,dit-elle. Cours là-bas, comme tu es. Non, attends, prends aussi cesarums. Les arums font toujours impression sur les gens de cetteclasse-là.

– Les tiges vont abîmer sa robe dedentelle, dit Josée, la femme pratique.

En effet. Il n’était que temps.

– Rien que le panier, alors. Et puis,Laura !…

Sa mère la suivit comme elle quittait latente.

– Ne va sous aucun prétexte…

– Quoi donc, maman ?

Non, il valait mieux ne pas mettre des idéespareilles dans la tête de cette enfant !

– Rien ! Va, cours.

Le crépuscule commençait à tomber comme Laurarefermait la grille de leur jardin. Un gros chien passait encourant, pareil a une ombre. La route luisait toute blanche etlà-bas, dans le creux, les maisonnettes étaient plongées dans uneobscurité profonde. Comme tout semblait tranquille après cettejournée ! Voilà qu’elle descendait la colline, allant quelquepart où un homme gisait mort, et elle ne parvenait pas à saisir laréalité de ce fait. Pourquoi donc ne le pouvait-elle pas ?Elle s’arrêta une minute. Et il lui sembla que les baisers, lesvoix, les tintements des cuillères, les rires, l’odeur de l’herbepiétinée étaient, elle ne savait comment, en elle. Il n’y avait pasde place pour autre chose. Que c’était étrange ! Elle leva lesyeux vers le ciel pâle, et la seule pensée qui lui vint futcelle-ci : « Oui, c’était la fête la plusréussie. »

Maintenant, elle avait traversé la largeroute. La ruelle s’ouvrait, enfumée et sombre. Des femmesenveloppées de châles, coiffées de casquettes d’ouvriers, passaienten se hâtant. Des hommes se penchaient par-dessus lesclôtures : les enfants jouaient devant les portes. Unbourdonnement étouffé venait des mesquins petits cottages.Quelques-uns laissaient voir une lumière vacillante, et une ombrepassait, pareille à un crabe, contre la fenêtre. Laura baissa latête et pressa le pas. Elle regrettait à présent de n’avoir pas misde manteau.

Comme sa robe brillait ! et ce grandchapeau aux flottants rubans de velours… si c’était seulement unautre chapeau ! Est-ce que les gens la regardaient ? Oui,sans doute. C’était une erreur que d’être venue ; tout letemps, elle avait eu conscience que c’était une erreur. Fallait-ils’en retourner, même à présent ?

Non, il était trop tard. C’était cettemaison-là. Ce devait être elle. Un sombre groupe de gens se tenaità l’extérieur. À la porte du jardin une vieille, vieille femme,avec une béquille, était assise sur une chaise et montait la garde.Elle avait les pieds posés sur un journal. Les voix se turent quandLaura approcha. Le groupe se sépara. C’était comme si elle avaitété attendue, comme si on avait su qu’elle allait venir.

Laura était horriblement gênée. Rejetant leruban de velours sur son épaule, elle dit à une femme qui setrouvait là :

– Est-ce ici que demeure madameScott ?

Et la femme avec un singulier sourire,répondit :

– Oui, ma belle.

Oh ! être loin de tout cela ! Elleen vint à dire : « Aide-moi, mon Dieu ! » enremontant l’étroite petite allée et en frappant à la porte. Êtreloin de ces yeux qui la dévisageaient, ou bien être couverte den’importe quoi, même du châle d’une de ces femmes !

– Je ne ferai que laisser le panier et jem’en irai, décida-t-elle. Je n’attendrai même pas qu’on l’aitvidé.

Alors, la porte s’ouvrit. Une petite femme ennoir parut dans la pénombre.

Laura dit :

– Êtes-vous madame Scott ?

Mais, à son horreur, la femmerépondit :

– Entrez, s’il vous plaît, mamselle.

Et elle se trouva enfermée dans lecorridor.

– Non, dit Laura, je ne veux pas entrer.Je voudrais seulement laisser ce panier. Maman a envoyé…

La petite femme, dans le corridor obscur etmorne, sembla ne pas l’avoir entendue.

– Par ici, s’il vous plaît, mamselle,dit-elle d’une voix onctueuse, et Laura la suivit.

Elle se trouva dans une misérable petitecuisine basse qu’une lampe fumeuse éclairait. Il y avait là unefemme assise devant le feu.

– Emmy, dit la petite créature qui avaitintroduit Laura, Emmy, c’est une demoiselle.

Elle se tourna vers la visiteuse. Elle ditd’un son significatif :

– Je suis sa sœur, mamselle. Vousl’escuserez bien, pas ?

– Oh ! mais naturellement, ditLaura. Je vous en prie, je vous en prie, ne la dérangez pas. Je… jeveux seulement laisser…

Mais à ce moment la femme assise près du feuse retourna. Son visage boursouflé, rouge, les yeux gonflés, leslèvres enflées, paraissait terrible. Elle semblait ne pas pouvoircomprendre pourquoi Laura se trouvait là. Qu’est-ce que celasignifiait ? Pourquoi donc cette étrangère était-elle dans sacuisine, un panier à la main ? Pourquoi ? Et la pauvrefigure se contracta de nouveau.

– Ça va bien, ma chère, dit l’autre, jedirai merci à la demoiselle.

Et elle recommença :

– Vous l’escuserez bien, mamselle, poursûr…

Son visage, enflé lui aussi, ébaucha unmielleux sourire.

Laura ne voulait que sortir, que s’en aller.Elle se trouva de nouveau dans le corridor. Une porte s’ouvrit.Elle entra tout droit dans la chambre où le mort était couché.

– Vous aimeriez bien le regarder un peu,pas vrai ? dit la sœur d’Emmy et, frôlant Laura, elle avançavers le lit. N’ayez pas peur, ma belle…

Maintenant sa voix avait un accent de douceuret de ruse et, d’un geste tendre, elle rabattit le drap.

– Il est beau comme une image. Y a rienqui se voit. Approchez un peu, ma mie.

Laura approcha.

Un jeune homme reposait là, endormi tout àfait… dormant si parfaitement, si profondément, qu’il était loin,très loin d’elles. Oh ! si loin, si paisible ! Il rêvait.Ne le réveillez plus jamais ! Sa tête sombrait dansl’oreiller, ses yeux étaient clos ; ils étaient aveugles sousles paupières baissées. Il s’abandonnait à son rêve. Que luiimportaient les fêtes, les paniers, les robes à dentelles ? Ilétait bien loin de toutes ces choses. Il était merveilleux, ilétait beau. Pendant qu’ils riaient, eux, et que l’orchestre jouait,cet être miraculeux était venu dans la pauvre ruelle.« Heureux… heureux… Tout est bien… » disait ce visageendormi. « Cette chose-ci est telle qu’elle devrait être. Jesuis satisfait. »

Mais cependant, on ne pouvait s’empêcher depleurer, et Laura ne pouvait pas quitter la chambre sans lui dire,à lui, quelque chose. Elle eut un gros sanglot d’enfant :

– Pardon de mon chapeau, dit-elle.

Et cette fois, elle n’attendit pas la sœurd’Emmy. Elle trouva son chemin pour gagner la porte, descendrel’allée, passer devant tous ces gens dans l’ombre. Au coin de laruelle, elle rencontra Laurie. Sortant de l’obscurité, il vint àelle.

– Est-ce toi, Laura ?

– Oui.

– Maman commençait à être inquiète. Touts’est bien passé ?

– Oui, très bien. Oh !Laurie !

Elle prit son bras, se serra contre lui.

– Voyons, tu ne pleures pas, dis ?demanda son frère.

Laura secoua la tête. Elle pleurait.

Laurie passa le bras autour de son épaule.

– Ne pleure pas, dit-il de sa voix chaudeet pleine d’affection. Est-ce que c’était affreux ?

– Non, sanglota Laura. C’étaitmerveilleux, simplement. Mais, Laurie…

Elle s’arrêta, elle regarda son frère.

– N’est-ce pas que la vie,balbutia-t-elle, n’est-ce pas que la vie…

Mais ce qu’était la vie, elle fut incapable del’expliquer. N’importe. Il comprit parfaitement.

– Ah ! n’est-ce pas, chérie ?dit-il.

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