La Garden-party et autres nouvelles

Chapitre 4

 

– Attends-moi, I-sa-belle ! Kézia,attends-moi !

Voilà que la pauvre petite Lottie restait denouveau en arrière, parce qu’elle trouvait si terriblementdifficile d’escalader la barrière toute seule. Quand elle se tenaitperchée sur le premier échelon, ses genoux commençaient àtrembler ; elle se cramponnait au montant. Alors il fallaitpasser une jambe par-dessus. Mais laquelle ! Elle n’étaitjamais capable de le décider. Et quand enfin elle mettait un piedde l’autre côté, en tapant avec une sorte de choc désespéré… alorsla sensation était épouvantable. Elle était à moitié encore dansl’enclos et à moitié dans l’herbe touffue. Elle étreignait lepoteau avec désespoir et élevait la voix.

– Attendez-moi !

– Non, ne va pas l’attendre, Kézia !dit Isabelle. C’est une vraie petite nigaude. Elle fait toujoursdes histoires. Viens donc.

Et elle tira le jersey de Kézia.

– Tu pourras prendre mon seau, si tuviens avec moi, dit-elle gentiment. Il est plus grand que letien.

Mais Kézia ne pouvait pas laisser Lottie touteseule. Elle revint vers elle en courant. À ce moment-là, Lottieavait la figure toute rouge et respirait péniblement.

– Allons, mets ton autre pied par-dessus,dit Kézia.

– Où ?

Lottie la regardait comme du haut d’unemontagne.

– Là, où est ma main.

Kézia tapota l’endroit.

– Oh ! c’est là que tu veuxdire.

Lottie poussa un profond soupir en passa lesecond pied par-dessus.

– À présent… fais comme si tu tournais,assieds-toi et laisse-toi glisser, dit Kézia.

– Mais il n’y a rien pour s’asseoirdessus, Kézia, dit Lottie.

Elle finit par s’en tirer et, dès que ce futfini, elle se secoua et devint rayonnante.

– Je fais des progrès pour grimperpar-dessus les barrières, pas vrai, Kézia ?

Lottie avait une de ces natures qui espèrenttoujours.

Capeline rose et capeline bleue suivirent lacapeline rouge vif d’Isabelle jusqu’au sommet de ce coteauglissant, fuyant sous le pied. Tout en haut, elles s’arrêtèrentpour décider où elles iraient et pour bien regarder qui s’ytrouvait déjà… Vues par-derrière, debout sur le fond du ciel,gesticulant vigoureusement avec leurs pelles, elles faisaientl’effet d’explorateurs minuscules et fort embarrassés.

Toute la famille Samuel Joseph était là déjà,avec la demoiselle qui aidait la mère dans le ménage. Assise sur unpliant, elle maintenait la discipline au moyen d’un sifflet qu’elleportait suspendu au cou et d’une badine avec laquelle elledirigeait les opérations. Jamais les Samuel Joseph ne jouaient toutseuls, ni ne menaient eux-mêmes leur partie. Si par hasard celaarrivait, les garçons finissaient toujours par verser de l’eau dansle cou des filles, ou les filles par essayer de glisser des petitscrabes noirs dans les poches des garçons. Aussi madame SamuelJoseph et la pauvre demoiselle dressaient chaque matin ce que lapremière (chroniquement enchifrenée) appelait un« brogramme » pour « abuser les enfants et lesembêcher de faire des pêtises ». Il consistait toujours enconcours, courses ou jeux de société. Tout commençait par un coupperçant du sifflet de Mademoiselle et finissait de même. Il y avaitmême des prix – de gros paquets enveloppés de papier assez sale,que Mademoiselle, avec un petit sourire aigre, tirait d’un filetrebondi. Les Samuel Joseph bataillaient frénétiquement pour gagner,trichaient, se pinçaient les bras mutuellement, car ils étaienttous experts dans cet art. La seule fois où les enfants Burnellavaient jamais pris part à leurs jeux, Kézia avait remporté un prixet, après avoir déplié trois bouts de papier, elle avait découvertun minuscule crochet à boutons tout rouillé. Elle n’avait pas pucomprendre pourquoi ils faisaient tant d’histoires…

Mais maintenant, elles ne jouaient jamais avecles Samuel Joseph et n’allaient même pas à leurs fêtes. Les SamuelJoseph, quand ils étaient à la Baie, donnaient toujours des fêtesd’enfants et il y avait toujours le même goûter. Une grande cuvettede salade de fruits toute brune, des brioches coupées en quatre etun pot à eau rempli de quelque chose que Mademoiselle appelait dela « limonadeu ». Et le soir, on rentrait chez soi avecla moitié du volant de sa robe arraché, ou avec le devant de sontablier orné de jours tout éclaboussé par quelque chose, tandis queles Samuel Joseph restaient à bondir comme des sauvages sur leurpelouse. Non, vrai ! ils étaient trop épouvantables !

De l’autre côté de la Baie, tout au bord del’eau, deux petits garçons aux culottes retroussées s’agitaientcomme des araignées. L’un creusait le sable, l’autre trottinait,entrant dans l’eau, puis en sortant pour remplir un petit seau.C’étaient les petits Trout, Pip et Rags. Mais Pip était si occupé àcreuser et Rags si occupé à l’aider, qu’ils ne virent leurscousines qu’au moment où elles arrivèrent tout près.

– Regardez ! dit Pip. Regardez ceque j’ai découvert !

Et il leur montra une vieille bottine imbibéed’eau et aplatie. Les trois fillettes ouvrirent de grands yeux.

– Qu’est-ce que tu vas bien enfaire ? demanda Kézia.

– La garder, bien sûr !

– Pip prit un air fort dédaigneux.

– C’est une trouvaille… tuvois ?

Oui, Kézia voyait. Tout de même…

– Il y a des masses de choses enterréesdans le sable, expliqua Pip. On les flanque à la mer dans lesnaufrages. C’est du butin. Quoi… on pourrait trouver…

– Mais pourquoi faut-il que Rags versetout le temps de l’eau dessus ? demanda Lottie.

– Oh ! c’est pour mouiller le sable,dit Pip, pour rendre le travail un peu plus facile. Va toujours,Rags.

Et le bon petit Rags continua à courir, àverser dans le trou l’eau qui devenait brune comme du chocolat.

– Tenez, voulez-vous que je vous montrece que j’ai trouvé hier ? dit Pip, mystérieusement ; etil planta sa bêche dans le sable.

– Promettez de ne rien dire.

Elles promirent.

– Dites ! croix de fer, croix debois… »

Les petites filles le dirent.

Pip tira quelque chose de sa poche, le frottalongtemps sur le devant de son jersey, puis souffla dessus, puisfrotta encore.

– À présent, tournez-vous !commanda-t-il. Elles se retournèrent.

– Regardez toutes du même côté !Bougez pas ! À présent !

Et sa main s’ouvrit ; il éleva dans lalumière quelque chose qui lançait des éclairs, qui scintillait, quiétait du vert le plus ravissant.

– C’est un némeraude, dit Pip avecsolennité.

– Bien vrai, Pip ?

Même Isabelle était impressionnée.

La belle chose verte semblait danser dans lesdoigts de Pip. Tante Béryl avait un némeraude dans une bague, maisil était tout petit. Ce némeraude-là était aussi gros qu’une étoileet bien, bien plus beau.

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