La Garden-party et autres nouvelles

Chapitre 7

 

Mais l’effort eut ses suites, lorsqu’ellesfurent revenues à la salle à manger. Elles s’assirent, toutestremblantes, et se regardèrent.

– Je me sens incapable de rienentreprendre, dit Joséphine, avant d’avoir pris quelque chose.Crois-tu que nous pourrions demander à Kate de nous apporter deuxtasses d’eau chaude ?

– Je ne vois vraiment rien qui s’yoppose, répliqua Constance d’un air réfléchi. Elle s’était tout àfait ressaisie.

– Je ne sonnerai pas ; j’iraijusqu’à la porte de la cuisine et je le lui demanderai.

– Oui, c’est cela, dit Joséphine, en selaissant tomber sur une chaise. Dis-lui, deux tasses seulement,Connie, rien d’autre – sur un plateau.

– Il n’est même pas nécessaire de mettrele pot avec, n’est-ce pas ? ajouta Constance, comme si Kateeût fort bien pu se plaindre d’avoir à remplir le pot.

– Oh ! non, certainement pas !Le pot n’est nullement indispensable. Elle n’a qu’à verser l’eau dela bouilloire dans les tasses, cria Joséphine, persuadée que ceserait là une véritable économie de travail.

Leurs lèvres glacées se posèrent en frémissantsur le bord verdâtre de la porcelaine. Joséphine arrondissaitautour de la tasse ses petites mains rouges ; Constances’était redressée et soufflait sur la vapeur onduleuse pour lafaire palpiter d’un côté à l’autre.

– À propos de Benny, dit Joséphine.

Et bien que ce nom n’eût pas été prononcé,Constance aussitôt parut être au courant.

– Il va s’attendre, naturellement, à ceque nous lui envoyions un souvenir de papa. Mais c’est biendifficile de savoir ce qu’on peut expédier à Ceylan.

– Tu veux dire que les objets s’abîmenttellement pendant le voyage, murmura Constance.

– Non, ils se perdent, riposta vivementJoséphine. Tu sais bien qu’il n’y a pas de poste, rien que descourriers indigènes.

Toutes deux s’interrompirent pour contemplerun homme bronzé, en large culotte de toile blanche, courantdésespérément parmi des champs blafards en tenant dans ses mains ungros paquet enveloppé de papier brun. Celui que voyait Joséphineétait tout petit ; il détalait, reluisant comme une fourmi.Mais le grand gaillard maigre que regardait Constance avait quelquechose d’aveugle, d’infatigable qui, pensa-t-elle, le rendaitexcessivement déplaisant… Sur la véranda se tenait Benny, tout vêtude blanc, coiffé d’un casque de liège. Sa main droite avait untremblement qui la faisait s’élever et s’abaisser, comme celle depapa dans ses moments d’impatience. Et derrière lui, parfaitementindifférente, était assise Hilda, la belle-sœur qu’elles neconnaissaient pas. Elle se balançait dans un fauteuil de bambou etfeuilletait nonchalamment une revue.

– Je trouve que sa montre serait lecadeau le plus approprié, dit Joséphine.

Constance leva les yeux ; elle avaitl’air surpris.

– Oh ! confierais-tu une montre d’orà un indigène ?

– Mais je la dissimulerais, bien entendu,répliqua sa sœur. Personne ne saurait que c’est une montre.

L’idée lui plaisait d’avoir à faire un paquetd’une forme si étrange que personne ne pourrait deviner soncontenu. Elle pensa même un moment à cacher la montre dans uneétroite boîte à corset, un carton qu’elle conservait depuislongtemps, en attendant de l’utiliser. C’était un si beau carton,si solide. Mais non, dans un cas pareil, il ne serait pasconvenable. Il portait une inscription : Femme, taillemoyenne, n° 28. Busc extra rigide. Ce serait pour Bennyune surprise presque excessive, en l’ouvrant, d’y trouver la montrede papa.

– Et puis, naturellement, ce n’est pascomme si la montre marchait, je veux dire faisait tic-tac,poursuivit Constance qui pensait encore à l’amour des indigènespour les bijoux. Du moins, ajouta-t-elle, ce serait bien curieux sielle allait toujours, après si longtemps.

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