Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XXVI

 

La traversée. – Le mal de mer. –La leçon de natation.

 

Je m’étais engagé pour une campagne, enqualité de mousse, à bord d’un bâtiment marchand faisant voile pourSaint-Domingue. Ce bâtiment appartenait à un riche armateur deBrest qui envoyait des quincailleries aux colonies : il avaitpour capitaine M. Duvivier, excellent homme, parfait marin,que j’ai connu trop peu.

Je n’avais jamais mis le pied sur unbâtiment ; aussi fus-je extrêmement malade pendant lespremiers jours de notre traversée. Je me sentis pris de nauséesaffreuses et d’un affaiblissement tel, que mes jambes pliaient sousmoi.

À chaque instant je manquais de tomber, letangage du vaisseau me donnait des secousses auxquelles je n’étaispas habitué. Les matelots, tous vieux marins, riaient de mon mal,que je ne savais à quoi attribuer.

– C’est jouer de malheur, pensais-je,être malade juste au commencement d’un voyage !… Moi qui mefaisais une fête de voir la mer !… Et ces méchants, ces hommessans cœur qui rient de mon mal et ne veulent pas me fairesoigner.

Mais les matelots jouissaient de monignorance.

Enfin un d’eux, prenant pitié demoi :

– C’est le mal de mer, imbécile ! medit-il… dans deux jours il n’y paraîtra plus… Bois une goutted’eau-de-vie et tiens-toi près des bastingages… au moins tu aurasla mer pour recevoir tes bordées.

En effet, au bout de deux jours je ne pensaisplus à mon malaise ; et, sauf quelques coups de garcettepar-ci par-là, notre traversée n’offrit rien qui soit digne d’êtreraconté. Cependant je parlerai d’une certaine leçon de natation,dont je ris beaucoup par la suite, mais qui, au moment où je lapris, ne m’amusa pas le moins du monde. Deux des matelots quis’étaient chargés de mon éducation m’apprenaient, en me montrantles diverses parties des agrès, le nom technique de chacuned’elles, et je profitais assez bien de la leçon, quand l’un desdeux, donnant un léger coup de coude à l’autre pour leprévenir :

– Sais-tu nager ? medemanda-t-il.

– Ma foi, non ! répondis-je.

– Ah ! tu ne sais pas nager ?…Dites donc les autres, il ne sait pas nager… donnons-lui uneleçon.

– Oui ! oui ! une leçon !s’écrièrent tous les matelots en m’entourant.

En un instant, malgré ma résistance, uncordage me fut passé autour du corps, et je me sentis enlever à unehauteur prodigieuse. Je criais bien comme quatre ; mais mescris ne firent qu’exciter l’hilarité générale.

Quand je fus au haut de la grande vergue, undes matelots qui, à l’aide des cordages, avait fait la mêmeascension que moi, reprit la parole.

– Attention ! cria-t-il, la leçon denatation à sèche. Première position : rapprochez lescoudes au corps, les talons l’un contre l’autre !… Là…une !

Et malgré ma peur, il me força à exécuter lemouvement qu’il m’indiquait. Bientôt je m’habituai à l’élévation etje pris consciencieusement la leçon qu’il me donnait, mais tout àcoup il ajouta :

– La leçon en pleine eau !

Et, après m’avoir balancé un moment dansl’espace, il me donna une impulsion qui m’envoya par dessus lesbastingages plonger dans la mer. J’avoue que je me suis cruperdu ; mais la corde me tenait toujours, et, quand j’eus bienbarboté, on me hissa sur le pont. Au bout de quatre ou cinq leçonsje nageais comme un requin.

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